Possibilité de famine de masse en Inde

Un récent article publié par l'agence de presse indienne The Wire attire l'attention sur le problème actuel d'insécurité alimentaire de millions de travailleurs indiens, qui a été exacerbé par les conditions de confinement en Inde qui ont été prolongées jusqu'au 11 mai.

Le système public de distribution (PDS) de l'Inde, établi en vertu de la Loi de 2013 sur la sécurité alimentaire nationale (National Food Security Act, NFSA), est destiné à fournir des denrées alimentaires et d'autres biens subventionnés aux secteurs pauvres de la population. L'accès au système PDS dépend de la possession d'une carte de rationnement. Ce ne sont pas tous les travailleurs ou leurs familles qui devraient avoir droit aux cartes de rationnement qui en ont. De même, les travailleurs migrants [inter-États], qui font partie des travailleurs pauvres qui pourraient bénéficier du PDS, ne peuvent pas recevoir leurs rations s'ils sont loin de leur État d'origine.

« Les universitaires Meghana Mungikar, Jean Drèze et Reetika Khera [...] ont récemment estimé que 108,4 millions de personnes en Inde sont exclues du PDS. Cela représente environ 8 % de la population indienne », souligne The Wire.

Dans l'ensemble, la NFSA couvre 67 % de la population. Sur la base des données du recensement de 2011, lorsque la population de l'Inde était de 1,22 milliard d'habitants, il y a 814 millions de personnes admissibles au PDS. En 2020, la population est estimée par ces chercheurs à 1,37 milliard, ce qui signifie que 922 millions devraient être admissibles au PDS. Cependant, le système continue de fonctionner sur la base des données de 2011, ce qui signifie que 108,4 millions de personnes qui devraient avoir droit à des rations au titre du PDS ne sont pas couvertes.

L'article poursuit en soulignant que les gouvernements des États ont déjà épuisé leurs quotas, qui sont gelés depuis la mise en vigueur de la NFSA. Par exemple, Jharkhand a cessé d'émettre de nouvelles cartes de rationnement il y a plusieurs années et les demandes de 8,4 lakh (840 000) ménages sont en attente.

The Wire souligne qu'environ 90 % de la main-d'oeuvre indienne est employée dans le secteur informel où la sécurité d'emploi est minimale et les salaires bas. Il est dit qu'« environ 85 % de la main-d'oeuvre indienne - en supposant que 68 % de la main-d'oeuvre est masculine, selon le recensement de 2011 - gagne moins de 10 000 roupies par mois [184,86 $ CA]. Et environ 50 % de la main-d'oeuvre gagne moins de 5 000 roupies par mois [92,43 $ CA], ou moins de 166 roupies par jour [3,07 $ CA]. Même ce revenu aurait désormais, dans le cas de la plupart de ces travailleurs, été anéanti en raison du confinement.

Un rapport publié le 15 avril par le Stranded Workers Action Network (SWAN) - commencé par un groupe de 73 volontaires le 27 mars alors qu'il était évident que les travailleurs migrants sont extrêmement vulnérables - note que 50 % des 11 000 travailleurs avec qui ils ont été en contact avaient des rations pour moins d'un jour.

96 % des travailleurs n'avaient pas reçu de rations du gouvernement et 70 % n'avaient reçu aucun aliment cuit. Pour aggraver les problèmes, 89 % d'entre eux n'avaient pas été payés par leurs employeurs pendant la période de confinement, souligne le Réseau.

The Wire fournit également des statistiques sur les migrants inter-États. « Selon les estimations, l'Inde pourrait compter entre 120 millions et 150 millions de migrants internes qui travaillent dans les villes comme aides-domestiques, travailleurs de la construction, dans des briqueteries et dans le secteur des transports, entre autres. Ils sont désormais extrêmement vulnérables alors que leurs sources de revenus se sont taries et la plupart se trouveraient dans des villes où ils n'ont ni carte de rationnement ni filet de sécurité. Ces migrants sont désormais contraints de dépendre de la charité. »

« Cette dépendance envers la bienveillance de ceux qui sont mieux nantis en tant que politique de l'État est également évidente à partir d'une contribution faite par le Centre à la Cour suprême la semaine dernière », écrit The Wire. « Il a montré que dans 13 États, les organisations non gouvernementales (ONG) avaient mis en place plus de camps de nourriture et nourri plus de personnes que les gouvernements des États respectifs, alors que le Centre n'a rien fait de tel. En Inde, 9 473 camps ont été mis en place par des ONG, tandis que 7 848 avaient été créées par les gouvernements des États. »

« Les 5 kilogrammes de céréales supplémentaires et 1 kilogramme de légumineuses qu'elle a annoncés n'atteindront pas les plus de 100 millions de personnes qui ne sont pas éligibles au PDS en raison de l'utilisation des données du recensement de 2011. Ils n'atteindront pas les millions de travailleurs migrants bloqués loin de leur État d'origine sans aucune source de revenus. »

De plus, les sans-abri, les mendiants, les personnes âgées et les tribus non déclarées ne sont sur la liste de personne, selon Nikhil Dey, cofondateur du groupe de défense des droits Mazdoor Kisan Sangathan.

Parallèlement, The Wire rapporte qu'en mars, « la Food Corporation of India détenait 77 millions de tonnes de stocks de riz et de blé, ce qui représente plus de trois fois le stock régulateur requis. Ce stock augmentera davantage à mesure que le gouvernement prévoit se procurer 40 millions de tonnes de blé pendant la récolte de rabi (légimineuses indiennes), qui aura lieu bientôt. Une moyenne des trois dernières années montre que le PDS a besoin d'environ 54 millions de tonnes de céréales pour assurer les provisions pour une année complète. Il faudrait 20 millions de tonnes supplémentaires pour universaliser le système pendant un an. »

Les décès par famine ont déjà commencé selon les rapports des chercheurs Thejesh G.N., Kanika Sharma et Aman.

The Wire conclut : « Avec les entrepôts de la FCI [Food Corporation of India] remplis à ras bord de stocks de nourriture, il est important de rappeler l'étude d'Amartya Sen sur la famine du Bengale de 1943 dans laquelle il a constaté qu'il ne s'agissait pas d'une pénurie de nourriture mais d'un manque d'accès à la nourriture, ce qui a conduit à des morts par famine. »
« Les personnes décédées devant des magasins d'alimentation bien approvisionnés et protégés par l'État se sont vu refuser de la nourriture en raison de l'absence de droits légaux, et non pas parce que ceux-ci avaient été violés », a écrit Sen dans son livre Pauvreté et famines en 1981.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 28 - 25 avril 2020

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