L'incapacité à unir la bureaucratie militaire – un problème sérieux pour l'élite dirigeante des États-Unis
- Pauline Easton -
Une des tâches de la présidence des États-Unis
est de préserver l'union, ce qui requiert d'unir
la bureaucratie militaire. Cette bureaucratie, qui
a atteint d'énormes proportions, fait partie de la
machine d'État qui se perpétue d'un président à
l'autre. C'est l'État et son monopole sur l'usage
de la force qui assurent la continuité du pouvoir
des oligarques financiers et des intérêts privés
étroits qui se sont emparés du contrôle de l'État
américain. Alors que les gouvernements changent
d'une élection à l'autre, dans les conditions
actuelles où les institutions existantes de la
gouvernance, que ce soit le Congrès, les partis
politiques ou les élections, sont
dysfonctionnelles et ne servent plus à résoudre
les conflits, l'incapacité à unir la bureaucratie
militaire pose une menace croissante à l'union
elle-même.[1] Les appels
émis par les généraux et des sections du secteur
militaire sont un exemple de ce qui se produit
lorsque l'appareil militaire devient lui-même
politisé et ne se considère plus représenté par le
président, qui est aussi le commandant en chef.
Plusieurs des déclarations des personnalités
militaires et d'autres déclarations sont des
appels à suivre la Constitution lorsque et si des
militaires doivent être déployés contre le peuple
américain. Ils tendent à cacher que leur
déploiement en violation de la Constitution montre
que celle-ci n'est plus l'autorité aux États-Unis.
Lorsque des
généraux et de hauts représentants militaires, la
plupart retraités, prennent la parole contre le
président, dans ce cas-ci Donald Trump, cela est
contraire aux normes militaires selon lesquelles
les représentants militaires doivent demeurer
neutres afin de garantir leur engagement envers
quiconque devient commandant en chef. Ils jurent
allégeance à la Constitution, pas au président.
Depuis que l'offensive antisociale néolibérale a
été déclenchée dans les années 1990, des intérêts
privés étroits ont commencé à rivaliser pour
s'emparer directement du pouvoir d'État. Cela fait
quelque temps maintenant que les membres de
l'état-major interarmées des États-Unis - les plus
hauts commandants de la Marine, du Marine Corps,
de l'Armée et de l'Armée de l'air - font des
déclarations publiques dénonçant les gestes du
président. Par exemple, avant les événements
actuels, en réponse à des déclarations de Trump
sur les manifestations et la violence des nazis et
du KKK à Charlottesville, en Caroline du Nord, au
mois d'août 2017, les chefs militaires ont fait
des déclarations considérées comme des reproches
ouverts adressés à Trump. Les reportages
médiatiques ont mis l'accent sur le fait que les
déclarations « ont démontré un malaise profond au
Pentagone » et une « rupture dramatique avec la
tradition » selon laquelle les militaires ne font
pas de déclarations publiques qui contredisent le
président.[2]
Bien sûr, l'impression est créée que les
militaires soutiennent la Constitution des
États-Unis qui, doit-on croire, n'est pas raciste
jusqu'à la moelle. En plus, les forces armées sont
notoires pour leur racisme brutal, dans leurs
rangs et envers les peuples du monde. Les soldats
sont formés de manière à considérer les peuples
qui sont assujettis à l'agression des États-Unis
comme moins qu'humains, avec l'emploi d'épithètes
racistes. Inciter à l'intolérance et à la haine
afin de convaincre les soldats de massacrer l'«
ennemi » est considéré comme une partie nécessaire
de l'entraînement militaire. Cela montre que
l'objectif des commentaires des personnalités
militaires n'est pas de prendre position contre le
racisme qui a imprégné l'État américain et ses
forces armées « depuis 1775 », et qui a été et qui
demeure une partie intégrante de son génocide
contre les peuples autochtones, les Africains
asservis et aujourd'hui les Afro-Américains et les
peuples ciblés par leurs attaques, provenant de
tous les pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine
et des Caraïbes. En plus, cela cache le fait
qu'aujourd'hui de nombreuses unités de police, de
l'armée et des services spéciaux sont déployées à
l'échelle des États-Unis pour attaquer les
immigrants, les migrants et les Afro-Américains
sous la conduite directe du Commandement du Nord
pour « préserver la sécurité des États-Unis ».
Il est certain que les déclarations et les
politiques mises de l'avant par Trump attaquent le
pouvoir civil et démontrent le désespoir des
intérêts étroits privés impérialistes qui
préfèrent détruire ce qu'ils ne peuvent pas
contrôler. Cependant, les déclarations qui
prétendent défendre le pouvoir civil tel
qu'enchâssé dans la Constitution sont elles-mêmes
des actes de désespoir parce qu'il est clair que
ce pouvoir civil n'existe plus. Il avait été créé
pour protéger des intérêts de propriété privée et
a maintenant été usurpé par les cartels et les
coalitions qui décident de tout aujourd'hui.
Toutes sortes de commentaires sur le racisme sont
faits aujourd'hui par des dirigeants dont la tâche
principale est de détourner l'attention du fait
que la classe dirigeante des États-Unis est imbue
du racisme, organise des attaques racistes et
finance et arme les nazis et le KKK et des groupes
militaires afin de préserver son pouvoir et son
union. Tout comme ce fut le cas de la violence à
Charlottesville il y a deux ans, le traitement des
noirs et des minorités aux États-Unis est une
provocation organisée par l'État qui sert à
dresser les Américains les uns contre les autres
pendant que l'État s'en tire indemne.
Grâce à la lutte de résistance du peuple, la
manoeuvre ne réussira pas.
En même temps, les déclarations des plus hauts
représentants militaires et politiques révèlent la
désunion profonde et les conflits qui font rage au
sein des cercles dirigeants. Cela aussi est une
indication du grave danger de guerre civile et
potentiellement d'une guerre impérialiste plus
vaste.
La guerre d'agression est une des façons que les
présidents précédents ont utilisées pour unir la
bureaucratie. Cependant, les contradictions dans
les rangs des oligarques pour le contrôle du
pouvoir décisionnel sont si aiguës que même cela
ne fonctionne plus et les attaques contre le
peuple américain se sont intensifiées. Cela non
plus ne réussira pas à résoudre les problèmes
actuels auxquels les dirigeants font face, et
c'est pourquoi les dirigeants s'efforcent par
tous les moyens de préserver l'union et sa forme
constitutionnelle alors qu'ils imposent un
gouvernement de pouvoirs de police, concentré
dans la présidence. On s'assure que la façade de
la démocratie et du pouvoir civil demeure, mais
les institutions de la gouvernance qui la
maintiennent sont éliminées, ce qui rend le
maintien de ce pouvoir de plus en plus difficile
et imprévisible.
Cela pose
pour le peuple la nécessité de s'organiser sur une
base qui correspond aux besoins de notre temps et
de ce que celui-ci révèle, soit le besoin que le
peuple s'investisse du pouvoir décisionnel.
Aujourd'hui, c'est la résistance du peuple qui
fournit une nouvelle direction aux affaires
politiques. L'enjeu n'est pas de prendre parti
pour un côté ou l'autre des dirigeants ou de
défendre une constitution dépassée qui enchâsse
les droits de propriété et non les droits humains.
Le travail d'organisation aujourd'hui tend à créer
une démocratie qui est l'oeuvre du peuple, dans
laquelle le peuple contrôle le pouvoir
décisionnel.
La Constitution des États-Unis n'est pas le
défenseur des droits des peuples. Elle est au
service des ennemis des peuples tant au pays qu'à
l'étranger. Tirer la conclusion que les attaques
contre les Noirs et la réponse militaire aux
manifestations et aux appels à la justice montrent
la nécessité de défendre la Constitution est une
manoeuvre pour priver le peuple de son propre
pouvoir politique. L'objectif est de diviser
davantage le peuple, ce qui va jouer encore plus
au profit de la classe dirigeante américaine. Il
est inutile de débattre de l'irrationalité et de
l'incohérence de Trump, car ces débats ne donnent
pas naissance à une personnalité démocratique
moderne. Au contraire, ils servent à perpétuer
l'illusion qu'on pourrait élire quelqu'un de mieux
sans changer les arrangements actuels et adopter
les « bonnes » politiques. Ils servent à perpétuer
la marginalisation du peuple.[3]
La situation est grave pour la classe ouvrière
américaine et les masses populaires de toutes
nationalités. Il faut une évaluation objective et
une analyse sérieuse afin de pouvoir identifier
les amis et ennemis du peuple, faire la
distinction entre ceux dont le but est de briser
les chaînes et ceux dont le but est de resserrer
les chaînes. Tous ceux qui veulent que justice
soit faite se lèvent en une seule force. Ils
condamnent les atrocités de l'État ainsi que la
criminalisation de la politique. C'est ainsi
qu'ils peuvent contrecarrer les efforts pour
détourner et diviser la lutte du peuple pour une
paix, une liberté et une démocratie véritables.
Dans une démocratie créée par le peuple, et non
par de supposés représentants du peuple, tous
bénéficieront de l'égalité et de droits tels
qu'ils sont définis par le peuple sur une base
moderne. Des institutions modernes de gouvernement
et une constitution moderne peuvent être
développées au cours de la lutte pour investir le
peuple du pouvoir politique.
Les manifestations massives qui ont lieu en ce
moment témoignent du fait que c'est le mouvement
de résistance qui trouvera la voie à suivre. Ce
mouvement rassemble des personnes de tous horizons
dans une cause commune pour la paix, la justice et
la démocratie. C'est la preuve que nous sommes une
seule humanité engagée dans une seule et même
lutte et que nous vaincrons.
Notes
1. Pour les États-Unis, la question d'unir la
bureaucratie militaire est particulièrement
importante, car il n'y a pas une seule force
militaire unifiée. Il y a plutôt des branches
rivales qui à la fois entrent en collusion et
rivalisent pour les ressources et le pouvoir. Il y
a aussi les nombreuses agences armées dans le
pays, comme celles à la frontière, le FBI, la Drug
Enforcement Administration (DEA) et bien d'autres,
ainsi que les forces de police hautement
militarisées créées depuis les attentats du 11
septembre 2001 qui sont toutes en fin de compte
sous le commandement du Northern Command. Tout
cela doit être contrôlé et uni derrière la
présidence, ce que Trump ne réussit pas à faire
jusqu'à présent.
2. « L'armée ne tolère pas le racisme,
l'extrémisme ou la haine dans nos rangs », a
gazouillé le 16 août 2017 le général Mark Milley,
chef d'état-major de l'armée. « C'est contre nos
valeurs et tout ce que nous défendons depuis 1775.
»
Le commandant général des Marines, Robert B.
Neller, a gazouillé le 15 août 2027 qu'il n'y
a « pas de place pour la haine raciale ou
l'extrémisme au sein du Corps des Marines. »
L'amiral John Richardson, le chef des opérations
navales, a publié le 13 août 2017 une déclaration
sur Twitter et Facebook qualifiant les événements
de Charlottesville de « honteux » et «
inacceptables ». Il a déclaré : « La Marine
s'opposera toujours à l'intolérance et à la haine.
» Le général David L. Goldfein, chef d'état-major
de l'Air Force, a gazouillé le 16 août 2017
qu'il se tenait aux côtés « de mes collègues chefs
de service, en disant que nous sommes toujours
plus forts ensemble ».
3. Voir ces déclarations qui ont été faites :
Ce qu'ils ont dit
•
Le
président des États-Unis Donald Trump
•
Le
général à la retraite James Mattis, ancien
secrétaire à la Défense
•
Amiral
à la retraite Mike Mullen, 17e président de
l'Instance collégiale des chefs d'état-major
•
Barack
Obama,
44e président des États-Unis
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 39 - 6 juin 2020
Lien de l'article:
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