Une tentative maladroite de donner un rôle à l'armée dans les affaires civiles
- Tony Seed -
À la suite de la publication du rapport sur les
conditions de vie dans les résidences de soins de
longue durée en Ontario cette semaine, le
journaliste de la CBC pour les affaires de la
défense, Murray Brewster, qui avait été intégré à
l'armée canadienne en Afghanistan par le ministère
de la Défense nationale, a écrit le 27
mai : « Envoyer des soldats dans les centres
de soins de longue durée a semblé une idée étrange
- jusqu'à ce qu'ils nous disent ce qu'ils y ont
vu. »[1]
Il écrit : « La perspective d'une action
concentrée mais compatissante qu'apportent les
soldats face à des conditions inhumaines était
précisément l'outil qu'il fallait pour arracher le
couvercle sur les conditions dans certains foyers
de soins de longue durée ... » Il prend soin
de citer la fille d'une victime de la COVID-19 qui
le dit et va même jusqu'à l'utiliser pour rejeter
tout le blâme pour la débâcle de la politique
délibérée des élites dirigeantes qui ont permis la
privatisation des soins de santé et des soins de
longue durée sur le dos des simples Canadiens à
qui on reproche de n'avoir rien dit pendant tout
ce temps, alors qu'en réalité ils ont tout fait
pour dénoncer les conditions criminelles dans le
système de santé et foyers de soins de longue
durée.
Brewster cite Sylvia Lyon, la fille de la
victime, demanderesse dans un recours collectif à
la suite du décès de sa mère à la résidence
Orchard Villa à Pickering, en Ontario : «
Nous lisons des articles de journaux. Nous voyons
les reportages. Les médias ont parfois des
exposés, et nous disons : 'Oh, c'est
terrible', puis nous retournons tous dans nos
petites bulles, alors je pense que nous sommes
tous coupables. »
« Suis-je en colère ? Je suis en colère
contre moi-même. Je suis en colère contre nous
tous. Je suis en colère contre la légèreté des
êtres humains [qui] ne portent pas l'attention
requise aux problèmes et que nous attendons qu'une
crise se produise. Je pense que nous sommes tous à
blâmer, et c'est une pilule très, très amère à
avaler », explique la jeune femme.
La vérité est
malheureusement plus sinistre que l'interprétation
de Brewster. La vérité est que l'armée se voit
donner un rôle toujours plus important dans la vie
civile, alors qu'on empêche les syndicats et les
organisations de la société civile de jouer le
rôle qui leur revient de droit. On prive aussi le
peuple d'une voix pour contester les partis
politiques qui font partie du cartel mafieux qui
justifie l'imposition des politiques néolibérales
qui sont à l'origine de cette débâcle. Il s'agit
également d'amener les « civils » et la « vie
civile » à accepter et à soutenir le
bellicisme du gouvernement Trudeau qui, sous
prétexte que « nous tous sommes ensemble », se
range du côté des visées de domination
mondiale des impérialistes américains au nom d'«
être ensemble ». Le premier ministre Justin
Trudeau l'a dit ouvertement lorsqu'il a déclaré
le 29 avril : « Lorsque nous regarderons
les Snowbirds survoler nos maisons, souvenons-nous
que nous traversons tout cela tous
ensemble. » C'est une tentative de priver le
peuple d'une vision sur la base de laquelle bâtir
le pays dans tous les aspects de la vie pour le
bien-être de tous.
Le premier ministre Trudeau a fait la déclaration
suivante le 30 avril, après que six
militaires à bord du NCSM Fredericton ont
perdu la vie dans l'écrasement d'un hélicoptère
lors d'un exercice de guerre de l'OTAN dans la mer
Ionienne dans le cadre de l'opération
Reassurance :
« J'ai parlé au secrétaire général Stoltenberg de
l'OTAN, qui m'a offert son aide et son soutien
pour la suite des choses. Au cours des prochains
jours, on va avoir de nombreuses questions à poser
sur la façon dont cette tragédie s'est produite.
Et je peux vous garantir qu'on va obtenir des
réponses, en temps et lieu.
« [...] En cette saison de deuil, les hommes et
les femmes des Forces armées canadiennes gardent
la tête haute.
« Portant fièrement la feuille d'érable, ils sont
reconnus à travers le monde comme étant des
modèles de civilité, de compassion et de courage.
« Qu'ils soient appelés à combattre le
terrorisme, à se tenir aux côtés de nos
partenaires et de nos alliés ou à appuyer les
opérations de la paix, ils font ce qu'ils ont
l'habitude de faire : ils avancent vers le
danger pour assurer notre sécurité.
« L'opération Reassurance montre le Canada à son
meilleur. Elle vise à augmenter la sécurité et la
stabilité en Europe centrale et en Europe de
l'Est. »
Quatre jours plus tard, la réponse « en temps et
lieu » des libéraux de Trudeau a été de
lancer l'Opération Inspiration, la tournée
aérienne pancanadienne des Snowbirds qui s'est
terminée par une tragédie à Kamloops, en
Colombie-Britannique, le 16 mai. L'exercice a
eu lieu à l'initiative du Northern Command de
NORAD de concert avec l'opération Strong America
aux États-Unis.
Trudeau, comme Trump, a qualifié à plusieurs
reprises la lutte contre la pandémie de «
guerre ». Parallèlement à la promotion de
l'OTAN en tant que soi-disant instrument de paix,
il se dit fier de mettre l'armée à la disposition
des premiers ministres de l'Ontario et du Québec
ou des communautés autochtones et assimile le
personnel militaire aux médecins et aux
travailleurs de la santé en tant que héros. Le
rapport de l'armée sur les conditions dans les
établissements de soins de longue durée en Ontario
a été rédigé par un général de brigade de haut
rang. Des « modèles de civilité, de compassion et
de courage » de Trudeau à la « perspective
d'une action concentrée, mais compatissante,
qu'apportent les soldats face à des conditions
inhumaines [qui] était précisément l'outil qu'il
fallait pour arracher le couvercle sur les
conditions dans certains foyers de soins de longue
durée ... » de la CBC, tous peuvent voir ce
que les Forces armées entendent par «
communications stratégiques » et ce que
Trudeau entend par « aide militaire au pouvoir
civil ».
À mon avis, le but du déploiement militaire
de 240 millions de dollars nommé « Opération
Laser » n'était pas celui du bon samaritain.
C'était de permettre au Canada, au Québec et à
l'Ontario d'éliminer tout rôle du peuple et de ses
organisations dans la dispensation des services de
santé – notamment les travailleurs syndiqués dont
les conventions collectives ont été arbitrairement
suspendues par des lois d'urgence – et de les
empêcher de s'unir pour apporter une vraie
solution à cet horrible problème sur la base de
garantir leurs droits et les droits de tous.
C'était une intervention néocoloniale sous
prétexte d'aide humanitaire pour nier les droits
ancestraux des communautés autochtones à un moment
d'essor dans leur résistance. Le déploiement de
l'armée n'est pas une « idée étrange » et il
ne réussira pas.
Note
1. « Why it took an
outside-the-box use of the military to rip the lid
off Canada's long-term care crisis », Murray
Brewster, CBC, 27 mai 2020. Brewster est
l'auteur de The Savage War : The Untold
Battles of Afghanistan, Wiley, 2011.
Un autre rapport abonde dans le même sens :
« Canada's soldiers have provided a wake-up call
for our long-term care system », Samir Sinha
et Michael Nicin, Globe and Mail, 28
mai 2020.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 37 - 30 mai 2020
Lien de l'article:
Une tentative maladroite de donner un rôle à l'armée dans les affaires civiles - Tony Seed
Site Web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
|