Le Projet de sécurité nationale de l'Union américaine des libertés civiles


L'Union américaine des libertés civiles (ACLU) a été créée en 1920. Son Projet de sécurité nationale « préconise des politiques de sécurité nationale qui respectent la Constitution, l'état de droit et les droits humains fondamentaux » dans des cas reliés à la détention, la torture, la discrimination, la surveillance, la censure et le secret.

Partout au pays, les gens manifestent contre la brutalité policière et le racisme systémique. Ils exigent sans répit la justice pour George Floyd, Breonna Taylor et les innombrables autres personnes noires qui ont été tuées par la police. En guise de réponse, le président Trump, appuyé par des complices belliqueux au Congrès et dans son administration, a menacé de déployer des troupes dans les États, et des agences fédérales mènent des enquêtes sur les manifestants en lien avec le terrorisme domestique. Ces menaces et actions présidentielles sont autoritaristes, irresponsables, dangereuses et inadmissibles.

La menace de Trump d'invoquer la Loi de 1807 sur l'insurrection est extraordinaire — au cours des derniers 50 ans, un président a rarement utilisé une telle autorité extrême, et avec raison. Dans ce pays, nous avons une norme contre le déploiement militaire au pays même, en raison de la menace qu'une telle action fait planer sur la liberté et les droits civils individuels. Cette norme existe sous forme de législation — en 1878, le Congrès adoptait la Loi Posse Comitatus visant à interdire le recours aux forces militaires fédérales pour « exécuter la loi » sans l'autorisation de la Constitution ou du Congrès, ce qui veut dire que les forces militaires fédérales ne peuvent, à titre d'exemple, fouiller, saisir, mettre en état d'arrestation, appréhender, arrêter ou fouiller, poursuivre, interroger ou enquêter sur des civils.

Mais le Congrès a adopté des exceptions à la Loi Posse Comitatus, parmi lesquelles la plus vaste et potentiellement la plus dangereuse est la Loi de 1807 sur l'insurrection. Par cette loi, le Congrès a autorisé les présidents à déployer des troupes fédérales à service actif et des membres de la Garde nationale sous contrôle fédéral — pour réprimer des insurrections, des actes de violence massifs ou répandus qui rendent « impraticable » l'application de la loi fédérale, ou des violences similaires qui font entrave à la loi fédérale ou encore au cours de la justice. Historiquement, des présidents ont invoqué cette autorité de déployer des troupes à la demande de l'État, mais aussi parfois à l'encontre des objections d'un État — par exemple, pour consolider les protections des droits civils et la déségrégation judiciaire, ce qui est contraire à ce que Trump ferait.

Autant que Trump aime la rhétorique liée à la « guerre » et perçoit les manifestations noires et brunes comme des menaces, la réalité est que nous ne sommes pas en guerre dans ce pays. Ni est-il impraticable pour les autorités civiles de répondre de façon calme et responsable à l'agitation, surtout lorsque celle-ci est le résultat de leurs propres abus. Les manifestants exigent que les autorités policières mettent fin à des décennies de traitement injuste, inéquitable et raciste des communautés noires.

Ce que Trump ne semble pas comprendre lorsqu'il menace de déployer un pouvoir militaire « illimité » au pays, c'est qu'il y a, en effet, des limites. Même s'il devait invoquer à tort et à travers la Loi sur l'insurrection, les troupes fédérales seraient toujours sujettes à toutes les mesures de protection et de restrictions stipulées dans la Constitution. Malgré tout, l'escalade pourrait engendrer des dangers évidents d'une surveillance gouvernementale excessive et du recours à la force, contrevenant ainsi à la Constitution. La police civile, les forces de la Garde nationale dans le District de Columbia, ainsi que dans certains États, agissent déjà avec abus et violence graves.

Une réponse encore plus militarisée à la dissidence civile ferait augmenter les tensions, la crainte et la douleur que nous voyons et ressentons partout au pays, surtout dans les communautés déjà traumatisées par la violence policière. Nous verrions une croissance d'activités policières dans les vies des Noirs — la raison-même des manifestations qui s'agitent dans tout le pays.

D'anciens et actuels dirigeants militaires préviennent, et avec raison, des dangers de déployer plus de troupes, rappelant à celles-ci les principes de base de la Constitution. Tout de même, que des dirigeants militaires soient loués comme des influences apaisantes est un triste signe qui montre à quel point sont effrités nos politiques, nos normes et notre pays. Il n'y a pas si longtemps, des dirigeants militaires ont dû réaffirmer l'interdiction de la torture alors qu'elle était systématiquement utilisée contre les hommes bruns et noirs à l'étranger.

En fin de compte, le chemin parcouru n'est pas si énorme, Amérique. Peut-être les législateurs vont-ils enfin se réveiller devant les décennies de violations des droits, de politiques étrangères bellicistes — et constater comment ces phénomènes sont liés à la militarisation de la police et au racisme au pays. Ces politiciens qui aiment bien exprimer leur admiration pour le docteur Martin Luther King Jr. feraient bien de se rappeler ses appels radicaux à l'action contre « le triplet géant que sont le racisme, le matérialisme extrême et le militarisme ». Il y a tant de choses qui nécessitent des réformes fondamentales, et les gens dans la rue manifestent leur volonté urgente de changement. Et pourtant, comme à l'époque du Dr King, les agences fédérales traitent les manifestations et les manifestants des droits civils comme des terroristes domestiques — des ennemis de l'État.

L'attention du public s'est concentrée principalement sur les accusations de Trump contre les Antifa pour la violence et l'affirmation qu'il allait la nommer organisation terroriste domestique, même s'il n'en a pas l'autorité juridique. Et le jour même, le bureau extérieur du FBI à Washington a annoncé qu'« aucun renseignement n'indique la présence/participation d'Antifa » dans la violence, et une évaluation plus récente du département de la Sécurité nationale a conclu que la violence qui a eu lieu était un résultat d'opportunisme.

Le fait de ne se concentrer que sur les Antifa, cependant, fait oublier les torts et les conséquences plus larges. Cette semaine, le procureur général Barr a annoncé avec enthousiasme que le département de la justice allait avoir recours à ses pouvoirs d'enquête larges et abusifs sur le terrorisme domestique pour répondre à l'agitation civile.

Le terrorisme est un concept fondamentalement politique dont on abuse et dont on fait mauvais usage. Les communautés de couleur le savent déjà sur la base de 20 ans d'expérience à être ciblées par une surveillance et des enquêtes discriminatoires en vertu du Patriot's Act aux pouvoirs étendus et d'une vague définition de ce qu'est le terrorisme domestique. Les communautés noires sont depuis longtemps dans la mire des autorités policières fédérales : en 2017, le FBI a inventé l'étiquette « extrémistes identitaires noirs », ouvrant toute grande la porte au profilage biaisé des personnes noires et d'organisations dirigées par des Noirs et dont le but est d'exiger la justice raciale. L'agence semble avoir mené de telles enquêtes sur les activistes et les manifestations autochtones. Les dirigeants et groupes des droits civils exigent depuis longtemps une réforme de la sécurité nationale et des autorités criminelles qui suppriment ou punissent de façon discriminatoire les personnes noires et brunes, et soulèvent des préoccupations importantes au sujet de questions comme la protection égale, l'état de droit, et le Premier amendement. Mais le Congrès s'entête à ne pas agir.

Maintenant, Trump et Barr semblent être prêts à faire peser le plein poids des pouvoirs d'enquête et des agences post-11 septembre du gouvernement fédéral sur les nouvelles générations d'activistes pour la justice raciale et les droits civils qui se font entendre pour le droit des personnes noires de vivre, et pour une Amérique plus égalitaire et juste.

Ce sont certains des dangers réels auxquels nous sommes présentement confrontés — et que nous rejetons.

(4 juin 2020. Traduit de l'anglais par LML)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 39 - 6 juin 2020

Lien de l'article:
Le Projet de sécurité nationale de l'Union américaine des libertés civiles


    

Site Web:  www.pccml.ca   Courriel:  redaction@cpcml.ca