Les tentatives d'imposer le contrôle fédéral pour résoudre le conflit d'autorités
- Kathleen Chandler -
Oregon, 19 juillet 2020
L'un des principaux devoirs du président des
États-Unis est de préserver l'union et le pouvoir
de l'élite dirigeante. Un des principaux problèmes
qu'il rencontre actuellement est d'unifier la
bureaucratie militaire et d'établir le contrôle
présidentiel sur les nombreux services de police,
fédéraux, des États et des villes. Sans cela, en
raison des conflits entre et dans les rangs des
autorités fédérales, des États et des villes,
l'union pourrait éclater ou une autre guerre
civile violente pourrait éclater, ce que la classe
dirigeante dans son ensemble cherche désespérément
à éviter. L'utilisation actuelle des forces
fédérales dans les grandes villes fait partie de
cet effort pour imposer un plus grand contrôle
présidentiel. Cela est fait au nom du maintien de
l'ordre public et de la démocratie contre la « loi
de la foule » et la « violence
populaire ».
Donald Trump a déjà menacé de recourir à l'armée
dans les villes où les manifestations se
poursuivent, ce à quoi s'opposent même son propre
secrétaire à la Défense, Mark Esper, et de
nombreuses autres forces militaires. Aujourd'hui,
pour imposer un contrôle fédéral, il tente
d'utiliser les forces paramilitaires du
département de la sécurité intérieure (DHS) comme
le Service de contrôle de l'immigration et des
douanes (ICE) et une unité d'élite spéciale de
l'Agence des douanes et de la protection des
frontières (BORTAC) ainsi que celles du
département de la Justice, du FBI, de la Drug
Enforcement Administration et du Bureau des
alcools, tabacs, armes à feu et explosifs. La
police municipale de Portland, comme celle des
autres villes, n'a pas demandé d'aide et n'est pas
consultée. Comme l'ont également indiqué les
autorités de la ville, elle n'a pas le pouvoir
d'empêcher le déploiement des forces fédérales ou
de leur donner des ordres. Donald Trump a dit
qu'il allait envoyer des forces fédérales à
Albuquerque, Milwaukee, Chicago, Detroit, New
York, Philadelphie, Baltimore et Oakland.
Le maire de Portland, Ted Wheeler, s'est opposé à
l'intervention des forces fédérales. S'y opposent
également la gouverneure de l'Oregon, Kate Brown,
les deux sénateurs et les deux représentants de
l'Oregon. Le 20 juillet, Ted Wheeler et les
maires de Chicago, Seattle, Atlanta, Washington et
Kansas City ont envoyé une lettre au secrétaire à
la Sécurité intérieure, Chad Wolf, et au procureur
général des États-Unis, William Barr, dans
laquelle ils expriment leur opposition au
déploiement des forces fédérales : « Nous
vous écrivons pour exprimer notre profonde
inquiétude et notre objection au déploiement de
forces fédérales dans nos villes, car ces forces
mènent des activités de maintien de l'ordre sans
autorisation ni coordination avec les responsables
locaux de l'application de la loi. [...] Le
déploiement unilatéral de ces forces de type
paramilitaire dans nos villes est totalement
incompatible avec notre système démocratique et
nos valeurs les plus fondamentales. »
Portland, Oregon
Depuis, d'autres maires ont signé cette lettre,
notamment ceux de Los Angeles, San Jose, Oakland,
Tucson, Denver et Philadelphie. De plus, le
procureur de Philadelphie, Larry Krasner, a
déclaré que les forces fédérales qui arrêtent les
manifestants à Philadelphie seront arrêtées :
« Toute personne, y compris les agents des forces
de l'ordre fédérales, qui agresse et kidnappe
illégalement des gens fera face à des accusations
criminelles de mon bureau. » Faisant
référence à la lutte contre le fascisme pendant la
Deuxième Guerre mondiale, Larry Krasner a indiqué
que son bureau « n'excusera pas les actes
criminels commis par les forces de l'ordre qui
affaiblissent les libertés démocratiques pour
lesquelles tant d'Américains ont combattu et sont
morts ».
Philadelphie est l'une des villes où Donald Trump
prévoit déployer les forces fédérales, les autres
étant Albuquerque, Chicago, Detroit, Milwaukee,
Baltimore, New York et Oakland.
Le sénateur de l'Oregon, Jeff Merkley, a
déclaré : « Les forces fédérales ont tiré sur
un manifestant non armé et l'ont blessé au visage.
Ces forces de l'ombre ont provoqué une escalade de
la violence, au lieu de l'empêcher ». À la
suite de ce tir du 11 juillet, le sénateur
Ron Wyden a déclaré : « Trump et sa sécurité
intérieure doivent maintenant expliquer pourquoi
les agents fédéraux agissent comme une armée
d'occupation ». Comme le maire de Portland,
Ted Wheeler, et la gouverneure de l'Oregon, Kate
Brown, ils ont exigé que les forces fédérales
quittent Portland parce que cela constitue « un
abus de pouvoir flagrant du gouvernement
fédéral ».
Cependant, il faut souligner que ces mêmes
personnes n'ont pas condamné la violence et
l'utilisation de gaz lacrymogènes et de balles en
caoutchouc contre les manifestants par la police
municipale –
qui était à un tel niveau qu'un juge
fédéral a interdit leur utilisation. Leur
préoccupation, comme celle des maires et des
gouverneurs ailleurs au pays, ne porte pas sur les
droits du peuple et ses revendications d'égalité
et de changement, mais plutôt sur qui exerce le
monopole du recours à la force. Le président agit
de manière à avoir le monopole du recours à la
force dicté par le bureau du président, avec ou
sans le consentement des autorités locales et des
États.
L'« exercice réel » en cours permet
également d'établir des relations directes entre
les services de police fédéraux et les services de
police municipaux en contournant les élus, comme
le fait à l'étranger le Pentagone avec les forces
militaires des autres pays. À Portland, c'est le
diktat qui est utilisé plutôt que les négociations
avec les autorités politiques et policières
locales. À Chicago, une approche différente a été
adoptée : celle de la négociation avec le
maire et les forces de police de la ville. Cela
s'explique sans doute en partie par le fait que
les responsables de la police ont spécifiquement
demandé à Donald Trump d'intervenir. De plus,
Chicago est une ville beaucoup plus grande avec
des effectifs policiers imposants. Les
manifestations sont également beaucoup plus
importantes, tout comme la population.
La résistance montre la voie à suivre pour
l'affirmation du peuple
Le secrétaire à la Sécurité intérieure, Chad
Wolf, a clairement indiqué que les forces
fédérales allaient intensifier leurs actions
illégales et la répression de la résistance. Pour
justifier une intervention fédérale plus forte, il
ne cesse de traiter les manifestations de « meute
violente » et les manifestants de « criminels
violents » et d'« anarchistes
subversifs ». Le 16 juillet, il a
déclaré : « La ville de Portland est assiégée
depuis 47 jours consécutifs par une foule
violente alors que les dirigeants politiques
locaux refusent de rétablir l'ordre pour protéger
leur ville. [...] Un palais de justice fédéral est
un symbole de justice –
l'attaquer, c'est attaquer
l'Amérique. »
Wolf fait ainsi écho aux tentatives de Donald
Trump d'usurper le droit de déclarer qui est et
qui n'est pas un « Américain ». Les récents
discours de Trump, le décret présidentiel faisant
de la dégradation des statues un crime, qui a
renforcé l'utilisation des forces fédérales dans
les villes, sont tous des tentatives de
criminaliser les personnes qui défendent les
droits, et des justifications pour des mesures
fédérales plus larges et plus violentes.
Face à la recrudescence de la résistance à
Portland, Donald Trump a déclaré le 20
juillet : « Nous allons avoir plus
d'application de la loi fédérale, je peux vous le
dire... À Portland, ils ont fait un travail
fantastique... Ils les attrapent, beaucoup de gens
sont en prison. Ce sont des leaders. Ces gens sont
des anarchistes, ce ne sont pas des manifestants.
Les gens disent 'manifestants'. Ces gens sont des
anarchistes. Ce sont des gens qui détestent notre
pays. »
Le 21 juillet, dans une entrevue à Fox News,
Chad Wolf a déclaré : « Parce que nous
n'avons pas ce soutien des forces de l'ordre
locales, nous devons sortir et arrêter des
individus de manière proactive, et nous devons le
faire parce que nous devons les tenir
responsables ». D'après l'expérience
actuelle, cela signifie que, sans motif probable
et en agissant contre des personnes qui n'ont
commis aucun crime, toute personne considérée
comme « attaquant l'Amérique » sera arrêtée
et détenue. Également, les forces fédérales
détiennent, fouillent et interrogent des
personnes, puis les libèrent sans trace de leur
détention, ce qui rend toute responsabilisation
d'autant plus difficile que les agents fédéraux
prétendent que la détention n'a jamais eu lieu.
Donald Trump, Chad Wolf et Mark Morgan, le
commissaire aux douanes et à la protection des
frontières, tentent de criminaliser la résistance
en imposant leur seule autorité sur la manière et
le moment d'utiliser la force. Des millions de
manifestants ne font clairement pas partie de «
leur Amérique ». Ceux qui sont aux côtés des
manifestants et qui soutiennent leurs
revendications, la grande majorité des gens, ne le
sont pas non plus. Tous doivent être soumis à la
violence et aux attaques préventives.
Les affirmations des différents responsables
politiques locaux et des États selon lesquelles
les actions de Donald Trump sont
inconstitutionnelles ou « incompatibles avec notre
système démocratique » sèment la confusion,
car la Constitution dont ils parlent n'est plus
capable d'exercer l'autorité dans le pays. En
raison de la restructuration inhérente de l'État
dont les fonctions ont été usurpées par des
intérêts privés étroits à cause de l'offensive
néolibérale antisociale de l'État, le pouvoir de
décision a été largement concentré dans la
présidence. Le Congrès est dysfonctionnel et les
tribunaux consolident le pouvoir de l'exécutif,
même si certains jugements défendent le partage
des pouvoirs entre les autorités fédérales et
celles des États comme cela est inscrit dans la
Constitution et la Déclaration des droits. La
Constitution ne met fin ni aux pouvoirs de police
du président ni à l'utilisation des forces
fédérales contre le peuple.
En réalité, l'idée que l'on peut s'appuyer sur la
Constitution n'atténue pas les conflits de plus en
plus profonds entre les autorités fédérales, les
autorités des États et les autorités locales,
comme le montre l'exemple de Portland. À
l'approche de l'élection présidentielle, les
conditions de guerre civile ouverte entre les
factions qui se disputent le pouvoir sont toujours
présentes. Donald Trump tente de prendre le dessus
en mettant en place des forces du DHS et du
département de la Justice qui lui sont loyales au
cas où l'armée ferait scission ou que d'autres
services de police refuseraient ses ordres.
La résistance courageuse de Portland et des
autres villes, en rejetant la violence de tous les
services de police, la militarisation généralisée
de la vie et en s'en tenant au principe selon
lequel le changement doit être en faveur du
peuple, montre la voie à suivre. Ceux qui
gouvernent actuellement à tous les niveaux sont
considérés comme inaptes à gouverner. La façon
dont ils gèrent non seulement les morts aux mains
de la police et le racisme du gouvernement, mais
aussi la pandémie de la COVID-19, en est une
preuve flagrante. Par leur résistance organisée,
les forces du peuple s'investissent du pouvoir,
comme le montre le Mur des mamans. Elles refusent
les efforts faits pour les rallier à une faction
ou une autre des représentants des riches. Elles
s'obstinent à atteindre leurs objectifs de
justice, d'égalité, de sécurité et de paix.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 48 - 27 juillet 2020
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