La « réouverture » du Québec et le besoin de donner aux travailleurs le mot décisif sur leurs conditions de travail
- Pierre Chénier -
Le gouvernement du Québec ne cesse de parler de
la « réouverture du Québec ». Depuis quelques
semaines, il a beaucoup parlé de la réouverture
des écoles primaires, des services de garde et des
entreprises qui avaient été fermées parce qu'elles
avaient été considérées comme non essentielles. La
« réouverture » du Québec se fera de façon
différente à Montréal et dans les régions. Selon
le gouvernement Legault, la situation dans les
régions, surtout dans les régions éloignées, est
entièrement sous contrôle, alors que la situation
à Montréal avait d'abord été déclarée presque sous
contrôle. Cependant, les données ont commencé à
affluer faisant état d'une augmentation constante
du nombre de cas et de décès à Montréal, à Laval
et en Montérégie, sur la rive sud de Montréal.
L'Institut national de santé publique du Québec a
publié des projections à la fin du mois d'avril,
indiquant que le nombre de cas, d'hospitalisations
et de décès allait monter en flèche si les mesures
de confinement étaient relâchées trop rapidement
dans la région de Montréal. On a aussi rapporté
une importante éclosion de la COVID-19 dans les
quartiers les plus pauvres de Montréal, surtout à
Montréal-Nord, où vivent de nombreux travailleurs
de la santé au bas de l'échelle, dont plusieurs
sont des demandeurs d'asile travaillant comme
préposés aux bénéficiaires dans les établissements
de soins de longue durée. On a rapporté que
l'éclosion était due largement à la propagation du
virus entre les établissements de soins de longue
durée, où les travailleurs manquent d'équipements
de protection individuelle, et les quartiers où
les familles habitent à l'étroit dans des
logements exigus. Le 4 mai, la directrice de
la santé publique de Montréal, Mylène Drouin, a
déclaré que la situation s'aggrave à Montréal. «
Quand on regarde les chiffres globaux, on n'est
pas vers une baisse de la courbe épidémique ;
on voit des plateaux, voire une augmentation de
cas », a-t-elle dit. En raison de tout cela,
la réouverture des écoles primaires dans la région
de Montréal, qui avait été annoncée pour
le 11 mai, a été reportée en septembre.
On est
frappé, dans les déclarations du gouvernement au
sujet de la « réouverture », par la
déconnexion entre ce que dit le gouvernement et la
réalité sur le terrain. Par exemple, le
gouvernement a annoncé que les proches aidants
sont maintenant admis dans les CHSLD et les
résidences pour gens âgés parce que trop de
résidents sont laissés à eux-mêmes dans leur
chambre à cause de la pénurie d'employés pouvant
interagir avec eux. Le gouvernement avait d'abord
décidé que les proches aidants devraient être
testés pour la COVID-19 avant d'être admis dans
les CHSLD et les résidences. Cela avait soulevé
une grande vague d'angoisse parce que les proches
aidants n'avaient pas été avertis qu'ils devraient
être testés. Puis, soudainement, le 8 mai, on
a annoncé qu'ils n'auraient pas besoin d'être
testés, sans qu'aucune explication ne soit donnée
sur la raison du changement subit de politique.
Une autre déconnexion est le conflit entre
l'affirmation que tout l'équipement de protection
individuelle est maintenant disponible pour tous
les travailleurs de la santé de première ligne et
une réalité qui est tout autre. La situation dans
les CHSLD, les établissements de soins de longue
durée et les soins à domicile est encore très
mauvaise à cet égard.
L'arrogance du gouvernement face aux demandes
justifiées des travailleurs est telle qu'un des
membres de l'équipe de direction du premier
ministre a qualifié de manière méprisante ceux qui
soulèvent des objections à ce que fait cette
équipe de « gérants d'estrade », pour écarter
leurs demandes légitimes.
Une autre caractéristique frappante des
déclarations de l'équipe de direction est le
caractère pragmatique des arguments qu'elle amène.
Par exemple, il avait d'abord été décidé que les
enseignants âgés de 60 à 69 ans n'auraient pas à
se présenter au travail lors de la réouverture des
écoles primaires et des centres de la petite
enfance à cause du danger réel qu'ils soient
infectés par le virus. Le 7 mai, sans
avertissement, le premier ministre Legault, de sa
manière unilatérale habituelle, a dit que cette
décision avait été renversée et que les personnes
ayant entre 60 et 69 ans devraient se
présenter au travail.
Pour justifier sa décision, le premier ministre
Legault a présenté un graphique illustrant le
pourcentage des décès de la COVID-19 selon l'âge.
Le graphique révélait que les personnes âgées
de 60 à 69 ans
représentent 6 % de l'ensemble des décès
dus au virus, alors que les personnes de plus
de 70 ans en représentent plus
de 90 %. Le graphique montrait aussi que
personne de moins de 30 ans n'était mort du
virus. C'est un geste intolérable parce qu'il nie
la complexité de la propagation du virus, tel
qu'indiqué par les autorités de la Santé publique,
qui est précisément une des principales
préoccupations causées par le retour en masse en
classe des élèves et leur interaction avec des
enseignants de tous âges, notamment
d'entre 60 et 69 ans.
Nous avons affaire à une autorité qui agit de
manière pragmatique et de manière déconnectée du
peuple et méprisante à son égard. Une autorité
doit être de principe et étroitement liée aux
travailleurs qui accomplissent le travail et qui
doivent avoir un mot décisif sur comment le
travail est fait, sur les impératifs de santé et
de sécurité, surtout lors d'une crise comme la
pandémie de la COVID-19.
Beaucoup de personnes ont également été choquées
lorsque les médias ont révélé que le ministère du
Conseil exécutif, qui relève directement du
premier ministre du Québec, a engagé la firme
privée mondiale d'experts-conseils McKinsey, basée
aux États-Unis, pour proposer des modèles de
déconfinement et de réouverture du Québec. Cette
firme est connue notamment pour ses liens avec le
secteur militaire des États-Unis de même qu'avec
le Service de l'immigration et de l'application
des règles douanières des États-Unis (ICE), pour
lequel elle a effectué du travail de consultant
qui a mené à des coupures dans les dépenses en
nourriture et en soins médicaux pour les migrants
et à l'accélération des procédures de déportation.
Cela montre que non seulement le gouvernement ne
s'appuie pas sur les préoccupations, les opinions
et les demandes des travailleurs pour ce qu'il
appelle la réouverture du Québec, mais qu'il ne
s'appuie pas non plus sur ses propres
scientifiques, ses propres fonctionnaires ou même
les députés de l'Assemblée nationale pour traiter
du problème.
Au même moment, des sondages commencent à être
publiés dans les médias au sujet de la «
popularité » du gouvernement et de telle ou
telle mesures en ce qui concerne la réouverture du
Québec.
Les Québécois se demandent avec raison si cette
crise sera traitée comme une sorte de campagne
électorale, dirigée par des firmes privées et
agences de marketing, comme c'est le cas en «
temps normal » alors que les gens sont
traités comme des « clients » et non des
décideurs sur les affaires qui les concernent.
Est-ce qu'on va assister maintenant à ce même
genre de corruption ? Cette situation est
dangereuse et requiert la mobilisation et
l'organisation du peuple qui parle en son propre
nom et affirme son droit de décider des affaires
de la société.
Les travailleurs n'assument pas leur
responsabilité de protéger les membres de la
société, dont eux-mêmes, pour ensuite être traités
de cette manière indigne et irrespectueuse. Ce
sont eux qui doivent déterminer leurs conditions
de travail et les mesures requises pour surmonter
cette crise d'une façon qui favorise le peuple.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 33 - 16 mai 2020
Lien de l'article:
La « réouverture » du Québec et le besoin de donner aux travailleurs le mot décisif sur leurs conditions de travail - Pierre Chénier
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