L'abus des pouvoirs exécutifs va revenir hanter le gouvernement du Québec


Les professionnelles en soins organisent une journée d'action à l'échelle du Québec, le 27 mai 2020, sous le thème « Mortes de fatigue », pour demander au gouvernement du Québec qu'il respecte leurs vacances et leurs horaires de travail.

Utilisant la COVID-19 comme prétexte, l'élite dirigeante a abondamment recours aux pouvoirs exécutifs pour attaquer les travailleurs pendant cette période de crise. Ce phénomène est particulièrement flagrant au Québec où l'exécutif gouvernemental a adopté une série de décrets et d'arrêtés ministériels, dont le tristement célèbre Arrêté numéro 2020-007 de la ministre de la Santé et des Services sociaux en date du 21 mars 2020. Cet arrêté donne au gouvernement l'entier pouvoir d'annuler unilatéralement les conventions collectives des travailleurs de la santé et des services sociaux et de changer leurs conditions de travail à volonté. Il donne notamment le pouvoir à la ministre de suspendre ou d'annuler de façon unilatérale les congés et les vacances des travailleurs et d'affecter le personnel partout où les administrations le décident, sans égard à la notion de poste, de quart de travail ou de toute autre disposition limitant la mobilité du personnel. Le pouvoir exécutif n'a jamais expliqué pourquoi l'adoption de cet arrêté était nécessaire. Depuis le début de la pandémie, les travailleurs de la santé et des services sociaux ont dit clairement qu'ils étaient prêts à changer certaines de leurs conditions de travail si la situation l'exige, tout en ajoutant qu'ils veulent avoir leur mot à dire et exercer le contrôle sur ces affectations pour s'assurer qu'elles ne soient pas abusives on inhumaines. Ils ont souligné qu'ils ont été des plus coopératifs, même lorsqu'ils ont pensé que des affectations différentes étaient requises, mais qu'ils ne veulent pas qu'on tienne leur acceptation pour acquise.

Alors que les travailleurs cherchent à utiliser leur nombre et leur organisation pour protéger la santé de la population et contenir la pandémie, le gouvernement cherche à les forcer à se soumettre à ses décrets et à s'assurer qu'ils ne seront pas capables de se mobiliser pour défendre leurs droits et les droits de tous. L'objectif de l'utilisation du pouvoir exécutif est de priver le peuple de pouvoir afin qu'il ne puisse pas faire obstacle aux programmes pour payer les riches. C'est la raison pour laquelle les travailleurs sont ignorés, que leurs préoccupations sont marginalisées, qu'ils sont forcés au silence et même criminalisés quand ils osent prendre la parole ou agir contre la détérioration des conditions dans le réseau de la santé et des services sociaux.

Il est important de comprendre comment ce processus fonctionne. L'arrêté ministériel donne le pouvoir d'annuler les conventions collectives et de changer unilatéralement les conditions de travail. Ce sont alors la ministre et les administrations de la santé qui imposent ces changements dans les établissements de santé.

Le 20 mai dernier, lors de la conférence de presse ministérielle quotidienne sur la pandémie, la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a dit : « Je veux aussi faire une mise au point sur les vacances de nos infirmières parce qu'il y a des informations qui ont circulé par rapport à cette question-là, qui ont été diffusées, entre autres hier, sur les vacances que pourront prendre nos infirmières cet été. Donc, je veux être très, très claire là-dessus. Nos infirmières vont pouvoir bénéficier cet été d'un repos qui est amplement mérité. Donc, il n'est pas question d'empêcher nos infirmières de prendre des vacances. »

S'il n'est pas question d'empêcher les infirmières de prendre leurs vacances, pourquoi est-il écrit dans l'arrêté ministériel 2020-007 que « les articles relatifs aux congés de toute nature, avec ou sans solde, incluant les vacances, sont modifiés pour permettre à l'employeur de suspendre ou d'annuler les congés déjà autorisés, ainsi que de refuser l'octroi de nouveaux congés ». [Notre souligné]

Les infirmières membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) rapportent que, dans différents établissements de santé, la suspension et l'annulation des congés sont déjà une réalité. Le 15 mai, dix dirigeants de syndicats locaux de la CSN dans la santé et les services sociaux à Montréal et à Laval ont mis en garde le gouvernement du Québec contre toute suspension ou annulation de vacances prévues dans leurs conventions collectives. Les infirmières de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec ont aussi indiqué que les PDG de différentes institutions leur disent, qu'en vertu des arrêtés ministériels, ils ont le pouvoir de faire ce qu'ils veulent et qu'ils n'ont pas besoin de consulter les infirmières.

Cette utilisation des pouvoirs exécutifs pour suspendre ou annuler les vacances et le diktat des conditions de travail sont la méthode consacrée de l'offensive antisociale et du gouvernement par décret qui est imposée par le gouvernement. Ce sont des attaques contre les travailleurs qui visent à assurer que les objectifs des riches de s'enrichir ne sont pas entravés. Lorsque le gouvernement libéral a imposé sa réforme du système de santé en 2015, il a créé des méga-établissements qui sont directement sous le contrôle du ministre de la Santé. Le ministre est devenu la seule autorité dotée du pouvoir de décider des budgets qui sont alloués à ces établissements, que les travailleurs considèrent comme très insuffisants pour combler les besoins du système. La réforme du gouvernement a été assortie de clauses qui interdisent aux établissements de faire des déficits budgétaires et qui les forcent à éliminer du personnel et à couper des services. Cela veut dire que bien que d'énormes compressions ont été faites dans les établissements, le pouvoir exécutif a pu dire qu'il n'y a joué aucun rôle.

La même chose est en train de se produire en ce moment, alors que le gouvernement tient des négociations avec les syndicats du secteur de la santé. La menace d'un décret des conditions de travail est constante. Sous l'argument frauduleux d'un manque de fonds, et sous prétexte d'augmenter les salaires des préposés aux bénéficiaires, qui doivent certainement être très augmentés, le gouvernement du Québec propose une augmentation de salaire essentiellement équivalente à la seule augmentation du coût de la vie à tous les autres travailleurs du secteur, de même que le statu quo dans les conditions de travail. Sur cette base frauduleuse, l'urgent besoin d'augmenter les salaires et d'améliorer les conditions de travail de tous les travailleurs est nié. Cette fraude détourne l'attention du problème essentiel de qui doit décider quels fonds sont disponibles et à quelles fins.

Récemment, le gouvernement a proposé l'organisation de comités sectoriels avec les syndicats afin d'examiner les conditions de travail. On ne voit pas encore clairement comment cela va se traduire en une ronde de négociation. Sous prétexte que nous vivons une crise et que ce n'est pas le moment de tenir de longues négociations et qu'il faut s'occuper de manière urgente de la situation des préposés aux bénéficiaires, l'épée de Damoclès d'un décret des salaires et des conditions de travail pend constamment au-dessus des têtes des travailleurs. Les travailleurs qui refusent ce diktat seront tenus responsables de tous les décès évitables qui se produiront dans le réseau, qu'ils soient causés ou non par la pandémie. C'est ce que le gouvernement Ford a fait en Ontario quand il a blâmé les inspecteurs pour les désastres dans les établissements de soins de longue durée, déclarant qu'ils n'ont pas fait leur travail alors que le gouvernement a lui-même abandonné les inspections annuelles de chaque établissement suivant la décision arbitraire qu'ils étaient pour la majeure partie « à faible risque ».

En plus de cet abus de pouvoir exercé contre ceux qui font le travail et contre le public, le trait commun qui relie tous ces exemples de pouvoir exécutif est le diktat imposé aux travailleurs selon lequel ils doivent se débrouiller tout seuls. Les travailleurs qui sont affectés arbitrairement dans toutes les directions ne sont pas appuyés par les autorités responsables du secteur ou par les administrations d'où ils proviennent et qu'ils rejoignent. En même temps, un diktat est exercé sur les syndicats pour qu'ils n'interviennent pas à la défense de ces travailleurs. Le sens du devoir de ces travailleurs envers la santé et la sécurité du public est soumis à rude épreuve chaque jour, dès qu'ils mettent le pied à leur endroit de travail. Ils prennent la parole avec raison en leur propre nom, individuellement ou par le biais de leurs syndicats, et Forum ouvrier et Le Marxiste-Léniniste jouent aussi un rôle important pour briser le silence sur ce qui se passe vraiment.

L'abus du pouvoir exécutif est un trait du régime totalitaire au service de l'oligarchie financière qui doit être mis en échec. Il doit être aboli et cette demande doit être au centre du mouvement ouvrier. Chose sûre, cet abus des pouvoirs exécutifs reviendra hanter le gouvernement du Québec.

(Photos : FIQ, J-F Couto)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 37 - 30 mai 2020

Lien de l'article:
L'abus des pouvoirs exécutifs va revenir hanter le gouvernement du Québec - Pierre Chénier


    

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