Un rapport sur la gestion d'actifs et la stabilité financière aux États-Unis

En 2013, le Bureau de la Recherche financière (OFR) du département du Trésor des États-Unis a présenté un aperçu et fait une analyse succincte de l'industrie de la gestion d'actifs, en particulier sur la façon dont des entreprises géantes comme BlackRock et Vanguard, de par leurs activités, pouvaient créer des « vulnérabilités » qui menacent la stabilité financière du système économique[1]. L'étude, intitulée « La gestion d'actifs et la stabilité financière », a été menée au nom du Conseil de surveillance de la stabilité financière du gouvernement américain pour mieux éclairer son analyse quant à savoir si ces entreprises devraient être soumises à une « surveillance et à des normes prudentielles renforcées » comme cela est stipulé dans la Loi Dodd-Frank, adoptée au lendemain de la crise financière de 2008.

La réglementation financière est l'un des outils permettant aux grandes entreprises et aux banques qui dominent l'économie de régler leurs contradictions internes, mais elle est également utilisée comme une arme par une faction, un secteur ou un cartel contre l'autre. En ce sens, le fait que les entreprises géantes de gestion d'actifs ne sont pas assujetties à la réglementation au même titre que d'autres secteurs de l'industrie financière, ce qui leur donne un avantage concurrentiel, se trouve au coeur d'une controverse aux États-Unis. Pour maintenir cette position, BlackRock, la plus grande entreprise de gestion d'actifs au monde, a toujours réussi à éviter ces règlements, au point de refuser d'être nommée « institutions financières d'importance systémique » (où elle se serait vu imposer des règlements) malgré sa taille et son influence gigantesques. En effet, à ce jour, les entreprises de gestion d'actifs restent peu assujetties aux règlements malgré les efforts de l'OFR et d'autres sections de l'oligarchie financière. Néanmoins, dans son rapport l'OFR soulève certains des risques et des dangers que pose l'ascension de ces entreprises de gestion d'actifs pour l'économie dans son ensemble.

Selon le rapport, l'industrie de la gestion d'actifs aux États-Unis a supervisé l'allocation de près de 53 billions de dollars en actifs financiers en 2013. En 2020, ces actifs représentent près de 90 billions de dollars (l'équivalent du PIB de tous les pays du monde réunis). Aussi, l'industrie serait au coeur de l'allocation d'actifs financiers au nom d'investisseurs et serait caractérisée par une grande innovation et une activité financière diversifiée. Les entreprises de gestion d'actifs et les fonds qu'elles gèrent « transigent avec d'autres institutions financières pour transférer des risques, déterminer les prix et investir du capital mondialement à travers une variété d'activités ».

Cependant, leurs activités se distinguent sur plusieurs points importants de celles des banques et des compagnies d'assurances (bien que ces dernières puissent aussi avoir des divisions de gestion d'actifs en leur sein). Par exemple, « les gestionnaires d'actifs agissent avant tout comme agents : gérer des actifs au nom de clients plutôt que d'investir au nom de gestionnaires. Les pertes — ainsi que les gains — reviennent aux clients plutôt qu'aux entreprises de gestion d'actifs. »

En revanche, bien que certaines activités de gestion d'actifs puissent être similaires, « les banques commerciales et les compagnies d'assurances agissent normalement comme principaux : acceptant les dépôts avec une responsabilité de rachat sans frais et sur demande, ou assumant des responsabilités spécifiques vis-à-vis les assurés ».

Selon le rapport, les entreprises de gestion d'actifs pourraient potentiellement participer à un certain ensemble d'activités associées aux fonds ou aux entreprises au sein d'une grande et complexe entreprise, ou avoir un nombre important de gestionnaires d'actifs qui participent à des activités encore plus risquées, l'ensemble de ces activités pouvant représenter une menace pour le système capitaliste monopoliste ou, encore, amplifier ou transmettre une telle menace.

Le rapport identifie quatre facteurs clés qui rendent l'industrie de la gestion d'actifs vulnérable aux menaces et aux chocs: 

1. « un rendement boursier » — c'est-à-dire la recherche de retours sur investissement toujours plus élevés en acquérant des actifs plus à risque, ainsi que l'adoption de « comportements mimétiques », comme se ruer pour entrer ou sortir des marchés et des investissements, en particulier en période de marchés tendus ; 

2. le « risque de rachat » — c'est-à-dire le retrait prématuré ou accru de fonds d'une institution ou d'un instrument financier, etc. dans un marché tendu ou non liquide occasionnant une crise en cascade et même des insolvabilités ; 

3. « l'effet de levier » — c'est-à-dire le recours aux fonds empruntés, pouvant amplifier les mouvements du prix des actifs et accroître le potentiel d'une « vente de feu » de ces actifs, pouvant ensuite s'étendre à l'ensemble du marché ;

4. « les entreprises comme sources de risques » — c'est-à-dire qu'en raison de leur taille, l'échec d'une grande entreprise de gestion d'actifs pourrait représenter un risque pour la stabilité financière de l'économie dans son ensemble, comme cela s'est produit dans plusieurs grandes institutions financières de Wall Street en 2008.

Autrement dit, plus elles sont grosses, plus cela frappe quand elles tombent. Le problème est qu'elles ne font pas que heurter le sol avec force, elles entraînent toute l'économie dans leur chute, plongeant des millions de travailleurs, de petites et moyennes entreprises, de retraités et l'ensemble de la population dans la crise et la ruine.

À cet égard, l'industrie de gestion d'actifs est grandement concentrée. Bien que dans le rapport on ne retrouve pas du tout le mot cartel, certaines des activités qui y sont décrites laissent entendre une activité de type cartel. Par exemple, dans le rapport il est affirmé que « l'interconnectivité et la complexité peuvent transmettre ou amplifier des menaces à la stabilité financière » et que « les grandes compagnies financières tendent à avoir des lignes commerciales qui sont interconnectées de façon complexe ». Aussi, « ces menaces sont particulièrement aigües lorsqu'un nombre restreint d'entreprises domine une activité particulière ou une offre de fonds ». Ceci vient évidemment contredire le mantra des entreprises de gestion d'actifs comme BlackRock à l'effet que « les fonds négociés en bourse » (FNB) et autres instruments financiers qu'elle domine dans les marchés canadiens autant qu'américains sont des investissements sûrs.

Ce qui ressort du rapport, c'est le niveau élevé d'instabilité potentielle et le chaos qui sommeillent au coeur du système financier et jusqu'à quel point celui-ci est de plus en plus en proie à la « loi de la jungle » où les plus puissants refusent de se soumettre même aux règlementations minimales. L'oligarchie financière a créé des institutions et des structures financières immenses et d'une grande complexité leur permettant de s'enrichir comme jamais. Du même coup, elle est comme l'apprenti sorcier invoquant des démons qu'elle ne peut contrôler, même si elle le voulait.

Malgré le risque, les gouvernements américain et canadien ont permis à ces entreprises de prendre de l'expansion et de dominer l'économie. Le plus inquiétant est qu'ils ont remis le pouvoir clé de consultation et de prise de décision entre les mains de BlackRock pour gérer le sauvetage face à la COVID-19. Ce qui en résultera reste à voir.

Note

1. Bureau de la Recherche financière des États-Unis, « Asset management and financial stability », septembre 2013


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 40 - 13 juin 2020

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Un rapport sur la gestion d'actifs et la stabilité financière aux États-Unis


    

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