30e anniversaire de la défaite de l'Accord du lac Meech

Le renouveau politique et constitutionnel, plus que jamais à l'ordre du jour

Le 23 juin 2020 était le 30e anniversaire de la défaite de l'Accord du lac Meech. Trente ans plus tard, le besoin d'investir le peuple du pouvoir souverain par le renouveau politique et constitutionnel demeure le problème posé et à résoudre. Les luttes des travailleurs, des jeunes, des femmes et des Premières Nations pour leurs droits et les droits de tous, notamment la lutte contre la COVID-19, se heurtent à la privation de leur pouvoir politique qui bloque la mise en oeuvre d'un projet d'édification nationale qui défend les droits de tous, donne une nouvelle direction à l'économie et fait du Canada une zone de paix.

Aujourd'hui, le pouvoir politique est concentré entre les mains de grands intérêts supranationaux privés qui agissent à la fois en collusion et en rivalité pour le profit privé étroit et la domination. Ils accaparent les États, dont celui du Canada, au détriment du bien-être de tous et du droit du peuple de décider de ses affaires. Le régime constitutionnel canadien est aujourd'hui l'instrument de factions de l'élite dirigeante impérialiste, qui n'ont d'autres liens réels avec les Canadiens que celui du pouvoir économique et politique qu'elles ont usurpé et qu'elles exercent contre eux, et qui opèrent à travers les divers gouvernements, les institutions dites démocratiques, les partis politiques cartellisés du parlement canadien, les assemblées législatives provinciales et l'Assemblée nationale du Québec. Le Canada a urgemment besoin d'une constitution moderne qui place la souveraineté dans les mains du peuple et qui reconnaît les droits de tous, dont les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones et le droit de la nation québécoise à l'autodétermination.

L'échec de l'Accord du lac Meech

Il y a 30 ans, le 23 juin 1990, échouait l'Accord du lac Meech, un ensemble d'amendements à la Constitution du Canada négocié en 1987 derrière des portes closes par le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, et les premiers ministres des provinces. La défaite de Meech signalait un nouvel approfondissement de la crise constitutionnelle, laquelle est maintenant devenue une crise existentielle à cause de l'intégration du Canada à l'économie de guerre et aux arrangements des États-Unis.

L'Accord de Meech avait été signé à cause de la crise qui a fait suite au référendum de 1980 au Québec sur la place du Québec dans le Canada et du refus du Québec de signer la Constitution de 1982 rapatriée par le gouvernement de Pierre Trudeau. Trudeau avait promis de rédiger une nouvelle entente constitutionnelle après la défaite du référendum de 1980 du Québec et cette promesse s'est soldée deux ans plus tard par l'ajout de la Charte des droits et libertés et d'une formule d'amendement à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Appelées Loi du Canada, elles ont été adoptées par le parlement britannique le 29 mars 1982 et on a prétendu qu'avec cette loi la Constitution du Canada était « rapatriée ». On a dit que cela mettait fin à la dépendance du Canada envers la Grande-Bretagne, alors qu'en réalité la Reine d'Angleterre demeure la cheffe d'État du Canada.

La loi constitutionnelle de Trudeau (de 1982) était l'« équivalent canadien » de l'Acte du Canada du parlement britannique et elle était incluse dans celui-ci avec une formule d'amendement et la Charte des droits et libertés. Or, elle ne reconnaissait pas le droit du Québec à l'autodétermination et par conséquent le Québec refusa d'en être signataire, ce qui causa une crise constitutionnelle. C'est pour tenter de la résoudre que le gouvernement de Brian Mulroney entama en 1985 des négociations constitutionnelles qui allaient conduire à l'Accord du lac Meech deux ans plus tard le 23 juin 1987.

Le premier ministre du Québec de l'époque, Robert Bourassa, a dit que le Québec signerait la Constitution si cinq modifications lui étaient apportées :

- la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme société distincte ;
- un veto constitutionnel pour le Québec sur les changements constitutionnels ;
- une voix au chapitre pour le Québec sur la nomination des juges de la Cour suprême du Canada ;
- une garantie constitutionnelle de pouvoirs accrus en matière d'immigration ;
- la limitation du pouvoir fédéral de dépenser.

Ces modifications et l'Accord ne s'attaquaient pas aux causes de la crise constitutionnelle. Il fallait notamment garantir des relations de nation à nation avec les peuples autochtones de façon à mettre fin à l'injustice coloniale et à offrir des compensations pour tous les torts qui leur ont été faits ; il fallait mettre fin à toutes les notions de droits basées sur le privilège et les soi-disant limites raisonnables, investir le peuple du pouvoir et non une personne d'État fictive, sans parler d'un monarque étranger, et enchâsser des droits égaux pour tous les citoyens et résidents. Enfin, il fallait reconnaître le droit du peuple du Québec à l'autodétermination, y compris la sécession si telle est sa décision, ce que l'Accord du lac Meech a refusé de faire.

Deux ans après l'échec de l'Accord de Meech, une autre entente constitutionnelle a été conclue derrière des portes closes appelée Accord de Charlottetown, qui a été soumise à un référendum. Le premier de trois livres (ci-dessus) écrits par Hardial Bains durant la campagne référendaire donnait la vraie information sur le contenu et la signification de l'Accord, lequel fut rejeté par les Canadiens.

L'Accord de Meech visait en fait à maintenir le statu quo en déclarant le Québec « société distincte » au sein du Canada, ce qui embrouillait les cartes. Il donnait un veto constitutionnel au Québec, augmentait les pouvoirs des provinces en matière d'immigration, étendait et réglementait le droit à une compensation financière raisonnable pour toute province qui se retirerait de quelque programme fédéral futur dans un domaine de juridiction exclusivement provinciale et donnait voix au chapitre aux provinces dans la nomination des sénateurs et des juges de la Cour suprême.

Puisque Meech aurait changé la formule d'amendement de la Constitution et modifié le processus de la Cour suprême, il fallait obtenir le consentement de toutes les législatures provinciales et du parlement canadien dans un délai de trois ans, soit en juin 1990. Les dix premiers ministres provinciaux s'étaient tout de suite mis d'accord, mais le consensus ne dura pas les trois ans requis pour obtenir le consentement des assemblées législatives. Une conférence des premiers ministres fut convoquée vingt jours avant l'échéance pour essayer de sauver Meech et il fut convenu que Meech devait être suivi d'une autre ronde de négociations constitutionnelles.

Le premier ministre de Terre-Neuve, Clyde Wells, s'attaqua au secret du processus décisionnel. Le 23 juin 1990, date limite, Elijah Harper, député autochtone de l'Assemblée législative du Manitoba, signala son refus de consentement en brandissant une plume d'aigle, rendant ainsi impossible l'unanimité requise de l'assemblée. Wells annula sa proposition de tenir un vote à l'assemblée de Terre-Neuve et l'Accord du lac Meech était officiellement mort. C'était l'échec de l'Accord du lac Meech.


Manifestation contre l'Accord du Lac Meech devant l'Assemblée législative
du Manitoba le 21 juin 1990

Les problèmes intrinsèques à l'Accord

Une des principales caractéristiques de l'Accord de Meech était de ne pas clarifier ce que voulait dire « société distincte » en parlant du Québec. Il affirmait que le Québec était une « société distincte » et que « la législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte ». La « société distincte » est restée indéterminée dans les documents, les aspects « distincts » du Québec n'y étaient pas énumérés et il n'y avait pas de critères par lesquels les préserver et les promouvoir. Le terme « société distincte » a été le sujet de nombreuses interprétations, mais celle qui a dominé les cercles politiques officiels était que le Québec est distinct en raison de la langue française uniquement. En faisant de la langue la seule question, la formulation de Meech sur la « société distincte » niait que le peuple québécois est une nation ayant évolué au fil de l'histoire avec une communauté d'économie et de territoire, une langue, une culture et une psychologie portant l'empreinte de cette histoire. Qui plus est, elle niait au peuple québécois le droit à l'autodétermination. Le fait de dire à l'Assemblée nationale ce qu'elle devait faire n'a pas été bien reçu non plus.

Un autre aspect important de l'Accord de Meech est la promotion qu'il faisait de la désunion et de l'inégalité. Le fait de définir une nation uniquement par sa langue mène à la théorie que le Canada est habité par un grand nombre de « nations linguistiques », toutes susceptibles d'un statut indépendant, mais dont seulement les langues « anglaise » et « française » ont une place d'honneur. Il n'y a pas de corps politique où tous ses membres sont égaux, avec les mêmes droits et devoirs et qui sont garantis par la Constitution.

Meech encourageait la désunion également en octroyant certains pouvoirs fédéraux aux provinces comme s'il s'agissait de dix petites nations (les provinces) regroupées dans une grande nation (le gouvernement fédéral). Les deux territoires (le Nunavut n'existait pas encore) ne furent pas invités au lac Meech (ils ont participé par téléconférence) parce que le premier ministre considérait que leur pouvoir était insuffisant, établissant ainsi la possibilité de différents statuts selon la région. D'autre part, Meech accordait à chaque province un pouvoir de veto en matière législative et il était clair que chaque province s'en servirait pour avancer les intérêts étroits des regroupements économiques et politiques régionaux qui finançaient les gouvernements plutôt que de mettre de l'avant l'intérêt ou le but national d'ensemble.

Le troisième aspect de Meech était son refus d'affirmer ou même d'aborder le sujet des droits ancestraux des peuples autochtones, ce qui revenait à supprimer ces droits. Les droits ancestraux des peuples autochtones ne sont pas un élément périphérique, ils doivent être enchâssés dans la Constitution. Les Autochtones ont le droit légitime de revendiquer les terres de leurs ancêtres et d'en disposer comme ils l'entendent. En tant que peuples souverains, ils ont le droit de décider de leurs affaires, mais aussi de participer à la décision des affaires du Canada dans son ensemble. Aucune des modifications proposées par l'Accord de Meech n'abordait ces sujets. Les chefs autochtones présentèrent deux autres objections. La première concernait leur exclusion de l'ensemble des travaux de Meech. L'autre concernait le transfert possible de services fédéraux aux provinces prévu dans la clause sur le droit de retrait avec compensation, ce qui risquait d'entraîner le démantèlement de programmes essentiels pour les peuples autochtones.

Le quatrième aspect principal de Meech était le caractère antidémocratique des procédures. Toutes les consultations eurent lieu derrière des portes closes. Les gens disaient que c'était une rencontre de onze hommes blancs à cravate pour décider du sort du pays entre eux. Une fois l'accord conclu dans le secret, les onze premiers ministres tentèrent de l'imposer au peuple sans autre discussion ou délibération. Il n'y eut pas de consultation populaire, l'ordre du jour n'était pas établi suivant les désirs du peuple et les points discutés et inclus dans l'accord étaient ceux que les premiers ministres voulaient discuter et inclure.

Les procédés de Meech et la Commission Spicer

L'extrême mécontentement de la population face aux procédés de Meech fut capté par le Forum des citoyens sur l'unité nationale de 1990, appelé Commission Spicer, que Mulroney fut forcé d'établir après la défaite de Meech, disant que son gouvernement voulait entendre les opinions des Canadiens. Le rapport de la Commission Spicer publié en 1991 permet de constater que les Canadiens étaient très conscients que quelque chose manquait dans le processus politique canadien, qu'on ne pouvait pas faire confiance aux hommes et aux femmes politiques et qu'il manquait les mécanismes nécessaires pour habiliter le peuple. Beaucoup ont réclamé la convocation d'une assemblée constituante qui permettrait au peuple de délibérer et de décider de la constitution qu'il veut.

Toutes les recommandations et propositions de la Commission Spicer ont par la suite été ignorées par le Gouvernement du Canada.

Problème posé et à résoudre

Les peuples aujourd'hui veulent être les arbitres et les décideurs. C'est la bataille qui se mène partout sur la question de qui décide. Les Canadiens, les Québécois et les peuples autochtones ont rejeté Meech parce qu'aujourd'hui l'histoire exige que le pouvoir soit transféré au peuple qui agit de son propre chef et dans son propre intérêt.

L'Accord du lac Meech a confirmé que dans la forme de pouvoir politique héritée par le Canada, le pouvoir absolu aujourd'hui réside dans les oligarques financiers et leurs représentants politiques. Ce pouvoir absolu n'est pas le défenseur des droits du peuple et n'est pas au service du bien-être du peuple et de la résolution des problèmes qu'il confronte. La réalité est que l'autorité publique a depuis longtemps été détruite et que des intérêts privés étroits ont directement usurpé les institutions publiques, lesquelles sont dorénavant leur chasse gardée.

Aujourd'hui, aucun gouvernement n'a le consentement des gouvernés et la nécessité d'un renouveau démocratique est plus urgente que jamais.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 42 - 27 juin 2020

Lien de l'article:
30e anniversaire de la défaite de l'Accord du lac Meech: Le renouveau politique et constitutionnel, plus que jamais à l'ordre du jour - Christine Dandenault


    

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