La «plus grande démocratie du monde» exposée dans toute sa laideur

Manifestation à Washington le 2 juin 2020 contre la mort de George Floyd
aux mains de la police

Depuis 12 jours, des centaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations dans plus 140 villes américaines pour condamner la violence policière, l'impunité, le racisme et l'injustice. Les manifestants ont pleuré la mort de George Floyd, tué de sang-froid par la police de Minneapolis, au Minnesota, le 25 mai dernier.

Des manifestations de solidarité regroupant des dizaines de milliers de personnes ont également eu lieu ailleurs dans le monde.

Les circonstances scandaleuses de la mort de George Floyd aux mains de la police mettent en évidence l'inhumanité, les injustices quotidiennes et la menace imminente pour la vie que la privation de pouvoir politique, l'appauvrissement, les divisions de classe, la brutalité policière et l'impunité représentent pour le peuple américain, en particulier les Afro-Américains, les peuples autochtones, les Portoricains et les minorités opprimées. George Floyd, homme de famille, avait 46 ans. Il a perdu la vie après avoir été arrêté parce qu'il était soupçonné d'avoir tendu un billet contrefait de 20 $. Pendant huit minutes et 46 secondes, un agent de police de 19 ans d'expérience au Service de police de Minneapolis, Derek Chauvin, s'est agenouillé sur son cou alors qu'il était allongé au sol. Les rapports indiquent que la pause du genou sur le cou est une procédure policière acceptée. Trois autres agents présents ont participé à son immobilisation. George a haleté « Je ne peux pas respirer » pendant plusieurs minutes avant de perdre connaissance. Aucun des agents du SPM présents n'a tenté de le réanimer. Le policier Derek Chauvin a gardé son genou sur le cou de George Floyd alors même que des intervenants d'urgence tentaient de le secourir. Tout cela a été filmé par des passants, que la police a empêchés d'intervenir. Deux autopsies distinctes ont déterminé que la mort de George Floyd aux mains de la police est un homicide.

Les manifestants à Minneapolis et à travers le pays, ainsi que des organisations de défense des droits civils, de justice sociale, ouvrières et de lutte contre la guerre ont immédiatement réclamé le licenciement des policiers et que des accusations de meurtre soient portées contre eux – les suspensions avec solde et autres mesures de réprimande ne suffiraient pas pour ces actes répréhensibles de la police. Les quatre policiers de la Police de Minneapolis ont été licenciés le 26 mai. Le 29 mai, alors que les manifestations prenaient de l'ampleur partout au pays, des accusations de meurtre au troisième degré et d'homicide involontaire au deuxième degré ont été déposées contre le policier Chauvin. Le 3 juin, après quatre autres journées de manifestations de masse soutenues que ni les couvre-feux ni la police et ni la garde nationale n'ont pu étouffer, les accusations contre Chauvin ont été modifiées pour inclure le meurtre au deuxième degré, tandis que les trois autres ex-policiers ont été accusés d'avoir aidé et encouragé le meurtre au deuxième degré. Les revendications plus fondamentales, l'imputabilité de la police et l'éradication de toutes les violences racistes de la police contre les Afro-Américains restent à l'ordre du jour.

La mort brutale de George Floyd aux mains de la police est survenue peu de temps après deux autres meurtres scandaleux récents d'Afro-Américains au nom de la loi et de l'ordre. Le 13 mars, Breonna Taylor, une femme afro-américaine de 26 ans, a été tuée lors d'une descente dans sa maison de Louisville, au Kentucky, par des policiers qui ne se seraient pas identifiés après avoir fait irruption chez elle au milieu de la nuit en exécutant un mandat d'intrusion « sans frapper » basé sur de fausses informations. Le 23 février, Ahmaud Marquez Arbery, un homme afro-américain de 25 ans, a été tué alors qu'il faisait du jogging près de son domicile dans le comté de Glynn, en Géorgie. Il a apparemment été tué dans un acte de vigilantisme d'un ancien policier et de son fils qui cherchaient un coupable pour des vols qui auraient eu lieu dans la région. Le policier et son fils ont finalement été inculpés de meurtre avec préméditation 74 jours plus tard, le 4 mai, seulement après qu'une vidéo de l'attaque ait été rendue publique.

Ces injustices de l'État américain défaillant et ses services de police contre les Afro-Américains rappellent les événements de six ans auparavant qui ont popularisé le slogan « Black Lives Matter » (la vie des Noirs compte). Deux hommes afro-américains avaient été tués par des policiers. Le premier était Eric Garner, 43 ans, en juillet 2014, qui, comme George Floyd, est décédé en haletant les mots « je ne peux pas respirer » alors que la police le clouait au sol. Le deuxième était Michael Brown, 18 ans, abattu par des policiers à Ferguson, au Missouri, en août 2014. De nombreuses autres morts injustes d'Afro-Américains aux mains de la police ont eu lieu au cours des six années qui ont suivi. Il y a 28 ans, quatre policiers de Los Angeles – dont trois blancs – ont été acquittés du passage à tabac sauvage de Rodney King. Pris en photo par un passant, une vidéo très révélatrice de l'attaque a été diffusée dans des foyers des États-Unis et du monde. Les agents du département de police de Los Angeles l'ont roué de coups de pied à plusieurs reprises et l'ont battu à coups de matraque pendant 15 minutes. Sur la vidée on voir que plus d'une douzaine de policiers étaient là à regarder et à commenter l'événement. La fureur de l'acquittement des policiers a provoqué cinq jours d'émeutes à Los Angeles et enflammé le mouvement national contre les disparités raciales et économiques et le recours à la force par la police.

L'accroissement de la violence de l'État, l'anarchie et l'impunité sont une caractéristique de l'État américain défaillant, qui est impuissant face à la crise, que ce soit la pandémie de la COVID-19, le traitement raciste des Afro-Américains, des peuples autochtones, des minorités, des migrants ou des réfugiés ou tout problème auquel sont confrontés les travailleurs américains tous les jours. Cette anarchie et impunité sont parallèles à l'anarchie et au recours à la force qui caractérisent la politique étrangère des États-Unis. Cela a été amplement démontré par le président Donald Trump quand, devant la montée en force du mouvement de protestation, il a choisi d'attiser les flammes et de créer la division en autorisant les forces policières à commettre d'autres crimes au nom de la loi et de l'ordre.


La Garde nationale se masse dans une rue de Seattle le 4 juin 2020

Le 1er juin, Trump est sorti de son abri du bunker de la Maison-Blanche pour tenir une conférence de presse au Rose Garden. Il a parlé de la mort de George Floyd aux mains de la police comme s'il s'agissait d'un cas isolé et a déclaré que son « administration est pleinement engagée à ce que justice soit rendue à George et à sa famille », pendant même que des crimes similaires étaient commis par la police autour de la Maison-Blanche et à travers le pays. Face aux attaques policières non provoquées et aux actes d'agents provocateurs qui se sont livrés au vandalisme et à la violence aveugle (le modus operandi des agences de sécurité de l'État pour saper le mouvement du peuple et ses revendications), Trump a affirmé que « notre nation a été prise d'assaut par des anarchistes professionnels, des foules violentes, des pyromanes, des pillards, des criminels, des émeutiers, des Antifa et d'autres ».

En agitant cet épouvantail de « manifestants professionnels », Trump a cherché à assimiler les actes collectifs d'affirmation de masse et de défense des droits – en particulier le droit des Afro-Américains de vivre dans la dignité et la sécurité – au terrorisme, pour ainsi justifier l'utilisation d'encore plus de violence étatique, de mesures exceptionnelles et de pouvoirs arbitraires contre le peuple et les forces progressistes. « Ce ne sont pas des actes de protestation pacifique, a-t-il dit, ce sont des actes de terreur intérieure. » Il a poursuivi en disant que toutes les ressources fédérales, « civiles et militaires », seraient mobilisées pour réprimer les manifestations. Trump a conclu son discours en affirmant que son administration est le défenseur de l'état de droit et l'unificateur du peuple.

Du Rose Garden, il est allé « présenter [ses] hommages à un endroit très, très spécial » : il a offert une séance photo mise en scène où il a brandi une bible à l'envers devant l'église épiscopale St. John. « Près de la Maison-Blanche, les policiers ont aspergé de gaz lacrymogènes des manifestants réunis pacifiquement pour faciliter une séance de photos du président », écrit l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU). La police antiémeute a violemment délogé les manifestants qui étaient calmement rassemblés sur la place Lafayette et sur le parvis de l'église et recevaient l'aide de membres du clergé.

Le 2 juin, le président Trump et la première dame ont visité un sanctuaire de Washington érigé en l'honneur du pape Jean-Paul II, pour une autre séance de photos. L'opportunisme des deux incidents au milieu des manifestations de masse a été dénoncé par les dirigeants de chaque confession. Mariann Edgar Budde, évêque du diocèse épiscopal de Washington, dans un éditorial du Washington Post, a déclaré que Trump « a utilisé des symboles sacrés pour se dissimuler sous le manteau de l'autorité spirituelle, tout en épousant des positions antithétiques à la Bible qu'il tenait entre ses mains. C'est pourquoi j'ai tracé la ligne, tout comme mon collègue l'archevêque Wilton Gregory, lorsque, le lendemain, M. et Mme Trump ont effectué une visite inopinée au sanctuaire national Saint-Jean-Paul II. » Mgr Gregory a fait remarquer à propos de la séance photo du 2 juin: « Je trouve déconcertant et répréhensible que tout établissement catholique se permette d'être abusé et manipulé de manière si flagrante et en violation de nos principes religieux, qui nous appellent à défendre les droits de tous les êtres humains, même ceux avec qui nous pourrions être en désaccord. »


Rue de Seattle avant et après la perturbation policière de la manifestation
pacifique le 2 juin 2020

Depuis que George Floyd a été tué, des gens de tous horizons, jeunes et vieux, descendent dans les rues des villes américaines pour s'opposer à la brutalité policière et à l'impunité de la police et pour exiger que les responsables rendent des comptes. La justesse de leur cause est soulignée par le fait que, dans les grandes villes en particulier, les forces policières ont accueilli ces manifestations avec un esprit de vengeance, envoyant un message clair et arrogant qu'elles peuvent et continueront d'agir en toute impunité. Les manifestants ont été confrontés à des menaces arbitraires de la police, de l'armée ou d'autres forces de sécurité. La réponse de la police, sauf dans quelques rares exceptions, a été encore plus brutale. À New York, des véhicules de police ont foncé dans la foule et un policier a arraché le masque protecteur d'un manifestant noir pour l'asperger directement au visage, rapporte l'ACLU.

Il y a eu de nombreuses arrestations injustifiées et de nombreux cas d'usage de la force par la police contre des manifestants, des observateurs témoins, des secouristes, des journalistes et des passants. Il s'agit notamment de coups et d'attaques non provoqués à l'aide de balles de métal recouvertes de caoutchouc, de gaz lacrymogènes et d'armes chimiques. Des personnes atteintes par des projectiles « moins meurtriers » ou agressées par la police ont été grièvement blessées et hospitalisées. Des journalistes ont également été maltraités par la police, notamment un qui a été atteint à l'oeil par une balle de caoutchouc et rendu aveugle. On rapporte qu'une jeune femme est morte d'une crise d'asthme provoquée par des gaz lacrymogènes. Plus de 10 000 personnes ont été arrêtées. Le 31 mai, des couvre-feux ont été déclarés dans 25 villes de 16 États, touchant plus de 40 millions de personnes. Les gouverneurs de 34 États auraient maintenant fait appel à 43 000 soldats de la Garde nationale, dont plus de 10 000 ne serait-ce qu'à Minneapolis. Cela ne doit pas passer !

La réponse brutale du président américain et de tout l'appareil de sécurité de l'État aux justes revendications du peuple expose la réalité de « la plus grande démocratie du monde » dans toute sa laideur. Elle souligne la nécessité pour les peuples de trouver les moyens de s'investir de pouvoir pour se garantir une sécurité fondée sur la défense des droits de tous et de toutes.

Il est important que tous prennent part aux actions pour exiger la justice pour la tuerie gratuite et les persécutions d'Afro-Américains, soutenir les personnes courageuses aux États-Unis qui luttent pour leurs droits et réclamer justice pour tous les actes similaires d'injustice, de violence et d'impunité policières au Canada et aux États-Unis.

Depuis le 4 juin 2020, la Maison-Blanche est entourée d'une haute clôture. Les commentateurs
ont souligné l'ironie que l'administration Trump, qui cherchait à construire un mur le long
de la frontière avec le Mexique pour « protéger les Américains » des « immigrants
illégaux » a plutôt dû construire un mur autour de la Maison-Blanche pour protéger le président Trump et le pouvoir illégitime qu'il exerce des revendications d'imputabilité du peuple américain qu'il prétend représenter.

Supplément
Reportage photos


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 39 - 6 juin 2020

Lien de l'article:
: La «plus grande démocratie du monde» exposée dans toute sa laideur - Nick Lin


    

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