Des arrangements dépassés et inacceptables sont à l'origine de la situation tragique des aînés dans les résidences du Québec
- Pierre Soublière -
Le nombre d'infections et de décès de la
COVID-19 tels qu'annoncés au Québec est
ahurissant. Bien que le groupe de personnes
ayant 60 ans et plus
représente 29 % des personnes infectées,
il compte néanmoins pour 99 % de tous
les décès au Québec. On apprend que la moitié de
ces décès ont été dans des CHSLD, mais on peut
soupçonner que ce nombre est plus élevé. Lors de
l'une de leurs conférences de presse quotidiennes,
le premier ministre Legault et le directeur de la
Santé publique, Horacio Arruda, sur la question du
taux élevé de mortalités dans ces établissements
au cours des derniers jours — 75,
dont 33 ont eu lieu au CHSLD de Dorval — ont
dit que « le nombre de décès est important, mais
on s'y attendait. C'est en ligne avec les
prévisions qui ont été déposées ». Ils ont
dit que le taux de mortalité était élevé pour les
aînés dans d'autres endroits tels que l'Ontario et
New York et partout où il y a une « concentration
élevée de personnes âgées » et qu'une bonne
part des « problèmes » était due à
l'absentéisme du personnel, sans expliquer
pourquoi il en était ainsi.
Plusieurs facteurs ne sont pas mentionnés dans
cette évaluation de la situation : les
conditions de travail du personnel de ces
résidences qui se sont aggravées avec la pandémie,
la situation précaire des résidents de ces
établissements qui a été exacerbée par la
pandémie, la situation précaire des aînés en
général et plus spécifiquement le problème de
pouvoir obtenir une place dans une résidence où
ils peuvent vivre dans la dignité et être bien
soignés.
Les établissements de soins de longue durée au
Québec :
une vue d'ensemble
La Fédération de l'âge
d'or du Québec (FADOQ) est une fédération
québécoise d'aînées ayant 350 000
membres dont l'objectif est de conserver et
améliorer leur qualité de vie, promouvoir la
défense de leurs droits et valoriser leur
contribution à la société. Dans l'Outaouais,
lorsque la directive pour les aînés a été donnée
de rester à la maison, la FADOQ a téléphoné à
chaque membre pour prendre de ses nouvelles. Dans
un rapport de cette organisation publié
en 2015-2016, portant le titre « État des
lieux pour résidences pour aînés au Québec »,
la FADOQ fait valoir que tous les établissements
offrant des services aux aînés sont caractérisés «
par une présence prépondérante d'acteurs privés à
tous les niveaux de la prise en charge de la perte
d'autonomie » et que le secteur public ne
représente plus que 17 %
des 155 742 unités d'hébergement pour
aînés. Voici d'autres observations soulevées dans
le rapport :
- Il existe 1917 installations pour aînés au
Québec (selon les informations données lors de la
conférence de presse du 14 avril du premier
ministre et du directeur de la Santé publique, il
y en a maintenant 2600).
- Les résidences à but lucratif dominent en
nombre de résidences pour personnes âgées et en
nombre d'unités : 88 % des
Résidences privées pour aînés (RPA)
et 91 % des unités.
- Il y a une baisse de l'offre de logements
abordables en RPA : les organismes à but non
lucratif, habitations à loyer modique,
coopératives et communautés religieuses offrent
moins de 9 % des unités en RPA.
- Pour une partie importante des aînés, les frais
en résidence représentent la majeure partie de
leurs revenus. Une femme seule en résidence avec
un revenu de 18 000 $ alloue
88 % de son budget à son logement et à ses
services.
- Les coûts de l'hébergement et des services pour
les aînés en RPA croissent d'année en année tandis
que l'offre abordable, elle, diminue.
- La vaste majorité des aînés au Québec
continuent de vivre dans leur maison aussi
longtemps qu'ils le peuvent.
Tel que soulevé dans le récent article du LML
sur la crise dans les soins de santé pour
aînés en Colombie-Britannique, « Un milliard de
raisons de s'en faire », dans un rapport du
Bureau pour la protection des aînés, il est
confirmé, sur la base d'analyses des revenus et
des dépenses dans ces résidences, qu'« une grande
part du financement public accordé aux
établissements privés à but lucratif pour répondre
spécifiquement aux besoins en soins se retrouve
plutôt dans les coffres des propriétaires en tant
que profit. » Compte tenu du nombre élevé de
propriétaires privés de résidences pour aînés au
Québec, un bon point de départ serait sans doute
d'examiner cette situation de près.
Les conditions des travailleurs et des aînés
exacerbées par la crise
Ces dernières années, il y a eu de nombreuses
tragédies au Québec dans les résidences pour
aînés. En 2014, un incendie a ravagé une
résidence à L'Isle-Verte où 32 aînés ont
perdu la vie. Dans plusieurs résidences il y a eu
des mortalités qui ont été jugées «
évitables », et de nombreux rapports de
coroners ont souligné le problème du manque de
personnel et ont aussi recommandé des critères
plus rigoureux lorsque le gouvernement octroie des
permis à ces résidences.
Avec la pandémie, les
conditions de travail des travailleurs de la santé
se sont rapidement détériorées. En date de la
semaine dernière, des centaines de travailleurs de
la santé au Québec ont été infectés par le
coronavirus. Une infirmière travaillant au CHSLD
de Ste-Dorothée, à Laval, où 13 personnes ont
perdu la vie et 115 ont été infectées,
explique comment elle a dû par moments s'occuper
de 45 patients dont 20 souffraient de la
COVID-19. D'autres employés ont dû travailler même
s'ils avaient des symptômes de grippe. Les
travailleurs demandant des masques N95 se sont
fait dire qu'il n'y avait pas de ces masques dans
des CHSLD et que s'ils en voulaient, ils n'avaient
qu'à s'en acheter. D'autres ont fait valoir leur
droit de refuser de travailler dans des conditions
non sécuritaires, mais on leur a dit qu'ils
feraient l'objet de mesures disciplinaires. Aussi,
les établissements de soins de longue durée sont
aux prises avec de plus en plus de cas de COVID-19
sans l'équipement ni la protection qu'on
trouverait dans un hôpital.
Il y a quelque chose de profondément troublant
dans les tentatives du gouvernement de vouloir
sauver la face plutôt que de regarder la réalité
en face ou, tout au moins, reconnaître les
problèmes soulevés et les solutions mises de
l'avant par les travailleurs de première ligne et
leurs organisations qui cherchent à se protéger
eux-mêmes et à protéger la population dans la
lutte contre la pandémie.
Cette crise met en lumière à quel point cette
façon démodée d'envisager les problèmes n'est plus
acceptable.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 25 - 18 avril 2020
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