Le discours de Donald Trump au mont Rushmore le 3 juillet

Une définition obsolète de qui est un citoyen


Des défenseurs des terres autochtones bloquent une route qui traverse les Black Hills jusqu'au mont Rushmore, le 3 juillet 2020.

Le discours du président Donald Trump, prononcé le 3 juillet au mont Rushmore, dans la région des Black Hills du Dakota du Sud, a été révélateur de bien des choses, notamment de sa vision raciste, antiouvrière et anticommuniste. Ce que Trump a dit se résume à répéter que les États-Unis sont la principale force de l'égalité dans le monde, la plus grande nation sur terre et la nation indispensable - à l'heure où des millions de personnes aux États-Unis et dans le monde entier démontrent à quel point ces affirmations sont illégitimes. En plus de dire que le 4 juillet est « le jour le plus important de l'histoire des nations », le discours est empreint du dénigrement des peuples du monde et de leurs contributions. Au sujet des présidents dont les visages sont sculptés sur la face du Mont Rushmore (George Washington, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln et Théodore Roosevelt), Trump a déclaré :

« Ils ont consacré une vérité divine qui a changé le monde à jamais quand ils ont déclaré : 'Tous les hommes sont créés égaux'. [...]

« Avant que ces personnalités ne soient immortalisées dans la pierre, c'étaient des géants américains en chair et en os, des hommes courageux dont les actes intrépides ont déclenché le plus grand bond en avant que le monde ait jamais connu. [...]

« Nous dirons la vérité dans son intégralité, sans excuses : nous déclarons que les États-Unis d'Amérique sont la nation la plus juste et la plus exceptionnelle qui ait jamais existé sur Terre. »

En plus de constater le chauvinisme extrême et l'esprit raciste du discours, il y a au coeur de cette affaire une préoccupation importante pour le peuple américain : qui définit la citoyenneté aux États-Unis ?

Selon le président Trump, c'est à lui de définir qui est et qui n'est pas un citoyen dans « son Amérique ». Malgré sa définition particulièrement étroite et raciste qui est rejetée par tous sauf par une poignée de fanatiques de son espèce, le vrai problème est la pratique aux États-Unis où c'est l'État qui définit le citoyen et non les citoyens qui définissent l'État. Par le fait même, ce n'est pas le peuple qui définit ses droits et devoirs du fait de son existence.

L'existence, les qualités et les convictions des citoyens doivent-elles être déterminées par ceux qui ont usurpé le monopole de l'usage de la force et de la coercition en s'appuyant sur une Constitution et des lois obsolètes qui cherchent à donner cette légitimité ? Non, cela ne devrait pas être le cas. C'est le peuple qui doit définir la citoyenneté et lui donner un contenu conforme à ses besoins et aux exigences de l'époque d'une manière qui le favorise.

Le lieu du discours du 3 juillet et le discours lui-même ont été utilisés pour attaquer le mouvement de masse qui se poursuit aux États-Unis. Il est clair que Trump utilise la déclaration souvent répétée qu'il est un président de la loi et de l'ordre pour s'opposer à la lutte du peuple pour affirmer ses droits. Mais le choc entre les exploiteurs et les opprimés sur la direction que prend le pays, la colère contre les échecs du gouvernement concernant la pandémie de la COVID-19 et le rejet catégorique de la violence et de l'impunité policières retentissent de plus en plus fort. La revendication d'égalité et de responsabilité l'emporte sur les menaces de répression par la violence de Trump.

Malgré les dissensions dans les rangs de l'élite dominante pour et contre Trump, la classe dirigeante dans son ensemble se préoccupe surtout de bloquer l'émergence d'une conception moderne des droits et de la citoyenneté à laquelle donne naissance la lutte du peuple pour affirmer ses droits. Les divergences portent sur la manière de donner l'impression de gouverner au nom de la nation alors que les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent. Elles portent également sur qui doit être nommé à la présidence, qui pourra donner le mieux une apparence de légitimité à son monopole sur l'utilisation de la force. Si Trump ne peut pas le faire et ne parvient pas à réprimer la révolte dans les rangs de l'élite et la révolte du peuple contre l'élite, alors la classe dirigeante cherchera quelqu'un qui peut le faire. C'est la recherche d'une telle personne que nous voyons dans la préparation des conventions des démocrates et des républicains, prévues pour les 17-20 août et 24-27 août respectivement, et dans la campagne électorale en cours. La Constitution obsolète ne peut pas les aider dans ce choix parce que les conditions qui ont donné naissance à cette constitution n'existent plus.

Une conception moderne des droits déclare que tous ceux qui constituent le corps politique sont des membres égaux qui ont les mêmes droits de décider de la qualité et de la forme de ce corps politique. Un corps politique ne peut plus tolérer une hiérarchie de privilèges accordés par ceux qui ont les bonnes relations. Il ne peut plus tolérer d'être divisé entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, ceux qui gouvernent et ont le monopole du recours à la force et ceux qui sont gouvernés et n'ont rien.

Plusieurs fois dans son discours du mont Rushmore, Donald Trump a souligné que pour être considéré comme Américain, il faut croire en ce que l'État décide. Cela signifie qu'il faut soutenir l'armée et ses guerres, ce qui a été démontré en partie par le survol de la Garde nationale aérienne et des Blue Angels de la marine américaine pendant l'événement. En même temps qu'il proclamait que le 4 juillet est « le jour le plus important de l'histoire des nations », Donald Trump a dit que « le coeur de tout Américain doit être rempli de fierté, chaque famille américaine doit se réjouir ». La menace implicite est que s'ils ne le font pas, ils subiront rapidement le sort qu'ils méritent.

« Notre nation assiste à une campagne impitoyable pour effacer notre histoire, diffamer nos héros, effacer nos valeurs et endoctriner nos enfants, a déclaré Donald Trump. Des foules en colère essaient de démolir les statues de nos fondateurs, de défigurer nos monuments les plus sacrés et de déclencher une vague de crimes violents dans nos villes. Beaucoup de ces gens ne savent pas pourquoi ils font cela, mais certains savent exactement ce qu'ils font. Ils pensent que le peuple américain est faible, doux et soumis. »

Ceux qui se dressent aujourd'hui contre les agressions racistes organisées par l'État, contre la puissance esclavagiste et sa Confédération qui défendait le système esclavagiste, qui se dressent contre la violence et l'impunité de la police et de l'armée sont les « ils ». Ce « ils » est exclu du « peuple américain », dit Trump. Partant de cette affirmation, ce « ils » peut légitimement être ciblé comme « l'ennemi ». Et ce n'est ni une erreur de formulation de sa part, ni une exagération sur la manière dont sont catégorisés ceux qui cherchent à donner naissance à une définition moderne des droits. Le thème est répété tout au long du discours.

« Ceux qui cherchent à effacer notre héritage veulent que les Américains oublient notre fierté et notre grande dignité, afin que nous ne puissions plus nous comprendre nous-mêmes ni comprendre la destinée de l'Amérique », a déclaré Donald Trump. « Nous allons démasquer ce mouvement dangereux, protéger les enfants de notre nation, mettre fin à cette attaque extrémiste et préserver notre mode de vie américain bien-aimé. »

Le « mode de vie américain » et la « destinée » que les dirigeants s'efforcent de protéger sont précisément ce qui est remis en cause par ce mouvement de masse d'une ampleur, d'une portée, d'une vigueur et d'une détermination sans précédent. Ni Trump ni aucun des experts qui ont commenté le discours n'ont l'intention de s'arrêter sur le fait que ce « mode de vie » est responsable de centaines d'années d'esclavage et de génocide des Africains et des peuples autochtones (et que Washington, Jefferson et Lincoln ont tous imposé) et que cela continue à ce jour.

C'est un camouflage de l'utilisation de la force armée contre le Mexique et une déclaration que les vastes territoires que se sont appropriés les États-Unis n'ont pas été volés au Mexique. C'est pour détourner l'attention de la discrimination continue et qui s'intensifie contre les Américains mexicains, de la colonisation de Porto Rico qui continue à ce jour et de la discrimination contre les personnes d'origine latino-américaine, caribéenne et asiatique, et la « destinée » des États-Unis comme puissance impérialiste mondiale responsable d'innombrables guerres, occupations, massacres et génocides à l'échelle mondiale, dont Théodore Roosevelt était l'un des principaux architectes.

Alors que le peuple exige que les institutions de gouvernance libérales obsolètes soient remplacées par des institutions modernes qui répondent aux besoins de l'époque, Trump a une fois de plus ciblé les gouverneurs et les maires qui ne feront pas ce qu'il ordonne. Cela reflète les profondes divisions entre les dirigeants et leur bureaucratie militaire et leurs agences de police quant à la manière dont les États-Unis peuvent maintenir leur monopole sur l'usage de la force pour défendre leur domination sur le territoire national et à l'étranger.

« Le chaos violent que nous avons vu dans les rues des villes dirigées par des démocrates libéraux, dans tous les cas, est le résultat prévisible d'années d'endoctrinement extrême et de préjugés dans l'éducation, le journalisme et d'autres institutions culturelles. Mes compatriotes américains, il est temps de parler haut et fort et puissamment et de défendre l'intégrité de notre pays », a déclaré Donald Trump.

Qui sont les « compatriotes américains » que Trump tente de rallier ? Le nombre des personnes présentes dans les manifestations actuelles se chiffre à entre 15 et 20 millions. Leur « Amérique » n'est pas celle que décrit Trump. Ce que veulent les Américains est inscrit sur leurs pancartes, leurs peintures murales et leurs peintures de rue et exprimé dans leurs slogans. Les pancartes que portent les manifestants, en particulier celles qui concernent l'immigration et la séparation des familles et celles contre l'impunité de la police, montrent clairement que l'Amérique de Trump n'est pas « l'Amérique » du peuple. Si la conception du « peuple » de Donald Trump est conforme à ce que contient la Constitution américaine, ce n'est pas la conception des millions de personnes qui descendent dans les rues pour parler en leur propre nom et se représenter elles-mêmes. Elles n'acceptent pas un corps politique dans lequel ceux qui gouvernent représentent des intérêts privés étroits et sont au-dessus des gouvernés.

Les dirigeants redoutent la prise de conscience du fait que le « mode de vie » louangé par les élites, dont celui de Trump n'est qu'une variante, et les arrangements de gouvernement qui le protègent ne représentent pas le peuple, ne servent pas les intérêts des peuples du monde ni des États-Unis. Les dirigeants n'ont aucune intention d'apporter une nouvelle direction qui ouvre une voie vers l'avant parce qu'ils sont tous au service d'intérêts privés étroits. Pour les élites, les institutions démocratiques libérales sont la fin de l'histoire, l'apogée de ce à quoi la civilisation humaine a donné naissance. C'est pourquoi de nombreux membres de la classe dirigeante qui s'opposent à Trump disent qu'il s'écarte de la Constitution et que les institutions démocratiques libérales doivent triompher. Ils cachent le fait que ces institutions sont obsolètes et que la Constitution est obsolète. Celles-ci ne peuvent plus résoudre les contradictions dans les rangs des dirigeants ou entre les dirigeants et le peuple qui exige des arrangements qui correspondent à l'époque et répondent à ses besoins.

Le peuple des États-Unis lutte pour sortir la démocratie des limites imposées durant la période de la révolution américaine et de la guerre civile et par les développements ultérieurs. Il cherche à mettre en place une démocratie qui lui est propre et qui lui donne le pouvoir de gouverner et de prendre les décisions qui touchent sa vie.




Les défenseurs de la terre sioux et leurs sympathisants ont bloqué la route du mont
Rushmore quelques heures avant le discours de Trump le 3 juillet 2020. Ils ont déclaré
que Donald Trump n'était pas le bienvenu et que le monument du mont Rushmore a été construit sur des terres volées.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 46 - 18 juillet 2020

Lien de l'article:
Le discours de Donald Trump au mont Rushmore le 3 juillet: Une définition obsolète de qui est un citoyen - Kathleen Chandler


    

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