Septième anniversaire de la
tragédie de Lac-Mégantic
Le besoin de bâtir une autorité publique qui défend l'intérêt public et non l'intérêt privé
- Pierre Chénier -
Le 6 juillet 2020 était le septième anniversaire
de la tragédie de Lac-Mégantic, une des pires
catastrophes ferroviaires de l'histoire du Canada.
En fin de soirée le 5 juillet 2013, un convoi de
trains de marchandises constitué de cinq
locomotives et de 72 wagons-citernes non conçus
pour transporter le type de pétrole brut qu'ils
contenaient, a été laissé sans surveillance durant
la nuit à Nantes, en Estrie. Vers une heure du
matin, le train s'est mis de lui-même à descendre
la pente menant à Lac-Mégantic. Il a fallu
peu de temps pour que 63 wagons déraillent en
plein centre-ville, déversant leur contenu et
entraînant une série d'incendies et d'explosions
d'envergure catastrophique. Quarante-sept
personnes ont été tuées, de nombreuses autres
blessées et le centre-ville a été rasé. Les sols
ainsi que la rivière Chaudière et le lac Mégantic
lui-même ont été lourdement contaminés par les
déversements de pétrole brut.
Les résidents de Lac-Mégantic ont perdu plusieurs
des leurs, subi des dommages matériels et
environnementaux énormes à cause de l'extraction
frénétique du pétrole de schiste dans les champs
de Bakken dans le Dakota du Nord, qui sert la
machine de guerre des États-Unis et les
machinations des États-Unis contre les projets
souverains d'édification nationale des peuples
tels celui du Venezuela. Du jour au lendemain, des
voies ferrées délabrées ont été déclarées en
parfait état pour le transport de ce pétrole, des
wagons-citernes inadéquats sont devenus adéquats
et des années de déréglementation par l'État de
l'industrie ferroviaire ont servi la cupidité des
monopoles ferroviaires et pétroliers et préparé
les conditions pour cette catastrophe.
À l'occasion du septième anniversaire de la
tragédie, la ville de Lac-Mégantic a inauguré un Espace mémoire
dédié aux 47 victimes.
À l'occasion du septième anniversaire de la
tragédie, la population de Lac-Mégantic a organisé
des cérémonies commémoratives et réitéré ses
revendications en ce qui concerne la sécurité
ferroviaire. Les gens de Lac-Mégantic ont lutté
sans relâche depuis la tragédie du 6 juillet 2013
pour rebâtir leur vie, une chose qui est
impossible si la sécurité ferroviaire n'est pas
améliorée et s'ils n'ont pas leur mot à dire et
n'exercent pas un contrôle en tant que communauté
sur les mesures qui sont prises. Une revendication
centrale est la construction de la voie de
contournement, que les gouvernements fédéral et
québécois s'engagent à construire d'ici 2023, pour
que des produits dangereux ne passent plus par le
centre-ville de Lac-Mégantic. Les communautés
ferroviaires affectées par des déraillements de
train qui continuent de se produire de façon
régulière au Québec, au Canada et aux États-Unis
sont inspirées par la détermination qu'a
manifestée la communauté de Lac-Mégantic, avec
l'appui des gens de partout au Québec.
La lutte des résidents de Lac-Mégantic et de
tant de communautés ferroviaires est difficile et
pleine d'embûches, car ils affrontent la
déréglementation de l'industrie ferroviaire
organisée par l'État au service des monopoles
ferroviaires et de l'industrie gazière et
pétrolière. Ils sont également confrontés au plus
grand défi de tous, à savoir que les gouvernements
ne constituent plus une autorité publique et
qu'ils sont des serviteurs des intérêts
privés étroits qui ont usurpé l'appareil d'État.
Les conditions qui ont mené à la catastrophe de
Mégantic ont été préparées par plus de trente ans
d'activités de saccage par l'État et les monopoles
ferroviaires.
En voici quelques exemples. Dans les années
1990, les entreprises ferroviaires comme le
Canadien Pacific (CP) et le Canadien National (CN)
ont été autorisées par le gouvernement libéral de
l'époque à se débarrasser de leurs lignes
régionales s'ils les déclaraient non rentables.
Certaines ont été vendues à des entreprises
prédatrices basées aux États-Unis, spécialisées
dans l'achat et la revente de sociétés
ferroviaires qui réduisent le nombre d'employés,
n'entretiennent pas les voies ferrées et abaissent
les normes de sécurité. Le CP s'est départi de
plusieurs lignes régionales, et c'est ainsi que la
ligne régionale qui comprend Mégantic s'est
retrouvée aux mains de Montreal, Maine and
Atlantic Railway (MMA) en 2003, qui en était le
propriétaire lorsque la catastrophe de Mégantic
s'est produite.
En 2001, le gouvernement libéral a introduit le
Système de gestion de la sécurité (SGS), un
système d'autoréglementation que les entreprises
ferroviaires élaborent elles-mêmes et que
Transport Canada se contente de vérifier par audit
et dont le contenu est tenu secret des
travailleurs et des communautés au nom de la
protection de la compétitivité des entreprises
ferroviaires.
En 2012, le gouvernement Harper a autorisé la
MMA à conduire ses trains avec une seule personne
à bord. Dans ce cas également, les soi-disant
conditions en vertu desquelles l'autorisation a
été donnée n'ont jamais été rendues publiques, au
nom de la protection de la MMA en tant
qu'entreprise privée.
Des concepts antisociaux comme la « gestion du
risque », « la sécurité en tant que coût à être
équilibré avec les autres coûts que les
entreprises doivent défrayer », la « compétitivité
» sont devenus dominants, et ils le sont encore,
au détriment des droits, de la sécurité et de la
voix des communautés.
Aujourd'hui, selon l'argument fallacieux qu'il
s'agit de décisions commerciales privées, le
gouvernement canadien ferme les yeux et laisse le
CP, par exemple, exercer le maximum de pression
sur les employés de bureau pour qu'ils conduisent
des trains et chargent des trains en remplacement
de mécaniciens de locomotive formés
professionnellement. Des accidents évités de
justesse, qui auraient pu avoir une fin tragique,
ont été signalés, mais tout cela fait partie de la
« gestion des risques » en vertu de laquelle le
message est que tout va bien, jusqu'à ce que des
tragédies se produisent et que les gouvernements
et les entreprises se disent attristés et
préoccupés, mais rien ne change. Les compagnies
ferroviaires utilisent désormais des personnes
inexpérimentées équipées de ceintures munies de
télécommandes pour marcher le long des trains afin
d'assembler et de démonter les trains le long des
voies de triage, au lieu d'utiliser des ingénieurs
de locomotive expérimentés pour diriger
l'opération à partir de la locomotive elle-même.
Cela a conduit à une augmentation du nombre de
trains à la dérive.
Le fait
demeure que sept ans après la tragédie de
Lac-Mégantic, les dangers à la vie humaine, aux
maisons et aux installations et à l'environnement
sont plus grands aujourd'hui que jamais à cause de
la négligence criminelle des monopoles
ferroviaires appuyés par les gouvernements.
Ceux-ci reconnaissent comme leur responsabilité
première et leur tâche la plus urgente d'accroître
leur capacité concurrentielle face aux autres
transporteurs nationalement et internationalement,
et cela à n'importe quel prix, et le gouvernement
refuse de les rendre redevables de leurs actions.
De plus en plus, ils disent aussi que c'est le
facteur humain qui est la cause des accidents et
des tragédies et que, si l'on ne mécanise pas le
processus à 100 %, en éliminant les travailleurs,
la sécurité ferroviaire continuera de se
détériorer et d'être sujette à l'« erreur humaine
».
Les travailleurs et les communautés rejettent
cette vision antisociale et ces pratiques
antisociales. C'est grâce à leur activation du
facteur humain/conscience sociale que la demande
de vraies solutions prosociales à de vrais
problèmes existe et est fermement plantée comme
base pour ouvrir la voie au progrès. Alors qu'ils
mettent de l'avant leurs demandes immédiates pour
des mesures qui font respecter la sécurité en
termes de conditions de travail, de personnel
requis, d'entretien des voies, de stationnement
sécuritaire des trains et de la voie de
contournement, ils continuent de souffrir du
traumatisme quotidien de la répétition d'accidents
en raison de l'approche antihumaine du
gouvernement. Ce n'est pas seulement un choc
post-traumatique, c'est le traumatisme quotidien
de savoir qu'une catastrophe peut se produire à
tout moment. Toute autorité digne de ce nom doit
disposer de mécanismes permettant aux personnes
concernées par les décisions prises d'avoir un mot
décisif à dire - sur la décision, la mise en
oeuvre et le suivi. Les gouvernements et les
intérêts privés étroits qu'ils servent doivent
être tenus pour responsables de leur réponse
antihumaine, antisociale et irresponsable aux
demandes de la communauté de Lac-Mégantic.
Lac-Mégantic a produit un éveil tragique et
profond au fait que c'est la vision et la pratique
néolibérales voulant que toutes les ressources de
la société soient mises à la disposition des
monopoles mondiaux menant directement à
l'autoréglementation des entreprises ferroviaires
et à la négligence criminelle qui causent anarchie
et chaos. Il en est de même des efforts concertés
des propriétaires privés et du gouvernement pour
blâmer les travailleurs. Les résidents de
Lac-Mégantic ont affronté la tragédie avec un
immense courage et avec le soutien de gens de
partout au Québec, au Canada, aux États-Unis et
dans le monde. Tous ensemble, les travailleurs et
le peuple se battent pour mettre un terme à ces
tragédies en se prenant en main afin de pouvoir
contrôler leur vie.
À l'occasion du septième anniversaire de la
tragédie, nous saluons chaleureusement la
communauté de Lac-Mégantic qui continue de rebâtir
sa vie et d'apporter une contribution importante à
la lutte pour la sécurité de tous et de toutes.
(Photos: LML, La Tribune)
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 45 - 11 juillet 2020
Lien de l'article:
Septième anniversaire de la
tragédie de Lac-Mégantic: Le besoin de bâtir une autorité publique qui défend l'intérêt public et non l'intérêt privé - Pierre Chénier
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