Des sujets de préoccupations
devant le déroulement
de la pandémie de COVID-19
Le discours de la reine
- Eva Dance -
Pour la cinquième fois seulement en 68 ans
en tant que « Reine du Royaume-Uni et de l'Irlande
du Nord » et « Chef d'État de l'ensemble des
nations du Commonwealth britannique »,
Elizabeth II a prononcé, le dimanche 5
avril 2020, un discours spécial « à la nation
et à ses sujets ».
Les médias et les commentateurs l'ont salué en
disant que, même s'il n'a duré que moins de cinq
minutes, son discours « Nous sommes tous
ensemble » était très sincère et émouvant et
leur a fait venir les larmes aux yeux.
Comme ses homologues des gouvernements qui
composent le monde anglo-américain et la
communauté des nations sous leur emprise, elle a
présenté la lutte contre le coronavirus COVID-19
comme une guerre. Dans son cas, elle l'a
habilement fait en évoquant la chanson britannique
de 1939 We Shall Meet Again (Nous
nous retrouverons) chantée par la très populaire
Vera Lynn. Vera Lynn, qui est toujours en vie à
l'âge de 103 ans, était très connue comme « la
chérie des forces armées » et symbolisait l'esprit
de résistance dans la lutte contre le fascisme.
Voici les paroles de la chanson que Vera Lynn a
rendue célèbre :
On se retrouvera
Je ne sais pas où
Je ne sais pas quand
Mais je sais qu'on se retrouvera un jour
ensoleillé
Continue de sourire
Comme tu le fais toujours
Jusqu'à ce que le ciel bleu chasse les nuages
sombres au loin
Alors s'il te plait pourras-tu dire «
Bonjour »
Aux gens que je connais
Dis-leur que je ne serai pas longtemps
Ils seront heureux de savoir
Que lorsque tu m'as vue
Je chantais cette chanson
On se retrouvera
Je ne sais pas où
Je ne sais pas quand
Mais je sais qu'on se retrouvera un jour
ensoleillé
La reine affirme dans son discours : « Nous
réussirons - et ce succès appartiendra à chacun
d'entre nous. Nous devrions nous consoler en
pensant que, même s'il nous reste encore beaucoup
à endurer, des jours meilleurs reviendront. »
Le contexte est celui de la pandémie mondiale et
des circonstances extraordinaires qui l'entourent,
avec des sociétés entières en quarantaine, des
personnes et des nations isolées les unes des
autres, tandis que les travailleurs assurent des
services essentiels au risque de leur vie. À
l'approche de la diffusion de dimanche soir, il
était fait grand cas du discours à venir. Le
correspondant royal de la BBC, Nicholas Witchell,
apparaissait sans cesse dans des mini-annonces
pour révéler ce que Sa Majesté allait dire dans un
discours d'une importance capitale. Des parallèles
ont été établis entre ce discours et la période du
Blitz de Londres en 1940-1941 au début de la
Deuxième Guerre mondiale. La référence à Vera Lynn
résume bien l'état d'esprit de la nation au moment
du Blitz et après pour endurer les épreuves
nécessaires pour vaincre le fascisme, tout en
élevant le moral de tous ceux qui se battent dans
le monde.
Que ce soit par accident ou à dessein, peu
importe, le moment du discours a coïncidé avec
l'annonce que le premier ministre britannique,
Boris Johnson, déjà infecté par le coronavirus,
avait été admis aux soins intensifs dans un
hôpital de Londres. Le discours a donc également
servi à rallier les troupes, pour ainsi dire, au
cas où quelqu'un s'inquiéterait d'une vacance du
pouvoir à la tête de la nation en temps de crise.
Depuis la suspension du parlement et la
déclaration des mesures d'urgence, il est devenu
évident pour tous que toute l'autorité et tout le
pouvoir de décision sont concentrés dans les mains
du premier ministre et du gouvernement. Boris
Johnson a été déclaré positif au coronavirus
le 27 mars, ce qui a plongé le gouvernement
et les chaînes de commandement dans une nouvelle
crise. Les médias, l'opposition politique et les
experts étaient dans tous leurs états. La
perspective que le premier ministre lui-même soit
gravement malade a subitement créé la peur au
sujet de qui gouvernerait à sa place. Cela est
devenu la principale préoccupation des cercles
dirigeants. En plus des spéculations sur quel
ministre avait le droit de le remplacer, d'autres
se sont livrés à des lamentations et ont déclaré
que si seulement la Grande-Bretagne avait une
constitution écrite, tout serait clair, ou que la
suspension du parlement était une bonne chose,
mais que les représentants élus devaient quand
même avoir leur mot à dire.
L'intervention de la reine pour apaiser la nation
est en fait une mesure plutôt désespérée pour
donner l'impression que le gouvernement a le
consentement du peuple pour réaliser l'ordre du
jour qu'il juge approprié pendant cette pandémie.
On nous dit que c'est la manière de faire
britannique. Il faut faire comme pendant la
Deuxième Guerre mondiale et c'est tout.
Faites-nous confiance.
Ce n'est pas pour rien qu'aux États-Unis et au
Canada, la lutte actuelle contre le coronavirus
est également présentée comme une guerre dans
laquelle, cette fois, nous sommes tous du même
côté. L'administrateur fédéral des services de
santé publique des États-Unis a déclaré qu'il
s'agissait d'un moment comme « notre Pearl Harbor,
notre 11 septembre ». Le premier ministre
canadien, Justin Trudeau, n'a cessé d'utiliser
cette métaphore de guerre pour faire passer le
message : « C'est en travaillant ensemble
qu'on va s'en sortir », « Nous nous occupons
les uns des autres, c'est la manière canadienne de
faire. »
Tout cela soulève une question très
pertinente : qui est le « Nous » que la
reine représente et auquel d'autres se
réfèrent ? Les peuples d'Angleterre,
d'Écosse, du Pays de Galles et du nord de
l'Irlande ? Certainement pas, et encore moins
les peuples des « nations du Commonwealth »
dont elle s'est déclarée le chef après son
couronnement il y a plus de soixante ans.
Dès la première phrase de son discours, c'est
comme si cette pandémie créait une anomalie dans
la voie par ailleurs solide et constante suivie
par le gouvernement de Sa Majesté. On nous a dit
que c'est une période « de plus en plus difficile,
une période de bouleversement dans la vie de notre
pays » qui a causé « du chagrin à
certains » et entraîné « des difficultés
financières pour beaucoup ». Mais nous
vaincrons.
Ce message sous-entend : « Nous sommes tous
ensemble », la conception d'une nation unique où
tous se rassemblent et mettent de côté leurs
aspirations et leurs besoins individuels pour que
le travail soit fait et vaincre l'ennemi. Dans ce
cas, bien que la reine n'y fasse pas directement
allusion, il s'agit de la pandémie de coronavirus.
En effet, elle déclare à un moment donné : «
Ensemble, nous nous attaquons à cette maladie, et
je tiens à vous assurer que si nous restons unis
et résolus, nous la vaincrons. »
Tout cela pour dire que les difficultés
auxquelles les gens font face ne sont pas le fait
des gouvernements successifs qui ont payé
grassement les riches à même le trésor public
alors que le peuple est obligé de se débrouiller
seul. Dans le monde des riches, il est attendu des
travailleurs essentiels qu'ils se mettent en
danger pour le bien commun. Nous pleurerons leur
disparition et continuerons... C'est notre devoir.
Ce que les gens voient est autre chose.
Contrairement à l'esprit du blitz, lorsque les
conditions et l'autorité à l'époque de la guerre
antifasciste dans les années 1940 étaient en
harmonie, aujourd'hui les conditions et l'autorité
se heurtent. Nous ne sommes pas tous ensemble
parce que les autorités en place ont imposé à la
société pendant trente ans un programme antisocial
brutal qui a pratiquement détruit le système de
santé publique, l'éducation, les transports
publics et l'objectif de la société fondé sur la
devise « Un pour tous et tous pour un ». La
devise des classes dominantes est aujourd'hui «
Tous pour un ». C'est tout. Que chacun se
débrouille seul et pourvu que nous nous
enrichissions, au diable les conséquences.
À cet égard, l'essence du discours de la reine
est un appel aux travailleurs et aux habitants des
« îles britanniques » et du «
Commonwealth » à confier leur sort à ceux qui
ont détruit le système de santé national, enrichi
les riches et appauvri les pauvres. Il y a un
message subliminal qui dit que si quelqu'un tombe
malade, c'est sa faute parce qu'il n'a pas
respecté correctement la distanciation sociale ou
pour toute autre raison. Le manque de soins pour
le personnel soignant, les travailleurs
essentiels, les personnes âgées et les autres
personnes n'est pas mentionné. Au contraire, une
fausse impression est donnée que le gouvernement
s'occupe de tout le monde.
Nous avons un contexte où les gens sont
nécessairement isolés physiquement les uns des
autres, mais il n'y a aucun mécanisme en place
pour trouver des solutions collectives aux
problèmes à un moment où le gouvernement ne
s'occupe que de lui-même.
Les conditions engendrées par la pandémie de
coronavirus montrent clairement que les gens n'ont
pas le droit de participer aux décisions qui
touchent leur vie. Il est très important que dans
cette situation, les syndicats et les travailleurs
prennent position et exigent le type d'équipement
de protection et les conditions de travail dont
ils ont besoin pour prendre soin des gens, tout en
jouant un rôle important pour juguler ce virus.
Il y a beaucoup de diversions qui associent les
pouvoirs de police d'urgence que Boris Johnson a
concentrés dans ses mains et la signification de
la fermeture du parlement. Le parlement serait le
seul mécanisme dont dispose le peuple pour
exprimer sa volonté par l'intermédiaire de ses
représentants. Mais une fois de plus, la reine
intervient pour rallier les troupes pour qu'elles
montent en première ligne et acceptent que
beaucoup ne reviendront jamais, mais elles peuvent
au moins s'accrocher à l'espoir qu'elles vont s'en
sortir et, en attendant, leur contribution à ceux
qui leur sont chers est de faire leur devoir et
d'espérer que tout ira pour le mieux.
Certains diront que la sincérité de la reine
serait un peu plus crédible si elle ouvrait ses
châteaux pour loger les pauvres et les sans-abri
et ses entrepôts, cuisines et domaines pour
nourrir les travailleurs pauvres que le système à
la tête duquel elle se trouve a produits et
abandonnés. Mais cela aussi nous détourne du fait
pertinent que la pandémie ne constitue pas
seulement un danger physique pour tous les membres
de la société sans exception, mais aussi une
métaphore de la paralysie du pouvoir et de la
prise de décision qui a englouti toute la société
en Grande-Bretagne, et de nombreuses sociétés à
travers le monde. De tous les points de vue, nous
sommes dans une impasse, dont la sortie nécessite
la reconnaissance du fait que la situation exige
que le peuple s'investisse du pouvoir parce que
les dirigeants sont inaptes à gouverner.
Être entre les mains de personnes comme Boris
Johnson, qu'il soit malade ou en parfaite santé,
est un désastre pour les peuples d'Angleterre,
d'Écosse, du Pays de Galles et du nord de
l'Irlande. Les intérêts de la classe dominante que
lui et les gouvernements successifs avant lui
représentent, quelle que soit leur allégeance
politique, ont fait des ravages au cours des
trente dernières années, détruit le système de
santé, obligé tout le monde à se débrouiller seul,
augmenté le nombre de pauvres et l'ampleur de leur
pauvreté, tout en rejetant la responsabilité de
tous les problèmes sur le peuple, et cela inclut
cette pandémie de coronavirus.
Et le fait est que la reine a présidé à tout cela
pour cacher au peuple où réside le pouvoir
décisionnel. Elle est la remplaçante de la
personne fictive de l'État qui représente le
pouvoir des grands et des puissants contre le
pouvoir de la prétendue « populace ». Le «
Nous » royal n'est pas vous et moi, ce n'est
pas le peuple, ses prétendus sujets, ceux qui sont
gouvernés.
En parlant en notre propre nom, nous pouvons
découvrir qui nous sommes, ce dont nous avons
besoin et comment nous pensons pouvoir l'obtenir.
La seule voie vers l'avant est celle qui tient
compte de l'ensemble des relations humaines et de
ce qu'elles révèlent, qui est que le peuple ne
peut pas se permettre de confier son destin à une
classe dominante qui ne sert que ses intérêts.
Publié dans Workers' Weekly, journal
du Parti communiste révolutionnaire de
Grande-Bretagne (marxiste-léniniste), 11
avril 2020. Traduit de l'anglais par LML.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 25 - 18 avril 2020
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