«La descente est beaucoup plus lente que la montée»


Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus

Alors que la pandémie de COVID-19 continue de faire des ravages dans le monde entier, au Canada et dans divers pays européens ainsi qu'aux États-Unis, l'assouplissement des restrictions pour relancer l'économie commence à dominer les reportages des médias. Parallèlement à cela, nous assistons à la montée d'une désinformation qui détourne l'attention de ce que les gouvernements font ou ne font pas et de la nécessité de travailler ensemble pour maîtriser cette pandémie.

Tel est le cas de l'annonce faite par le président américain Donald Trump de suspendre la contribution financière des États-Unis à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et d'intenter un procès à la Chine, cela de la part d'un pays qui est vraisemblablement lui-même coupable de négligence criminelle dans sa gestion de la pandémie.

Il en va de même des attaques contre l'OMS par plusieurs députés liés au Parti conservateur du Canada ainsi que par le libéral Irwin Cotler et le premier ministre albertain Jason Kenney, qui ont également cru bon de diffamer l'administratrice de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, dans ce qui ne peut être qu'une tentative pathétique et peut-être raciste de semer le doute sur son intégrité dans le but de détourner l'attention de ce qu'ils font eux-mêmes dans les coulisses.

Pour aider les Canadiens à se retrouver dans cette situation, nous publions les remarques liminaires du directeur général de l'OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors de sa conférence de presse du 13 avril, suivies de celles du 15 avril, après que les États-Unis ont annoncé la suspension de leur financement à l'OMS.

Remarques du directeur général de l'OMS le 13 avril

Bonjour, bon après-midi ou bonsoir,

Certains pays et certaines communautés sont soumis à des restrictions économiques et sociales depuis plusieurs semaines.

Certains pays réfléchissent au moment où ils pourront lever ces restrictions tandis que d'autres envisagent de les instaurer et réfléchissent au moment opportun pour le faire.

Dans un cas comme dans l'autre, ces décisions doivent viser avant tout à protéger la santé des populations et se fonder sur ce que nous savons du virus et de son comportement.

Depuis le début, l'OMS s'intéresse vivement à cette question.

Comme nous l'avons déjà souvent dit, il s'agit d'un nouveau virus et de la première pandémie due à un coronavirus.

Nous apprenons tous en permanence et nous ajustons notre stratégie en fonction des dernières données disponibles.

Nous pouvons dire seulement ce que nous savons et nous pouvons agir seulement d'après nos connaissances.

Les données de plusieurs pays nous apportent des informations plus claires sur ce virus, son comportement et la manière d'enrayer sa propagation et de traiter la maladie qu'il provoque.

Nous savons que la COVID-19 se propage rapidement et entraîne de nombreux décès — 10 fois plus que la grippe pandémique de 2009.

Nous savons que le virus peut se propager plus facilement dans les lieux collectifs comme les maisons de retraite.

Nous savons que pour enrayer la transmission, il est essentiel de rechercher précocement les cas, d'isoler et de prendre en charge chaque cas et de rechercher chaque contact.

Nous savons que, dans certains pays, le nombre de cas double tous les trois à quatre jours.

Or, si la propagation de la COVID-19 s'accélère en très peu de temps, elle met beaucoup plus de temps à ralentir.

En d'autres termes, la descente est beaucoup plus lente que la montée.

Les restrictions doivent donc être levées très progressivement et de façon maîtrisée, pas d'un seul coup.

Les restrictions ne peuvent être levées que si les mesures de santé publique voulues sont en place, notamment d'importants moyens de recherche des contacts.

Mais si certains pays réfléchissent aux modalités d'assouplissement de ces restrictions, d'autres — en particulier de nombreux pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie à revenu faible ou intermédiaire — se demandent s'il faut les instaurer.

Dans les pays où les populations pauvres sont nombreuses, le confinement à domicile et les autres restrictions appliquées dans les pays à revenu élevé ne sont pas toujours envisageables.

De nombreux pauvres, migrants et réfugiés vivent dans des conditions de promiscuité et disposent de peu de ressources et d'un accès limité aux soins de santé.

Comment survivre à un confinement quand on dépend de son travail quotidien pour se nourrir ? Des articles de presse du monde entier rapportent que beaucoup de gens risquent de ne plus avoir accès aux denrées alimentaires.

Parallèlement, on estime que 1,4 milliard d'enfants ne vont plus à l'école car celle-ci a fermé. Ainsi, leur parcours scolaire est interrompu, certains enfants sont exposés à un risque accru de maltraitance et de nombreux enfants sont privés de leur principale source de nourriture.

Comme je l'ai souvent dit, la distanciation physique n'est qu'un élément de l'équation et beaucoup d'autres mesures de santé publique fondamentales doivent être mises en place.

Nous appelons aussi tous les pays qui appliquent des mesures de confinement à domicile à ne pas le faire aux dépens des droits humains.

Chaque gouvernement doit évaluer sa propre situation tout en protégeant ses citoyens, en particulier les plus vulnérables.

Pour aider les pays à prendre ces décisions, l'OMS publiera demain ses conseils stratégiques actualisés.

Cette nouvelle stratégie fait la synthèse de ce que nous avons appris et montre la voie à suivre. Elle propose six critères aux pays qui envisagent de lever les restrictions :

Premièrement, la transmission doit être maîtrisée.

Deuxièmement, le système de santé doit disposer de moyens pour détecter, tester, isoler et traiter chaque cas et pour rechercher chaque contact.

Troisièmement, les risques de flambée doivent être réduits autant que possible dans certains lieux particuliers, comme les établissements de santé et les maisons de retraite.

Quatrièmement, des mesures de prévention doivent être appliquées sur les lieux de travail, dans les établissements scolaires et dans les autres lieux essentiels pour la population.

Cinquièmement, les risques d'importation doivent être gérés.

Sixièmement, les populations doivent être formées, impliquées et dotées des moyens nécessaires pour s'adapter à la « nouvelle norme ».

Chaque pays doit mettre en oeuvre une série complète de mesures pour ralentir la transmission et sauver des vies afin que la transmission soit durablement faible voire nulle.

Les pays doivent trouver un équilibre entre les mesures de lutte contre les décès dus à la COVID-19 et contre ceux dus aux autres maladies en raison de la surcharge des systèmes de santé et des conséquences socioéconomiques.

Au fur et à mesure de sa propagation, la pandémie a eu de graves conséquences socioéconomiques et sur la santé publique et a touché de façon disproportionnée les personnes vulnérables. De nombreuses populations n'ont déjà plus accès aux services de santé essentiels.

Notre monde étant interconnecté, le risque de réintroduction et de résurgence de la maladie va persister.

En fin de compte, seules la mise au point et la mise à disposition d'un vaccin sûr et efficace permettront d'interrompre totalement la transmission.

Enfin, je tiens à remercier le Royaume-Uni de sa généreuse contribution de £200 millions pour la riposte mondiale à la COVID 19.

Nous apprécions énormément ce geste de solidarité mondiale.

Dans un éditorial publié la semaine dernière, les ministres du développement du Royaume-Uni, du Danemark, de l'Islande, de la Finlande, de l'Allemagne, de la Norvège et de la Suède appellent tous les pays à participer à cet effort commun.

Ils affirment que la seule possibilité est de s'unir pour combattre cette maladie.

Je suis tout à fait d'accord. La solution passe par la solidarité, au niveau national et au niveau mondial.

Remarques du directeur général de l'OMS le 15 avril

[...]

Nous regrettons la décision prise par le président des États-Unis d'ordonner la suspension du financement à l'Organisation mondiale de la santé.

Soutenue par la population et le gouvernement des États-Unis, l'OMS s'attèle à améliorer la santé de nombreuses personnes qui comptent parmi les plus démunies et les plus vulnérables de la planète.

L'OMS ne se contente pas de combattre la COVID-19. Nous travaillons également à des solutions pour la poliomyélite, la rougeole, le paludisme, Ebola, le VIH, la tuberculose, la malnutrition, le cancer, le diabète, la santé mentale et bien d'autres maladies et affections.

Nous oeuvrons aussi, aux côtés des pays, au renforcement des systèmes de santé et à l'amélioration de l'accès aux services de santé essentiels.

Nous examinons en ce moment l'incidence qu'un retrait du financement des États-Unis aurait sur notre action et nous chercherons, avec l'aide de nos partenaires, à combler les éventuels déficits financiers auxquels nous serions confrontés afin de veiller à ce que notre travail se poursuive sans interruption.

Nous maintenons un engagement total à promouvoir la santé et la science et à servir tous les habitants de cette planète sans crainte ni favoritisme.

Nous avons pour mission et pour mandat de travailler avec toutes les nations sur un pied d'égalité, peu importe la taille de leur population ou de leur économie.

La COVID-19 ne fait pas de distinction entre nations riches et pauvres, grandes et petites. Peu lui importent la nationalité, l'appartenance ethnique ou l'idéologie.

Il en va de même pour nous. Pour nous tous, l'heure est aujourd'hui à l'union dans un combat commun contre une menace commune, un dangereux ennemi.

Lorsque nous sommes divisés, le virus tire parti des failles qui nous séparent.

Nous sommes résolus à servir la population du monde entier et à rendre compte des moyens qui nous ont été confiés.

L'heure venue, les États membres de l'OMS et les organes indépendants établis pour en garantir la transparence et la responsabilité examineront la façon dont l'organisation a géré cette pandémie, comme le prévoient les procédures mises en place par ces mêmes États membres.

Il ne fait aucun doute que cet examen fera ressortir des domaines à améliorer et des enseignements à tirer pour chacun d'entre nous.

Mais pour le moment, notre priorité — ma priorité — est d'arrêter ce virus et de sauver des vies.
L'OMS adresse sa reconnaissance aux nations, organisations et personnes qui, nombreuses, lui ont exprimé leur soutien et leur engagement ces derniers jours, notamment par une contribution financière.

Nous saluons cet élan de solidarité, car c'est bien elle qui dicte les règles du jeu pour vaincre la COVID-19.

L'OMS fait son travail.

Chaque jour, chaque minute qui passent, nous continuons d'étudier ce virus, de nombreux pays nous font part de ce qui fonctionne et nous partageons ces informations avec le monde entier.

Plus de 1,5 million de personnes sont inscrites aux formations en ligne de l'OMS sur OpenWHO.org, une plateforme que nous continuons de développer pour en former des millions d'autres et nous permettre de lutter effectivement contre la COVID.

Ainsi, nous avons lancé aujourd'hui une nouvelle formation destinée aux agents de santé sur la façon de mettre et de retirer les équipements de protection individuelle.

Chaque jour, nous rassemblons des milliers de cliniciens, d'épidémiologistes, de formateurs, de chercheurs, de techniciens de laboratoire, de spécialistes de la prévention des infections et d'autres personnes pour leur permettre de mettre en commun leurs connaissances sur la COVID-19.

Nos orientations techniques compilent les données probantes les plus à jour à l'usage des ministres de la santé, des agents de santé et des particuliers.

Hier, j'ai eu l'honneur de m'adresser aux chefs d'État et de gouvernement des 13 pays de l'ASEAN Plus Trois.

Entendre leurs expériences et leur engagement à oeuvrer ensemble à un avenir commun était particulièrement stimulant.

S'appuyant sur leur expérience du SRAS et de la grippe aviaire, ces pays ont mis en place des mesures et des systèmes qui les aident désormais à détecter la COVID-19 et à y riposter.

Nous poursuivons également notre travail avec des partenaires du monde entier pour accélérer la recherche et le développement.

C'est ainsi que plus de 90 pays ont rejoint l'essai Solidarity ou ont exprimé leur souhait de le faire et que plus de 900 patients y participent désormais afin d'évaluer l'innocuité et l'efficacité de quatre médicaments ou associations médicamenteuses.

Trois vaccins en sont d'ores et déjà au stade des essais cliniques et plus de 70 autres sont en développement. Du reste, nous collaborons avec les partenaires pour accélérer le développement, la production et la distribution de vaccins.

Outre l'essai Solidarity, je suis heureux d'annoncer que l'OMS a convoqué des groupes de cliniciens afin d'examiner l'action des corticostéroïdes et d'autres anti-inflammatoires sur l'issue du traitement.
Nous nous intéressons de façon spécifique à l'administration d'oxygène et aux stratégies de ventilation des patients. Toute intervention qui diminue le besoin de ventilation et améliore l'issue pour les patients dans un état critique est importante pour sauver des vies, en particulier là où les moyens sont limités.

La semaine dernière, j'ai annoncé la mise sur pied de l'équipe spéciale des Nations unies pour la chaîne d'approvisionnement, chargée de renforcer la capacité de distribution de matériel médical essentiel.
Hier, le premier vol de solidarité des Nations unies a décollé pour amener des équipements de protection individuelle, des ventilateurs et des fournitures de laboratoire à de nombreux pays d'Afrique.

Ce vol s'inscrit dans le cadre d'un vaste effort visant à expédier des fournitures médicales vitales vers 95 pays du monde entier, en association avec le Programme alimentaire mondiale et d'autres institutions, dont l'UNICEF, le Fonds mondial, Gavi, le département de l'appui opérationnel des Nations unies, UNITAID et d'autres.

Que ce soit par voie terrestre, maritime ou aérienne, le personnel de l'OMS travaille 24 heures sur 24 pour que, partout, les agents de santé et les communautés reçoivent leurs livraisons.

Je voudrais remercier l'Union africaine, les gouvernements des Émirats arabes unis et de l'Éthiopie, la Fondation Jack Ma et l'ensemble de nos partenaires pour la solidarité dont ils font preuve à l'égard des pays africains en cette période critique de notre histoire. Je voudrais également remercier pour leur leadership le président Ramaphosa et le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki.

Jusqu'à présent, 240 000 personnes et organisations ont versé près de 150 millions de dollars US au Fonds de riposte à la COVID-19.

Ce samedi, certains des plus grands noms de la scène musicale participeront au concert One World : Together at Home dont les bénéfices iront au Fonds de riposte.

Cependant, il ne s'agit pas seulement de recueillir des fonds, mais aussi de rassembler le monde, car nous ne formons qu'un seul monde, une seule humanité aux prises avec un ennemi commun. Je remercie Lady Gaga, Global Citizen et toutes les personnes qui collaborent pour que ce concert ait lieu.

Nous continuerons de travailler avec chaque pays et chaque partenaire pour servir les habitants de cette planète en mettant sans cesse la science, la recherche de solutions et la solidarité au coeur de nos efforts.

Depuis le début, l'OMS s'investit corps et âme dans le combat livré contre cette pandémie. Nous continuerons jusqu'au bout. Tel est l'engagement que nous prenons envers le monde entier.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 25 - 18 avril 2020

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