Les «séances de responsabilisation» du parlement virtuel
Le Parlement canadien tient des « séances de
responsabilisation » virtuelles depuis
le 28 avril. Les médias officiels et les
partis qui forment le système de gouvernement de
partis cartellisés les présentent comme une forme
de responsabilisation du gouvernement. Rappelons
que le gouvernement a déjà adopté une loi lui
donnant le mandat d'utiliser des pouvoirs
d'exception pendant la crise de la COVID-19. Les
Canadiens apprennent maintenant que les
institutions démocratiques et la responsabilité
ministérielle vont être assurées par un parlement
virtuel et des « séances de
responsabilisation ».
La Chambre des communes et le Sénat ont été
fermés à la mi-mars en raison des mesures de
distanciation sociale visant à ralentir la
propagation du coronavirus. Ils devaient
initialement rouvrir le 20 avril ou être
reportés sur la base d'un consensus de tous les
partis. Lors d'une session de la Chambre des
communes le 20 avril, à laquelle 37
députés ont participé en personne, une motion du
gouvernement ajournant les travaux de la Chambre
jusqu'au 25 mai a été adoptée. La motion
prévoit en lieu et place des travaux habituels des
« séances de responsabilisation » (expression
utilisée par le chef de l'opposition Andrew
Sheer), auxquelles un certain nombre de députés
participent en personne, ainsi que des séances
virtuelles. La motion du gouvernement libéral a
été adoptée par 22 voix contre 15. Le
NPD, le Bloc québécois et le Parti vert ont appuyé
la motion et le Parti conservateur a voté contre.
Les séances en question ne sont pas des sessions «
réglementaires » de la Chambre, ce sont des
sessions du Comité COVID-19 mis en place en mars
(initialement pour développer le programme de
sauvetage sous la présidence de Chrystia
Freeland). Les 338 élus de la Chambre sont
membres de ce comité spécial mais dans les
sessions « en personne », seulement
de 37 à 40 députés siègeront à la fois,
avec un quorum de 7 plutôt que 20.
La motion adoptée le 20 avril prévoit une
session en personne (le mercredi) et deux séances
virtuelles (le mardi et le jeudi) par semaine
jusqu'au 25 mai. Elle maintient le nouveau
Comité spécial sur la pandémie de la COVID-19,
désormais présidé par le président de la Chambre,
Anthony Rota, qui se réunira virtuellement pendant
que la Chambre est ajournée. La première session
virtuelle a eu lieu le 28 avril. Ces forums
sont présentés comme une occasion pour les députés
de tenir le gouvernement responsable dans sa
réponse à la pandémie en posant des questions aux
ministres et au premier ministre. Ils pourraient
également présenter des motions et des pétitions.
La méthode de vote sur les motions et les projets
de loi n'a pas encore été finalisée par le Comité
de la procédure de la Chambre.
Le Sénat a quant à lui décidé de prolonger son
ajournement jusqu'au 2 juin.
Les médias rapportent que le premier ministre,
les partis d'opposition, les premiers ministres
provinciaux et les chefs d'entreprise et de
syndicats trouvent des moyens de « régler les
problèmes » sans parlement. L'exemple est
donné de la « contribution positive » du
président du Congrès du travail du Canada, Hassan
Yussuff, lors de conversations directes avec le
premier ministre et Perrin Beatty, le président de
la Chambre de commerce du Canada, sur la mise en
oeuvre du plan de sauvetage.
Dans une note du 9 avril, le bureau du
président de la Chambre explique pourquoi la
Chambre ne pouvait pas simplement connecter tout
le monde à Zoom pour assurer la poursuite des
travaux de la Chambre en dehors des comités :
« La Chambre des communes a des exigences
supplémentaires, y compris, et surtout, la
nécessité de veiller à ce que les solutions
soutiennent pleinement l'interprétation
simultanée, afin que les députés et les Canadiens
puissent suivre les délibérations dans la langue
officielle de leur choix. »
Jaime Watt du Toronto Star écrit que « le
président de la Chambre et son personnel ont de
vrais défis à relever. Il y a des députés qui
représentent des circonscriptions rurales où la
connectivité à large bande est au mieux inégale.
Le logiciel de téléconférence le plus populaire
est insuffisamment sécurisé. De nombreux députés
ont du mal à utiliser la technologie. Aussi
surprenant que cela puisse paraître, il n'y a pas
de moyen facile d'assurer une traduction
simultanée. Il n'est pas clair si les lois sur le
privilège parlementaire qui protègent les députés
contre la diffamation et les poursuites en
diffamation s'appliquent dans le domaine virtuel.
Et, bien sûr, d'autres coutumes étranges, beaucoup
diraient anachroniques, telles que la tradition de
s'adresser au président plutôt qu'à un député,
peuvent également devoir être revues. Et la liste
continue. »
« Pourtant, le besoin pressant de freins et
contrepoids demeure. Comme je l'ai écrit il y a
deux semaines, la démocratie n'est jamais aussi
précaire que lors d'une pandémie. Le gouvernement
a déjà montré qu'il n'a pas peur des dépassements
antidémocratiques, sa tentative d'investir le
ministre des Finances de pouvoirs d'urgence
étendus qui dureraient 18 mois étant la pièce
à conviction parfaite. Ce n'est que face à de
vives critiques publiques, dirigées par
l'opposition, que le gouvernement a reculé. »
À sa conférence de presse quotidienne du 20
avril, avant le vote à la Chambre, le premier
ministre a déclaré : « Je pense que c'est
notre responsabilité collective à tous de faire de
notre mieux dans cette situation difficile. [...]
C'est vraiment important pour moi que nous
continuions à défendre notre démocratie, nos
principes démocratiques, les principes de
responsabilité, la capacité d'aller de l'avant
avec de nouvelles lois pour aider les Canadiens.
Cela compte vraiment. Mais il importe vraiment que
nous le fassions de façon responsable. »
Les conservateurs se sont opposés à la motion du
gouvernement. « M. Trudeau doit expliquer pourquoi
il essaie de remplacer le parlement par des
conférences de presse », a déclaré le chef
par intérim Andrew Scheer. Les conservateurs ont
d'abord proposé que des « séances de
responsabilisation » en personne aient lieu
quatre fois par semaine et, finalement, au moment
du vote du 20 avril, ils se sont résignés à
deux fois par semaine dans un amendement à la
motion du gouvernement libéral, qui n'a pas passé.
« Les conservateurs continuent de croire que les
fréquentes séances de responsabilisation au
Parlement obtiennent de meilleurs résultats pour
les Canadiens, a déclaré Scheer. Nous avons
démontré à maintes reprises comment le débat, les
discussions et les occasions de questionner le
premier ministre et ses autres ministres
améliorent les programmes et politiques du
gouvernement. »
Susan Delacourt du Toronto Star écrit que
ce que Scheer n'a pas dit, c'est que divers
arrangements ont été conclus en dehors des séances
de « reddition de comptes » à la Chambre et
sans « le théâtre politique ». « Cela
ressemble énormément à la démocratie et à la
responsabilité - tous gérés sans théâtre »,
écrit-elle en référence aux échanges entre les
partis politiques en matière de secours en cas de
pandémie qui ont eu lieu par téléphone ou dans de
petites rencontres privées sur la Colline du
Parlement, loin des caméras.
Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a dit qu'il
souhaitait que la Chambre siège une fois par
semaine, ce qui permettrait au parlement d'adopter
des modifications législatives et d'améliorer
l'aide aux Canadiens touchés par la pandémie.
Le Parti vert considère le débat sur la reddition
de comptes durant la pandémie comme une «
nuisance » et que les questions urgentes
soulevées par la crise sanitaire nécessitent des
mesures immédiates et sans entraves, rapportent
les médias.
Le député vert Paul Manly a soulevé une question
de privilège lors de la séance du 20 avril
pour dire que « toute motion tendant à tenir des
séances ordinaires de la Chambre auxquelles ils ne
peuvent pas participer est une atteinte aux droits
de nombreux députés ».
La porte-parole parlementaire du Parti vert,
Elizabeth May, a dit que même dans les séances
limitées tenues jusqu'à présent, avec la
participation d'environ 40 députés, elle ne
se sentait pas en sécurité à cause de la
difficulté à maintenir la distance physique à la
Chambre. Ces séances obligent également les
secrétaires politiques, les préposés à
l'entretien, les traducteurs et autres à se rendre
au travail alors qu'ils devraient rester à la
maison, a-t-elle déclaré.
Elle a indiqué qu'elle et le député conservateur
Pierre Poilievre étaient devenus particulièrement
habiles à utiliser la technologie d'accès à
distance pour faire pression sur le gouvernement
et les fonctionnaires sur les détails des projets
de loi à l'ordre du jour.
May admet que ce sont des circonstances
extraordinaires et dit qu'elle réagirait au
premier signe d'un gouvernement qui en profite
pour « en imposer » aux opposants politiques.
Mais, dit-elle, ce n'est pas le cas jusqu'à
présent. « Je ne pense pas que les Canadiens
apprécieront les gens et les partis qui cherchent
actuellement à tirer un avantage partisan de la
situation », a-t-elle ajouté.
« Nous avons ces séances de questions et réponses
quotidiennes, poursuit-elle. Je sais que nous
n'avons pas toujours la possibilité de poser nos
questions chaque jour. Certains d'entre nous y
parviennent assez bien. »
Le chef du Bloc québécois, Yves-François
Blanchet, préfère également l'option de séances en
ligne de la Chambre afin de contenir le virus. Il
a qualifié de « tataouinages » les échanges
qui « n'intéresse pas beaucoup de vrai
monde » et reproché aux conservateurs « une
grande insensibilité » face à la situation
actuelle.
M. Blanchet a dit que le fait de siéger à la
Chambre une fois par semaine, avec en plus des
séances virtuelles, permettra quand même aux
députés d'avoir un débat de fond sur les mesures
du gouvernement.
Daniel Leblanc du Globe and Mail
rapporte : « La pandémie a fait d'étranges
compagnons de politiciens canadiens et d'autres
décideurs de haut niveau de l'économie, tous
engagés dans un exercice sans précédent de
conception et de mise en oeuvre de
politiques. »
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 29 - 2 mai 2020
Lien de l'article:
Les «séances de responsabilisation» du parlement virtuel
Site Web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
|