Les États-Unis des oligopoles
d'Amérique du Nord
Le président Obrador va à Washington
- Pablo Moctezuma Barragan -
Le président du
Mexique, Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), a
pris la parole aux côtés du président américain
Donald Trump le mercredi 8 juillet à la
Maison-Blanche. Ce fut la première visite
internationale du chef d'État mexicain, et il l'a
faite dans le contexte de l'approbation du nouveau
traité commercial nord-américain, entre le Canada,
les États-Unis et le Mexique, connu sous le nom de
T-MEC au Mexique (ACÉUM au Canada).
Dans les jours qui ont précédé cette rencontre, le
premier ministre du Canada, Justin Trudeau, avait
indiqué son intention de ne pas y participer. Il
ne voulait sans doute pas parler des projets
canadiens d'énergies renouvelables qui ont été
annulés par le Mexique, ni des plaintes
d'organisations de défense des droits humains au
Canada qui dénoncent les conditions de travail et
de logement déplorables dans lesquelles se
trouvent les travailleurs agricoles temporaires
mexicains et le manque flagrant d'attention du
gouvernement canadien à leur endroit. Jusqu'à
maintenant, plus de mille travailleurs agricoles
ont été infectés de la Covid-19 et trois en sont
morts.
Le président mexicain a déclaré qu'il venait
célébrer l'entrée en vigueur de l'accord qui,
selon lui, est une grande réalisation qui
bénéficiera aux trois nations et à leur peuple.
Étonnamment, AMLO a commencé son discours en
parlant en tant que membre d'une région et non en
tant que représentant d'un pays. Il a dit : «
L'Amérique du Nord est l'une des régions
économiques les plus importantes de la planète.
Cependant, notre région est inexplicablement
déficitaire sur le plan commercial ; nous
exportons vers le reste du monde 3 579 milliards
de dollars, mais nous importons 4 190 milliards de
dollars, c'est-à-dire que nous avons un déficit
commercial de 611 milliards de dollars, ce qui se
traduit par une fuite des capitaux, une réduction
des occasions pour les entreprises et la perte de
sources d'emplois. »
Il a déclaré que le nouvel accord « cherche
précisément à inverser ce déséquilibre en
poursuivant l'intégration de nos économies et en
améliorant le fonctionnement des chaînes
d'approvisionnement afin de rétablir la présence
économique perdue en Amérique du Nord au cours des
cinq dernières décennies. Il suffit de noter qu'en
1970, la région représentait 40,4 % de la
production mondiale et que, maintenant, cette part
dans l'économie mondiale est tombée à 27,8 %. » Il
a ajouté que « l'accord est une excellente option
pour la production, créer des emplois et
encourager le commerce sans avoir à aller aussi
loin de nos foyers, villes, États et nations. » Il
a ainsi parié de l'intégration à un bloc régional
dominé par les entreprises américaines.
Poursuivant sa présentation, Lopez Obrador a
déclaré : « En d'autres termes, les volumes
d'importation de nos pays provenant du reste du
monde peuvent être produits en Amérique du Nord, à
moindre coût de transport, avec des fournisseurs
fiables pour les entreprises et avec l'utilisation
de la main-d'oeuvre de la région. [...] Exploiter
tous les avantages que nous offre le voisinage
ainsi que la mise en oeuvre d'une bonne politique
de coopération au développement [...] va attirer
des investissements d'autres endroits de
l'hémisphère. » (Il faut rappeler que la
définition du mot hémisphère est la moitié du
globe et Obrador n'a pas précisé à quel hémisphère
il fait référence. Nord-Sud? Est-Ouest?)
« Cet accord permet d'attirer des investissements
provenant d'autres parties de l'hémisphère vers
nos pays, a-t-il poursuivi, à condition que soient
respectés les principes de production de
marchandises à forte teneur régionale, ainsi que
de fournir des conditions de travail et de
rémunération équitables pour les travailleurs des
pays exportateurs ou importateurs de biens de
consommation. » De ce fait, le Mexique entre dans
la guerre commerciale des États-Unis contre la
Chine, aux côtés du Canada.
Il convient de
rappeler que le Mexique s'identifiait depuis des
siècles comme un pays latino-américain. C'est à
partir du premier accord, en 1994, l'ALÉNA, que
les gouvernements néolibéraux, en commençant par
Salinas, ont étiqueté le Mexique comme faisant
partie de l'Amérique du Nord. Ce premier accord a
provoqué la destruction de l'économie mexicaine,
l'abandon des régions agricoles, la perte de la
souveraineté énergétique et le début de
l'exploitation minière rapace au Mexique, celle-là
même qui pollue et vole l'eau des communautés, et
pille nos richesses sans payer de redevances. Le
premier accord a marqué le début de la criminalité
mondiale, la migration et le trafic de drogue ont
augmenté et la souveraineté économique a été
détruite. Il s'agissait d'un marché entre un
requin et une sardine. Les États-Unis ont un
produit intérieur brut 20 fois supérieur à celui
du Mexique et 10 fois supérieur à celui du Canada.
Et le nouveau traité est encore pire que le
premier.
AMLO a déclaré que les trois pays finissent par se
compléter et que le Mexique apporte sa force de
travail, de bons ouvriers avec une éthique du
travail. Il n'a jamais parlé de la façon dont ces
travailleurs sont traités aux États-Unis et au
Canada, où ils souffrent vraiment d'esclavage
moderne. Au contraire, AMLO a appelé à mettre de
côté les différends ou à les résoudre par le
dialogue et le respect mutuel. Cependant, ce
dialogue n'a pas eu lieu car les mots « migrant »
ou « mur » n'ont jamais été prononcés. Et on n'a
pas vu de respect non plus, car le 6 juillet, un
jour avant l'arrivée d'AMLO et à la surprise des
uns comme des autres, Trump affichait fièrement
sur Twitter quatre photos de lui-même au mur de
l'Arizona, symbole de la ségrégation des
Mexicains.
On disait également qu'il allait continuer à
tenter de détruire la DACA (Politique
d'immigration d'action différée pour les arrivées
dès l'enfance) qui protège 800 000 migrants qui
sont arrivés aux États-Unis quand ils étaient
enfants et y poursuivent leurs études. Pour
couronner le tout, il a profité de l'occasion pour
attaquer les villes sanctuaires que sont Chicago
et New York, affirmant qu'elles protègent des «
criminels », pour ainsi justifier des descentes
contre les migrants. Comme si ça ne suffisait pas,
on a annoncé que le nombre de lits dans les
refuges et les centres de détention de migrants
sera réduit de 60 %. Il est évident que la phobie
de Trump contre les migrants - la plupart
mexicains - ne s'est pas arrêtée avant la visite
du président mexicain ; au contraire, il a
ouvertement réaffirmé ses politiques
anti-migrants.
Se référant à l'histoire des nombreuses agressions
américaines contre le Mexique qui ont conduit au
vol de plus de la moitié de son territoire et
maintenant à la construction d'un mur à la
frontière (pas très différent de ce qu'Israël fait
aux Palestiniens), le président mexicain a
commenté : « Certes, dans l'histoire de nos
relations, nous avons eu des désaccords et il y a
des griefs qui ne sont pas encore oubliés, mais
nous avons aussi pu établir des accords tacites ou
explicites de coopération et de coexistence. » Il
a cité comme exemple le fait que pendant la
Deuxième Guerre mondiale, le Mexique a aidé à
répondre aux besoins des États-Unis en matières
premières et les a soutenus avec la main-d'oeuvre
des travailleurs migrants, connus sous le nom de braceros
(journaliers). « Depuis lors et jusqu'à ce jour,
nous avons consolidé nos relations économiques et
commerciales, ainsi que notre coexistence
particulière, tantôt comme voisins éloignés,
tantôt comme amis proches. » Il n'a pas mentionné
qu'il s'agissait également d'une relation
d'imposition, de maltraitance, d'exploitation et
de violence.
Sur un autre
point concernant la migration qui a explosé avec
les impositions du Fonds monétaire international à
partir de 1977 et avec la signature de l'ALÉNA en
1992 qui a présidé à l'exode de 12 millions de
Mexicains à cause de la dévastation économique
résultant de ce traité, AMLO l'attribue à «
l'histoire, la géopolitique, le voisinage et les
circonstances économiques [sic] qui ont encouragé
la migration. »
« Il s'est formé ici une communauté d'environ 38
millions de personnes, y compris les enfants de
parents mexicains. Il s'agit d'une communauté de
gens cordiaux et travaillants qui sont venus pour
gagner honnêtement leur vie et qui ont beaucoup
contribué au développement de cette grande nation.
» Lopez Obrador a oublié de mentionner comment
cette communauté de gens cordiaux et travaillants
est maltraitée et que nous ne sommes pas que 38
millions de Mexicains aux États-Unis, il y en a 15
millions de plus qui sont « invisibles » parce
qu'ils sont considérés comme « illégaux » et
qu'aucun droit humain ne leur est reconnu pour le
seul crime de chercher là-bas le travail qu'ils ne
trouvent pas au Mexique. Ils sont expulsés après
avoir vécu des années aux États-Unis, ils sont
enfermés dans des cages, leurs familles sont
séparées et leurs enfants arrachés à leur foyer.
AMLO rappelle que plus d'Américains (un million et
demi) vivent au Mexique et font partie de notre
société que dans toute autre partie du monde, et
conclut : « Nous sommes donc unis, plus que par la
proximité géographique, par divers liens
économiques, commerciaux, sociaux, culturels et
d'amitié. » Il ne dit pas comment les Mexicains
sont traités aux États-Unis ou comment les
Étatsuniens sont traités au Mexique.
Et puis, louant le président Trump, il a dit : «
Comme dans les meilleurs moments de nos relations
politiques, pendant mon mandat comme président du
Mexique, au lieu d'insultes à mon égard ou, ce que
j'estime le plus important, à l'égard de mon pays,
nous avons reçu de vous compréhension et respect.
»
Fermant les yeux, il affirme : « Je pense qu'il
n'y aura ni raison ni nécessité de rompre nos
bonnes relations politiques et l'amitié entre nos
gouvernements. » Il a parlé ainsi à Washington,
endroit d'où sont ourdies les attaques, les
interventions et les agressions contre Cuba et le
Venezuela, la Bolivie, la Syrie, la Libye, le
Yémen, la Palestine, l'Iran, la Chine. AMLO a
parlé comme s'il avait devant lui un voisin
respectueux, bon et prévenant, oubliant que Trump
venait de menacer d'intervenir au Mexique contre
les « bad boys », oubliant l'histoire centenaire
de l'empire yankee.
Après avoir rappelé que Franklin Roosevelt n'est
pas intervenu ouvertement contre l'expropriation
pétrolière de 1938, AMLO a remercié Trump , oui...
l'a remercié d'être « de plus en plus respectueux
envers nos compatriotes mexicains », l'a remercié
de sa compréhension et de son aide en matière de
commerce et de pétrole et pour l'acquisition
d'équipements médicaux pour traiter les malades de
la COVID-19.
Puis, pour le comble, il a exprimé son
appréciation de Trump qui, et je cite, « n'a
jamais cherché à nous imposer quoi que ce soit qui
viole ou affaiblisse notre souveraineté ». Il a
dit que ce dernier a abandonné la doctrine Monroe.
Il a déclaré que Trump, le magnat, n'a jamais
traité le Mexique comme une colonie et a plutôt «
respecté notre statut de nation indépendante [...]
et s'est comporté envers nous avec gentillesse et
respect ». AMLO a oublié encore une fois que Trump
a menacé d'imposer des droits de douane sur les
marchandises mexicaines si le Mexique, avec sa
garde nationale, ne surveillait pas sa frontière
sud pour empêcher l'entrée des migrants d'Amérique
centrale et que, dans la pratique, le Mexique est
devenu un « pays tiers » chargé de retenir les
migrants sur son territoire afin qu'ils n'entrent
pas aux États-Unis, qu'aujourd'hui, au sud du
Mexique, il existe un autre mur virtuel contre les
migrants.
Enfin, il
semble que Trump et Lopez Obrador ont un ennemi
commun : les démocrates et l'ancien président
mexicain Felipe Calderon, et qu'ils sont d'accord
pour dévoiler l'opération criminelle « Fast and
Furious », dans laquelle le gouvernement d'Obama a
envoyé au Mexique, en accord avec Calderon, 2 000
armes puissantes à livrer aux cartels criminels de
la drogue. Si ce scandale éclate, ce sera dans
l'intérêt des deux dirigeants. On ne sait pas si
c'était là le véritable intérêt d'AMLO et de Trump
pour cette rencontre, en plein au moment où la
pandémie de la COVID-19 crée de nouvelles
difficultés.
Lors de ce voyage à Washington, le gouvernement
actuel montre qu'il suit en fait la même ligne que
les précédents gouvernements du PRI et du PAN, la
construction d'États-Unis intégrés des oligopoles
d'Amérique du Nord. Ce seront les peuples des
États-Unis, du Canada et du Mexique qui assumeront
leur souveraineté, en défendant les intérêts des
peuples et des travailleurs des trois pays contre
les intérêts privés étroits des oligopoles et de
leurs gouvernements, poursuivant leur
développement indépendant et libre, dans la
justice, la paix et la démocratie sous le mot
d'ordre : « Intégration NON, Souveraineté, OUI ! »
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 46 - 18 juillet 2020
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Les États-Unis des oligopoles
d'Amérique du Nord: Le président Obrador va à Washington - Pablo Moctezuma Barragan
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