L'Alberta et le Canada nient la pauvreté monétaire de la nation crie dans leur plus récent appel sur l'attribution de frais de justice


Ma communauté natale, la nation crie de Beaver Lake, traité numéro 6 (Alberta), a intenté une poursuite judiciaire en 2008 en raison de l'échec de la Couronne à tenir compte des impacts cumulatifs du développement industriel, y compris les nombreux projets de sables bitumineux — un des plus grands développements d'énergie à grande intensité carbonique au monde. Le premier projet de ce genre à l'époque, l'action sur les droits de traité à enjeux élevés crée un précédent pour les tribunaux canadiens. Avec le procès du traité cri de Beaver Lake, ce sera la première fois que la cour devra fixer une limite par rapport au développement industriel et définir ce qui constitue un abus dans le contexte du traité 6.

L'application du traité exige que la Couronne considère les effets cumulatifs du développement industriel qui menacent les droits de traité au mode de vie, y compris le droit de chasser, de pêcher, de trapper et de cultiver, et cette obligation relève de la Couronne.

Si la Couronne détruit l'exercice significatif des droits de traité en refusant de considérer quelles terres et quelles ressources sont nécessaires au maintien du mode de vie de Beaver Lake, et si ces seuils sont dépassés en raison d'une multitude d'autorisations pour l'utilisation des terres, alors nos droits ont été niés.

La Couronne a systématiquement nié que les traités assurent à ma communauté le maintien de son mode de vie, et elle nie qu'en vertu du traité elle doit considérer les impacts réunis de multiples activités industrielles sur le mode de vie des Cris de Beaver Lake au fil du temps.
Elle se donne plutôt l'autorité de céder des terres — pour lesquelles elle n'a aucun acte de vente — avec comme seule responsabilité l'obligation de consulter, et elle conteste le fait qu'elle doit tenir compte des impacts cumulatifs sur les droits de traité de Beaver Lake, et, sans tenir compte de ces considérations dans leur ensemble, les consultations sont faites sur la base d'un projet à la fois.

Récemment, la Cour d'appel de l'Alberta, dans l'affaire Première Nation de Fort McKay c. Prosper Petroleum Ltd, a confirmé qu'il existe bel et bien une telle obligation, contrairement à la position de la Couronne. Cependant, les tribunaux n'ont pas encore mesuré spécifiquement l'ampleur des obligations de la Couronne dans les cas d'impacts cumulatifs du développement industriel sur les droits de traité. En ce sens, l'affaire de Beaver Lake consoliderait la loi sur les questions suivantes : le traité 6 protège-t-il un mode de vie ? ; qu'est-ce qui est requis de la Couronne pour assurer cette protection ? ; à quel moment la prise en charge d'une terre atteint-elle le seuil de l'infraction ; et quelle est la solution face à cette infraction ?

Beaver Lake préférerait négocier ces questions. Comme l'a affirmé la chef de la nation crie de Beaver Lake, Germaine Anderson, « la Nation ne s'est jamais opposée aux négociations, nous avons toujours exprimé notre intérêt, et pourtant nous n'avons pas été invités à participer ni à les rencontrer à la table de négociation. »

Cependant, la Couronne a jusqu'ici refusé un ordre du jour qui permettrait une négociation significative de ces questions complexes, ainsi que le financement approprié qui assurerait la participation significative de Beaver Lake. Le Canada prétend aussi que les négociations peuvent avoir lieu dans le contexte d'un processus spécial de revendication, ce qui revient à dire qu'il s'engagerait à traiter seulement de l'infraction que constitue la présence d'un champ de tir militaire en plein centre de notre territoire.

Pourtant, même au cours de cette démarche, nous avons fait de multiples tentatives d'avancer à la première étape seulement pour être rejetés sur la base que notre temps était écoulé pour cette année fiscale. Nous n'avons pas encore reçu d'information nous disant si notre demande a été acceptée et quand elle serait entendue. Par conséquent, une décision judiciaire liée au maintien de nos pratiques axées sur la terre est requise puisque la Couronne conteste ses obligations de traité telles que soulevées, et continue d'autoriser l'utilisation de la terre sans égard à l'impact cumulatif sur les droits de traité.

Les questions soulevées par ce cas sont difficiles, complexes, larges et ont engendré une multitude d'étapes préprocès, y compris de nombreuses motions pour mettre fin à la procédure. Depuis dix ans, Beaver Lake a fait valoir cette requête complexe du mieux qu'elle a pu, au coût de 3 millions de dollars. La moitié des fonds a été accordée par de généreux donateurs qui ont compris l'importance que ces questions soient entendues par les tribunaux. Comprenant que cette affaire en est une de justice environnementale, de santé et de protection, ils ont appuyé les efforts de Beaver Lake pour consolider les droits de traité.

Mais comme plusieurs nations de traité, Beaver Lake est une communauté monétairement appauvrie. Elle n'a que tout récemment commencé à mettre de côté certaines réserves monétaires limitées, dont elle a désespérément besoin pour régler la grave situation de pauvreté monétaire dont souffre la Nation. Cependant, c'est une réserve monétaire instable à l'avenir incertain. Aussi est-elle requise en cas d'urgences, comme pour la récente pandémie et pour soutenir l'infrastructure défaillante comme l'usine de traitement d'eau et les lignes de gaz naturel, lesquelles fournissent chauffage et eau pour nos foyers, notre école, notre service de garde et notre prématernelle.

Ainsi, en 2018, après dix ans d'investissement dans cette affaire — défendant les plaidoyers, répondant aux particuliers, colligeant les preuves provenant de 100 membres, et ayant recours à un grand nombre d'experts — nous sommes arrivés à la décision déchirante que nous ne pouvions procéder avec le litige puisque 5 millions de dollars de plus étaient requis pour l'obtention d'un procès, une somme que la Nation n'a tout simplement pas. Nous nous sommes rendu compte que ce ne serait pas prudent pour la Nation de ne construire que la moitié d'un pont.

En avril 2018, Beaver Lake a présenté une demande de coûts intermédiaires, demandant à la Cour d'ordonner que le Canada et l'Alberta couvrent les frais de justice afin de pouvoir poursuivre le procès. Pour ce faire, elle a assumé la charge de la preuve et a péniblement étalé sa pauvreté monétaire et ses défis communautaires dans un dossier de plus de 5 400 pages d'états financiers, les comptes généraux du grand livre, les relevés bancaires, les ententes de répercussions et d'avantages, les documents de fiducie, les vérifications de Services autochtones Canada et plus. La juge Browne, qui avait présidé au procès pendant sept ans, a entendu l'affaire pendant deux jours et demi en février 2019, tandis que les aînés, utilisateurs de la terre et le leadership observaient, après avoir fait des levées de fonds pour faire le voyage à l'extérieur de la communauté pour être présents au procès.

Dans une décision rendue en septembre 2019, la juge Browne a trouvé que l'affaire avait du mérite, était importante pour le public et dans l'intérêt de la justice et qu'elle devait procéder. Elle a trouvé que Beaver Lake était sans le sou, ayant peu ou pas d'argent, si bien que « le litige ne pourrait se poursuivre si l'ordre n'était pas donné ». Elle a déterminé que l'intérêt de la justice serait mieux servi par un ordre partiel de frais de justice. Elle a ordonné que tous les partis — Beaver Lake, le Canada et l'Alberta — partagent les frais du litige et verse 300 000 dollars annuellement jusqu'à ce que la question soit résolue. Ainsi, elle a reconnu que le double objectif de réconciliation et d'accès à la justice ne pouvait être atteint sans un tel ordre, par lequel elle commencerait à examiner l'énorme déséquilibre de pouvoir entre les partis.

Maintenant, en dépit du fait qu'il y a reconnaissance du mérite de la démarche et de son importance pour le public, le Canada et l'Alberta en ont appelé de la décision sur les frais et continuent de nier la pauvreté monétaire de Beaver Lake. Le Canada et l'Alberta auraient pu choisir d'accepter la décision de la juge Browne et d'aller de l'avant pour que le bien-fondé de l'affaire puisse être établi en juin 2024 — la date fixée pour le procès de 120 jours —, mais, dans un effort pour éviter que la cour ne crée un précédent sur une question de telle importance, ils ont plutôt choisi de remettre en cause l'étendue de la pauvreté monétaire de Beaver Lake. L'appel, fixé au 4 juin, déterminera si oui ou non la Nation va continuer sur sa voie d'accéder à la justice, ou si cela lui sera nié en raison de sa pauvreté monétaire.

Le Canada et l'Alberta ont tenté, par leur développement de nos terres, de priver ma Nation d'un mode de vie significatif, d'une vie riche et abondante. Maintenant, par cette requête, ils disent que nous devrons verser chaque sou que nous avons, peu importe si nous avons besoin de cet argent pour répondre à des besoins d'aide de base et/ou aux besoins les plus fondamentaux de la communauté.

Notre conception du monde en tant que peuples autochtones est fondée sur notre relation avec l'eau, l'air que nous respirons, les minéraux de la terre et toute la flore et la faune qui marche, rampe, vole et nage. C'est en raison de ce privilège que nous avons d'être dans cette relation significative et profonde que nous engageons nos efforts collectifs et notre résilience dans la consolidation de nos droits. Nous le faisons pour que nous puissions continuer de vivre notre vie riche et abondante, « aussi longtemps que brille le soleil, que pousse l'herbe et que coulent les rivières ».

Crystal Lameman est coordonnatrice de traités pour la nation crie de Beaver Lake.

(Repris de raventrust.com. Traduit de l'anglais par LML)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 40 - 13 juin 2020

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