États-Unis

De nouvelles interdictions à l'immigration sous prétexte de pandémie

Le 22 avril, le président Trump a publié un décret intitulé « Proclamation suspendant l'entrée des immigrants qui présentent des risques pour le marché du travail américain pendant la reprise économique après l'éclosion de la COVID-19 ». L'ordonnance est entrée en vigueur à 23 h 59 le 23 avril. Elle est en vigueur pendant 60 jours et peut être renouvelée.

L'administration Trump affirme qu'en raison de la perturbation économique causée par la pandémie, « nous devons être conscients de l'impact des travailleurs étrangers sur le marché du travail américain, en particulier dans un environnement de chômage élevé et de demande affaiblie en main-d'oeuvre ».

L'administration Trump continue de se faire passer pour un défenseur des minorités et des personnes handicapées en justifiant l'interdiction de l'immigration. Elle affirme en effet que « l'excès de main-d'oeuvre affecte tous les travailleurs actuels et potentiels, mais c'est particulièrement préjudiciable pour les travailleurs qui penchent entre l'emploi et le chômage, qui sont généralement les ‘derniers arrivés' durant une expansion économique et les ‘premiers renvoyés' pendant une contraction économique. Ces dernières années, ces travailleurs sont représentés de manière disproportionnée dans les groupes historiquement défavorisés, y compris les Afro-Américains et d'autres minorités, ceux sans diplôme universitaire et les personnes handicapées. » La proclamation poursuit cette stratégie néolibérale de justifier la réaction en invoquant des idéaux élevés.[1]

Selon les mesures contenues dans le décret, les citoyens américains qui demandent un visa d'immigrant pour un parent, un enfant adulte ou un frère ou une soeur ne peuvent plus le faire. Elles imposent aussi un examen de 30 jours des visas temporaires. Les agences de presse soulignent que la proclamation contient des dispositions presque identiques à un projet de loi sur l'immigration rejeté par le Sénat en février 2018. Concernant la prétention de l'administration Trump que la proclamation vise à empêcher les immigrants d'enlever des emplois aux citoyens américains, le magazine Forbes souligne : « Le taux de chômage aux États-Unis en février 2018 n'était que de 4,1 % lorsque l'administration a tenté d'empêcher les immigrants d'entrer au pays dans les mêmes catégories que celles incluses dans la proclamation présidentielle du 22 avril 2020. » Ainsi, l'administration Trump a effectivement utilisé la pandémie pour changer la loi sur l'immigration sans soumettre de projet de loi au Congrès.

Le 25 avril, une coalition d'organisations de défense des droits civiques et d'organisations juridiques a déposé une requête demandant au tribunal de district de l'Oregon d'« arrêter la mise en oeuvre de cette interdiction dans la mesure où elle empêche les demandeurs de visa d'accéder aux services de traitement consulaires d'urgence ».

La coalition réfute les justifications données pour l'interdiction : « La proclamation présidentielle affirme que, à quelques exceptions près, l'entrée continue d'immigrants présente un risque pour le marché du travail américain à cause de l'épidémie de la COVID-19. Mais la réalité est que les immigrants sont l'épine dorsale de l'économie américaine, sont déjà en première ligne de la réponse à la pandémie et seront également la clé de la reprise économique. Les experts prévoient que l'interdiction de l'immigration familiale réduira probablement la croissance de la population et rendra la relance économique plus difficile après le ralentissement économique causé par la COVID-19. Des décennies de recherche nous indiquent que l'augmentation du nombre d'immigrants stimule la demande des consommateurs, crée des emplois et apporte une contribution de plus en plus précieuse à la force de l'économie nationale.

« En refusant les visas de regroupement familial, cette proclamation interdira l'entrée à des milliers de grands-parents qui viennent prendre soin des enfants des travailleurs essentiels qui emballent et livrent nos aliments, soignent les patients dans nos hôpitaux et recherchent des traitements et des vaccins contre le virus. Cela pourrait également changer la classification des visas pour un adolescent approchant de son vingt et unième anniversaire puisqu'il perdra son admissibilité à un visa pendant que l'interdiction est en vigueur – ce qui retardera de plusieurs années, voire des décennies, le processus d'immigration. »

À l'occasion du Premier Mai, il est important de rappeler que la classe ouvrière américaine a relancé la tradition du Premier Mai comme une occasion d'affirmer avec militantisme les droits des travailleurs et leur rôle essentiel en tant que producteurs de la richesse de la société, et que cela a été fait précisément avec des immigrants et des travailleurs sans papiers en tant que partie intégrante de la classe ouvrière. Le refus de la classe ouvrière américaine d'être divisée sur une base raciste ou d'être incitée au racisme a été réaffirmé tout au long de la présidence Trump par la vaste opposition aux interdictions de voyager, à la militarisation de la frontière avec le Mexique et aux raids et détentions inhumaines effectués par le Contrôle de l'immigration et des douanes.

La classe ouvrière américaine ne sera sûrement pas dupe de cette tentative de l'inciter au racisme ou de diviser les travailleurs sur une base raciste. Les travailleurs ne seront pas non plus détournés de la défense de leurs droits et des droits de tous, ni de leur détermination à tenir l'administration Trump et d'autres responsables redevables de leurs crimes contre les travailleurs pendant la pandémie.

Les travailleurs de première ligne dans la lutte contre
la pandémie sont ciblés par l'interdiction

L'opportunisme de l'administration Trump sur les questions d'immigration pendant la pandémie se voit également dans sa tentative d'abroger la politique d'immigration connue sous le nom d'action différée pour les arrivées de l'enfance (DACA) qui fournit des protections limitées à ceux qui sont venus aux États-Unis sans papiers pendant l'enfance. Depuis son arrivée au pouvoir, l'administration Trump a cherché à éliminer la DACA, mais cela a été contesté par plusieurs États et son abrogation est actuellement bloquée par les tribunaux. La Cour suprême est appelée à se prononcer sur la question dès le 4 mai, en plein milieu de la pandémie.

La DACA a été créée en juin 2012 en tant que mémorandum du pouvoir exécutif. Ceux qui ont réussi à demander la DACA peuvent différer l'expulsion pour une période renouvelable de deux ans, avec éligibilité aux permis de travail pendant cette période. Elle ne donne pas accès à la citoyenneté. Environ 700 000 personnes ont présentement le statut de la DACA.

Les travailleurs bénéficiaires de la DACA font partie intégrante de l'économie américaine et de la sécurité et du bien-être de ses habitants, en particulier pendant la pandémie.

Une étude réalisée le 6 avril par le Center for American Progress indique que dans l'ensemble des États-Unis « 202 500 bénéficiaires de la DACA travaillent à protéger la santé et la sécurité des Américains alors que le pays est confronté à la COVID-19. Ils veillent à ce que les enfants continuent d'être éduqués ; les aliments soient toujours cultivés, emballés, cuits, expédiés et mis sur les étagères des épiceries ; les patients soient pris en charge ; et bien plus encore. Les bénéficiaires de la DACA, par exemple, sont des médecins et des étudiants en médecine, qui mettent leur propre santé et sécurité en danger. Ils sont également des enseignants qui s'efforcent de fournir à distance un sentiment de bien-être et de continuité à la plus jeune génération. Ce sont des rôles cruciaux à l'heure où les États-Unis sont confrontés à une grave pénurie de travailleurs dans les deux professions. »

L'étude indique qu'environ 29 000 bénéficiaires de la DACA sont des travailleurs de la santé de première ligne et que les États comptant le plus de bénéficiaires de la DACA abritent également le plus grand nombre qui oeuvrent aux soins de la santé : la Californie en compte 8600 ; le Texas 4300 ; l'État de New York 1700 ; l'Illinois 1400 ; la Floride 1100 ; l'Arizona 1000 ; et l'État de Washington 1000. Quelque 12 700 autres bénéficiaires de la DACA dans le secteur de la santé s'occupent de l'entretien ménager, des services alimentaires, de la gestion et de l'administration, tant dans les hôpitaux que dans les centres d'hébergement pour personnes âgées.

Dans le secteur de l'éducation, l'étude indique que « 14 900 bénéficiaires de la DACA font partie des centaines de milliers d'enseignants qui sont passés de la salle de classe physique à la salle de classe numérique, dont 4300 en Californie, 2800 au Texas et 1000 en Illinois ».

En ce qui concerne l'industrie de l'alimentation, l'étude indique que « de la ferme à l'épicerie, des centres de distributions aux restaurants, plus du quart des bénéficiaires de la DACA à l'emploi, soit 142 200, occupent des emplois ou travaillent dans les industries liées à l'alimentation. C'est sans compter que tous les travailleurs du secteur alimentaire sont sans aucun doute touchés par la COVID-19 d'une façon ou d'une autre.

« Du côté de la production, 12 800 récipiendaires de la DACA travaillent dans l'industrie agroalimentaire, la grande majorité à titre d'ouvriers agricoles, alors que 11 600 récipiendaires de la DACA oeuvrent dans l'industrie alimentaire, où ces produits agricoles sont transformés en produits alimentaires pouvant être vendus.

« Quelque 4700 bénéficiaires de la DACA travaillent dans le commerce du gros lié à l'alimentation et 8800 dans l'entreposage, le transport et la livraison de denrées alimentaires. Ils transportent les aliments des centres de production jusqu'aux consommateurs. »

« Un autre groupe de travailleurs essentiels à l'alimentation est celui qui s'occupe de maintenir les épiceries ouvertes et opérationnelles. Il comprend 14 900 bénéficiaires de la DACA, occupant des postes tels que caissiers (6000), les étalagistes et journaliers (2900) et superviseurs (1200).

« La majorité des bénéficiaires de la DACA dans cette industrie travaillent dans des restaurants ou des établissements de services alimentaires (82 200). Cela comprend 23 700 serveurs ; 20 800 cuisiniers et préparateurs ; et 10 800 caissiers. Alors que les restaurants du prêt-à-emporter et les services de restauration rapide sont jugés essentiels par la Sécurité intérieure des États-Unis, la restauration reste largement fermée et l'industrie de la restauration a connu des fermetures et des licenciements importants.

« Et ces statistiques ne comprennent sans doute pas un autre groupe critique : les employés d'entrepôt qui jouent désormais un rôle plus important dans le transport direct des aliments vers les consommateurs à travers le pays, ainsi que les emplois-sur-demande comme les livreurs. »

Les bénéficiaires de la DACA sont également confrontés à l'incertitude concernant le renouvellement de leur statut ou de leurs permis de travail, car le département de l'immigration a fermé ses bureaux jusqu'au 3 juin en raison de la pandémie. Les récipiendaires de la DACA et les organisations de défense des droits exigent que le gouvernement procède à un renouvellement automatique pendant que les bureaux extérieurs du département de l'immigration restent fermés.

Les récipiendaires de la DACA et diverses organisations demandent à la Cour suprême de retarder toute décision jusqu'après la pandémie.

Note

1. Pour lire la proclamation complète, cliquez ici.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 29 - 2 mai 2020

Lien de l'article:
États-Unis: De nouvelles interdictions à l'immigration sous prétexte de pandémie


    

Site Web:  www.pccml.ca   Courriel:  redaction@cpcml.ca