Le discours de Donald Trump au
mont Rushmore le 3 juillet
Une définition obsolète de qui est un citoyen
- Kathleen Chandler -
Des défenseurs des terres autochtones bloquent une
route qui traverse les Black Hills jusqu'au mont
Rushmore, le 3 juillet 2020.
Le discours du président Donald Trump, prononcé
le 3 juillet au mont Rushmore, dans la région
des Black Hills du Dakota du Sud, a été révélateur
de bien des choses, notamment de sa vision
raciste, antiouvrière et anticommuniste. Ce que
Trump a dit se résume à répéter que les États-Unis
sont la principale force de l'égalité dans le
monde, la plus grande nation sur terre et la
nation indispensable - à l'heure où des millions
de personnes aux États-Unis et dans le monde
entier démontrent à quel point ces affirmations
sont illégitimes. En plus de dire que le 4 juillet
est « le jour le plus important de l'histoire des
nations », le discours est empreint du
dénigrement des peuples du monde et de leurs
contributions. Au sujet des présidents dont les
visages sont sculptés sur la face du Mont Rushmore
(George Washington, Thomas Jefferson, Abraham
Lincoln et Théodore Roosevelt), Trump a
déclaré :
« Ils ont consacré une vérité divine qui a changé
le monde à jamais quand ils ont déclaré :
'Tous les hommes sont créés égaux'. [...]
« Avant que ces personnalités ne soient
immortalisées dans la pierre, c'étaient des géants
américains en chair et en os, des hommes courageux
dont les actes intrépides ont déclenché le plus
grand bond en avant que le monde ait jamais connu.
[...]
« Nous dirons la vérité dans son intégralité,
sans excuses : nous déclarons que les
États-Unis d'Amérique sont la nation la plus juste
et la plus exceptionnelle qui ait jamais existé
sur Terre. »
En plus de constater le chauvinisme extrême et
l'esprit raciste du discours, il y a au coeur de
cette affaire une préoccupation importante pour le
peuple américain : qui définit la citoyenneté
aux États-Unis ?
Selon le président Trump, c'est à lui de définir
qui est et qui n'est pas un citoyen dans « son
Amérique ». Malgré sa définition
particulièrement étroite et raciste qui est
rejetée par tous sauf par une poignée de
fanatiques de son espèce, le vrai problème est la
pratique aux États-Unis où c'est l'État qui
définit le citoyen et non les citoyens qui
définissent l'État. Par le fait même, ce n'est pas
le peuple qui définit ses droits et devoirs du
fait de son existence.
L'existence, les qualités et les convictions des
citoyens doivent-elles être déterminées par ceux
qui ont usurpé le monopole de l'usage de la force
et de la coercition en s'appuyant sur une
Constitution et des lois obsolètes qui cherchent à
donner cette légitimité ? Non, cela ne
devrait pas être le cas. C'est le peuple qui doit
définir la citoyenneté et lui donner un contenu
conforme à ses besoins et aux exigences de
l'époque d'une manière qui le favorise.
Le lieu du discours du 3 juillet et le
discours lui-même ont été utilisés pour attaquer
le mouvement de masse qui se poursuit aux
États-Unis. Il est clair que Trump utilise la
déclaration souvent répétée qu'il est un président
de la loi et de l'ordre pour s'opposer à la lutte
du peuple pour affirmer ses droits. Mais le choc
entre les exploiteurs et les opprimés sur la
direction que prend le pays, la colère contre les
échecs du gouvernement concernant la pandémie de
la COVID-19 et le rejet catégorique de la violence
et de l'impunité policières retentissent de plus
en plus fort. La revendication d'égalité et de
responsabilité l'emporte sur les menaces de
répression par la violence de Trump.
Malgré les dissensions dans les rangs de l'élite
dominante pour et contre Trump, la classe
dirigeante dans son ensemble se préoccupe surtout
de bloquer l'émergence d'une conception moderne
des droits et de la citoyenneté à laquelle donne
naissance la lutte du peuple pour affirmer ses
droits. Les divergences portent sur la manière de
donner l'impression de gouverner au nom de la
nation alors que les riches s'enrichissent et les
pauvres s'appauvrissent. Elles portent également
sur qui doit être nommé à la présidence, qui
pourra donner le mieux une apparence de légitimité
à son monopole sur l'utilisation de la force. Si
Trump ne peut pas le faire et ne parvient pas à
réprimer la révolte dans les rangs de l'élite et
la révolte du peuple contre l'élite, alors la
classe dirigeante cherchera quelqu'un qui peut le
faire. C'est la recherche d'une telle personne que
nous voyons dans la préparation des conventions
des démocrates et des républicains, prévues pour
les 17-20 août et 24-27 août
respectivement, et dans la campagne électorale en
cours. La Constitution obsolète ne peut pas les
aider dans ce choix parce que les conditions qui
ont donné naissance à cette constitution
n'existent plus.
Une conception moderne des droits déclare que
tous ceux qui constituent le corps politique sont
des membres égaux qui ont les mêmes droits de
décider de la qualité et de la forme de ce corps
politique. Un corps politique ne peut plus tolérer
une hiérarchie de privilèges accordés par ceux qui
ont les bonnes relations. Il ne peut plus tolérer
d'être divisé entre ceux qui gouvernent et ceux
qui sont gouvernés, ceux qui gouvernent et ont le
monopole du recours à la force et ceux qui sont
gouvernés et n'ont rien.
Plusieurs fois dans son discours du mont
Rushmore, Donald Trump a souligné que pour être
considéré comme Américain, il faut croire en ce
que l'État décide. Cela signifie qu'il faut
soutenir l'armée et ses guerres, ce qui a été
démontré en partie par le survol de la Garde
nationale aérienne et des Blue Angels de la marine
américaine pendant l'événement. En même temps
qu'il proclamait que le 4 juillet est « le jour le
plus important de l'histoire des nations »,
Donald Trump a dit que « le coeur de tout
Américain doit être rempli de fierté, chaque
famille américaine doit se réjouir ». La
menace implicite est que s'ils ne le font pas, ils
subiront rapidement le sort qu'ils méritent.
« Notre nation assiste à une campagne impitoyable
pour effacer notre histoire, diffamer nos héros,
effacer nos valeurs et endoctriner nos enfants, a
déclaré Donald Trump. Des foules en colère
essaient de démolir les statues de nos fondateurs,
de défigurer nos monuments les plus sacrés et de
déclencher une vague de crimes violents dans nos
villes. Beaucoup de ces gens ne savent pas
pourquoi ils font cela, mais certains savent
exactement ce qu'ils font. Ils pensent que le
peuple américain est faible, doux et
soumis. »
Ceux qui se dressent aujourd'hui contre les
agressions racistes organisées par l'État, contre
la puissance esclavagiste et sa Confédération qui
défendait le système esclavagiste, qui se dressent
contre la violence et l'impunité de la police et
de l'armée sont les « ils ». Ce « ils »
est exclu du « peuple américain », dit Trump.
Partant de cette affirmation, ce « ils » peut
légitimement être ciblé comme « l'ennemi ».
Et ce n'est ni une erreur de formulation de sa
part, ni une exagération sur la manière dont sont
catégorisés ceux qui cherchent à donner naissance
à une définition moderne des droits. Le thème est
répété tout au long du discours.
« Ceux qui cherchent à effacer notre héritage
veulent que les Américains oublient notre fierté
et notre grande dignité, afin que nous ne
puissions plus nous comprendre nous-mêmes ni
comprendre la destinée de l'Amérique », a
déclaré Donald Trump. « Nous allons démasquer ce
mouvement dangereux, protéger les enfants de notre
nation, mettre fin à cette attaque extrémiste et
préserver notre mode de vie américain
bien-aimé. »
Le « mode de vie américain » et la «
destinée » que les dirigeants s'efforcent de
protéger sont précisément ce qui est remis en
cause par ce mouvement de masse d'une ampleur,
d'une portée, d'une vigueur et d'une détermination
sans précédent. Ni Trump ni aucun des experts qui
ont commenté le discours n'ont l'intention de
s'arrêter sur le fait que ce « mode de vie »
est responsable de centaines d'années d'esclavage
et de génocide des Africains et des peuples
autochtones (et que Washington, Jefferson et
Lincoln ont tous imposé) et que cela continue à ce
jour.
C'est un camouflage de l'utilisation de la force
armée contre le Mexique et une déclaration que les
vastes territoires que se sont appropriés les
États-Unis n'ont pas été volés au Mexique. C'est
pour détourner l'attention de la discrimination
continue et qui s'intensifie contre les Américains
mexicains, de la colonisation de Porto Rico qui
continue à ce jour et de la discrimination contre
les personnes d'origine latino-américaine,
caribéenne et asiatique, et la « destinée »
des États-Unis comme puissance impérialiste
mondiale responsable d'innombrables guerres,
occupations, massacres et génocides à l'échelle
mondiale, dont Théodore Roosevelt était l'un des
principaux architectes.
Alors que le peuple
exige que les institutions de gouvernance
libérales obsolètes soient remplacées par des
institutions modernes qui répondent aux besoins de
l'époque, Trump a une fois de plus ciblé les
gouverneurs et les maires qui ne feront pas ce
qu'il ordonne. Cela reflète les profondes
divisions entre les dirigeants et leur
bureaucratie militaire et leurs agences de police
quant à la manière dont les États-Unis peuvent
maintenir leur monopole sur l'usage de la force
pour défendre leur domination sur le territoire
national et à l'étranger.
« Le chaos violent que nous avons vu dans les
rues des villes dirigées par des démocrates
libéraux, dans tous les cas, est le résultat
prévisible d'années d'endoctrinement extrême et de
préjugés dans l'éducation, le journalisme et
d'autres institutions culturelles. Mes
compatriotes américains, il est temps de parler
haut et fort et puissamment et de défendre
l'intégrité de notre pays », a déclaré Donald
Trump.
Qui sont les « compatriotes américains »
que Trump tente de rallier ? Le nombre des
personnes présentes dans les manifestations
actuelles se chiffre à entre 15 et 20 millions.
Leur « Amérique » n'est pas celle que décrit
Trump. Ce que veulent les Américains est inscrit
sur leurs pancartes, leurs peintures murales et
leurs peintures de rue et exprimé dans leurs
slogans. Les pancartes que portent les
manifestants, en particulier celles qui concernent
l'immigration et la séparation des familles et
celles contre l'impunité de la police, montrent
clairement que l'Amérique de Trump n'est pas «
l'Amérique » du peuple. Si la conception du «
peuple » de Donald Trump est conforme à ce que
contient la Constitution américaine, ce n'est pas
la conception des millions de personnes qui
descendent dans les rues pour parler en leur
propre nom et se représenter elles-mêmes. Elles
n'acceptent pas un corps politique dans lequel
ceux qui gouvernent représentent des intérêts
privés étroits et sont au-dessus des gouvernés.
Les dirigeants redoutent la prise de conscience
du fait que le « mode de vie » louangé par
les élites, dont celui de Trump n'est qu'une
variante, et les arrangements de gouvernement qui
le protègent ne représentent pas le peuple, ne
servent pas les intérêts des peuples du monde ni
des États-Unis. Les dirigeants n'ont aucune
intention d'apporter une nouvelle direction qui
ouvre une voie vers l'avant parce qu'ils sont tous
au service d'intérêts privés étroits. Pour les
élites, les institutions démocratiques libérales
sont la fin de l'histoire, l'apogée de ce à quoi
la civilisation humaine a donné naissance. C'est
pourquoi de nombreux membres de la classe
dirigeante qui s'opposent à Trump disent qu'il
s'écarte de la Constitution et que les
institutions démocratiques libérales doivent
triompher. Ils cachent le fait que ces
institutions sont obsolètes et que la Constitution
est obsolète. Celles-ci ne peuvent plus résoudre
les contradictions dans les rangs des dirigeants
ou entre les dirigeants et le peuple qui exige des
arrangements qui correspondent à l'époque et
répondent à ses besoins.
Le peuple des États-Unis lutte pour sortir la
démocratie des limites imposées durant la période
de la révolution américaine et de la guerre civile
et par les développements ultérieurs. Il cherche à
mettre en place une démocratie qui lui est propre
et qui lui donne le pouvoir de gouverner et de
prendre les décisions qui touchent sa vie.
Les défenseurs de la terre sioux et leurs
sympathisants ont bloqué la route du mont
Rushmore quelques heures avant le discours de
Trump le 3 juillet 2020. Ils ont déclaré
que Donald Trump n'était pas le bienvenu et que le
monument du mont Rushmore a été construit sur des
terres volées.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 46 - 18 juillet 2020
Lien de l'article:
Le discours de Donald Trump au
mont Rushmore le 3 juillet: Une définition obsolète de qui est un citoyen - Kathleen Chandler
Site Web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
|