Décès de personnes âgées pendant
la pandémie
Le besoin d'investir le peuple du pouvoir de décider en matière de santé et de gouvernance
- Peggy Askin -
Une des caractéristiques de la lutte pour
contenir la pandémie de COVID-19 est à quel point
les travailleurs doivent jouer un rôle de premier
plan pour apporter des solutions aux graves
problèmes auxquels la société est confrontée.
Le 13 avril, l'administratrice en chef de la
santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, a
signalé que près de la moitié des 760 décès
liés au coronavirus au Canada ont eu lieu dans des
foyers de soins de longue durée. Elle a dit qu'il
faut s'attendre à ce que le nombre de décès dans
les centres de soins de longue durée continue
d'augmenter même si le taux de croissance de la
pandémie ralentit. Pendant ce temps, les résidents
des foyers pour personnes âgées sont abandonnés à
leur sort et les familles sont laissées dans
l'ignorance. Les premières éclosions ont eu lieu
en Colombie-Britannique, mais elles se sont vite
propagées à travers le Canada et le Québec. Les
travailleurs de la santé dans les résidences pour
personnes âgées sont infectés dans une mesure
disproportionnée, avec plus de 600 cas ne
serait-ce qu'en Ontario.
Les travailleurs de
la santé et le personnel des résidences pour
personnes âgées, publiques et privées, se battent
depuis des années pour renouveler le système de
soins aux aînés, y compris par l'apport d'un
personnel adéquat, la fin des soins à but lucratif
et des salaires et conditions de travail
correspondant au travail qu'ils font. Ceux qui ont
travaillé si dur pour essayer de rapiécer et
maintenir en place un système brisé sont
maintenant sous pression pour faire de même dans
les conditions de la pandémie, avec des résultats
désastreux.
Cette crise a maintenant révélé les crimes commis
par les gouvernements à tous les niveaux avec leur
prétention que les coupures dans les programmes
sociaux et la privatisation sont bonnes pour
l'économie. Une enquête de CBC News a révélé que
seules neuf résidences de soins de longue durée en
Ontario ont été sujettes à une inspection de la
qualité des services aux résidents en 2019.
Le gouvernement ontarien dit avoir
effectué 2 800 inspections en 2019,
mais que la plupart étaient liées à des plaintes
ou à des incidents critiques, rapporte CBC News.
Ces inspections de la qualité des services sont
censées être plus proactives et plus complètes,
effectuées une fois par année sans être annoncées,
que les inspections réactives survenant à la suite
de plaintes ou d'incidents.
Le gouvernement de l'Ontario affirme sur son site
Web que chaque résidence de soins fait l'objet
d'une inspection annuelle qui comprend des
entrevues avec les résidents, les familles et le
personnel « ainsi que des observations directes
sur la dispensation des soins ». Ce n'est
tout simplement pas vrai.
Et c'est
précisément le problème partout au Canada :
les paroles et les actes ne font jamais un. Sur
papier, tout est conforme aux lois et règlements,
mais en pratique c'est autre chose. Et c'est là
que les gouvernements montrent qu'ils sont inaptes
à gouverner. Ils s'assurent que personne n'est
tenu de rendre des comptes et surtout pas
eux-mêmes. Pourtant, ce sont eux qui ont créé les
conditions à l'origine de tous ces problèmes, car
avec leur offensive antisociale, ils servent des
intérêts privés étroits. C'est vraiment criminel
et c'est pourquoi aucun gouvernement, à quelque
niveau que ce soit, ne parle de tenir un
gouvernement responsable des décès et des
souffrances dont nous sommes témoins aujourd'hui.
Loin de là, on prétend que tout est fait pour
régler rapidement le problème, même s'il faut
envoyer les Rangers et l'armée faire le travail.
Les médias abondent d'articles sur les conditions
effroyables et inhumaines dans les résidences pour
personnes âgées et combien la pandémie « jette une
lumière » sur cette réalité. Tout cela
s'inscrit dans une campagne de désinformation pour
détourner l'attention du fait que, face au nombre
croissant de décès chez les personnes âgées en
résidence, les solutions proposées par les
travailleurs de la santé sont néanmoins balayées
du revers de la main.
Le problème n'est pas que ces gouvernements
n'étaient pas au fait de la situation ou qu'ils
ont fermé les yeux, mais que le peuple n'a pas le
pouvoir de les tenir responsables. Ils ont créé
cette situation et prétendent maintenant que des
injections d'argent ou le déploiement de l'armée
vont régler le problème. Quoi de plus simple que
de remplir les résidences pour personnes âgées,
privées ou publiques, d'un personnel suffisant,
infirmières et soignants avec tout ce dont ils ont
besoin, y compris des équipements de protection et
des logements alternatifs pendant la
pandémie ? Si l'objectif était de veiller au
bien-être des résidents, ces derniers se verraient
tout de suite garantir une alimentation saine et
des soins appropriés ainsi que le soutien médical
et émotionnel dont ils ont besoin. Les expressions
d'indignation et les lamentations sur les
conditions pour ensuite dire que maintenant tout
sera réglé, dans l'espoir que cette réalité
finisse par disparaître et que l'envoi de l'armée
va régler le problème, sont maintenant devenues le
problème.
Le problème est le fait des gouvernements, parce
qu'ils servent des intérêts privés étroits. C'est
pourquoi ils n'écoutent pas les travailleurs et
refusent de répondre aux besoins qu'ils signalent.
Les tentatives de détourner l'attention de ce qui
doit être fait ne passent pas non plus. Les
gouvernements ont, année après année, revendiqué
l'autorité d'affamer le système de santé au nom de
la prospérité, alors qu'en fait ils retirent de
plus en plus d'argent des programmes sociaux pour
privatiser la santé et les soins aux personnes
âgées et s'assurer que les intérêts privés étroits
obtiennent l'argent qu'ils réclament des fonds
publics. Ils permettent la privatisation des soins
aux personnes âgées en sachant très bien quel
traitement leur est réservé. Ce n'est pas un
problème nouveau, il est tout simplement accentué
par la COVID-19.
Les gouvernements utilisent leurs positions de
pouvoir et de privilège et le système mafieux de
partis cartellisés pour s'assurer que personne ne
soit tenu responsable. Voilà le fond du
problème : sans que les
travailleurs deviennent eux-mêmes des
politiciens ouvriers et rédigent des lois qui
les favorisent, cette destruction continuera.
On rapporte
que la belle-mère du premier ministre de
l'Ontario, Doug Ford, est résidente du West Park
Long-Term Care Centre à Toronto, propriété du
monopole Extendicare, où cinq résidents sont
décédés de la COVID-19 alors que dix autres
résidents et 14 membres du personnel sont
infectés. Une résidente a raconté aux médias
qu'elle a dû crier à l'aide pendant une heure et
demie pendant la nuit, mais personne n'est venu.
Elle dit que la nuit une infirmière doit s'occuper
à elle seule d'apporter leurs médicaments
à 120 résidents sur deux étages. Le jour, un
préposé aux services de soutien s'occupe
de 20 résidents et une infirmière s'occupe
de 40 résidents. C'est le tiers du personnel
habituel et même le niveau habituel est amplement
insuffisant.
Le gouvernement dit qu'il a fait « absolument
tout ce que nous pouvons », notamment en
étendant enfin les critères de dépistage aux
patients en soins de longue durée et aux
travailleurs de première ligne. Ford a déclaré en
conférence de presse : « Nous pourrions
regarder en arrière et signaler chaque petit
détail. Je suis sûr qu'à bien des endroits
certains pourraient dire 'nous aurions donc
dû' faire ceci ou cela. »
C'est d'une insouciance criminelle que de parler
de cette façon moqueuse d'une responsabilité aussi
importante.
Les travailleurs de la santé ont toujours été la
première ligne de défense pour la santé et la
sécurité des personnes âgées dans les
établissements de soins continus. Ce sont eux qui
ont dû faire avec les résultats de décennies de
coupures, de fermetures et de privatisations et
qui ont dû suppléer au facteur
antihumain/anti-conscience des gouvernements à
tous les niveaux. Partout au pays, ils ont
protesté et réclamé des conditions de travail
convenables, leurs conditions de travail étant les
conditions de vie des aînés. Ils ont développé des
tactiques pour s'assurer de bloquer ces pratiques
dangereuses. Mais sans le pouvoir de décision, et
c'est en quoi consiste le pouvoir politique, tout
progrès est bloqué et toutes les réalisations sont
supprimées par les gouvernements qui utilisent
tous les moyens nécessaires.
À la résidence privée Herron à Dorval, en
banlieue de Montréal, 31 résidents sont
décédés depuis le 13 mars. Cette situation ne
fait pas exception. Le Bureau du coroner du
Québec, la police de Montréal et le ministère de
la Santé du Québec ont lancé des enquêtes après
que des infirmières envoyées à la résidence par le
Centre intégré universitaire de santé et de
services sociaux (CIUSSS) le 29 mars ont été
confrontées à des conditions horribles : des
résidents déshydratés et mal nourris, un résident
décédé, des résidents qui avaient été laissés avec
des culottes d'incontinence souillées pendant de
longues périodes, voire des jours, et des sacs
d'urine laissés sur le plancher.
Ni le propriétaire ni le gouvernement n'assume la
responsabilité de cette négligence indicible. Le
premier ministre du Québec, François Legault,
blâme le propriétaire privé, parce qu'il y a eu
négligence grave, tandis que le propriétaire blâme
l'autorité locale, parce que la direction a
demandé à plusieurs reprises des équipements de
protection et des suppléants pour le personnel mis
en quarantaine après la confirmation du premier
cas. Il affirme que tous les décès sauf un sont
survenus depuis que le CIUSSS a pris le contrôle
de l'établissement le 29 mars.
Si aucun gouvernement au Canada ne veut ou ne
peut demander des comptes aux responsables, alors
le système est brisé. Tout indique que ce système
et cette bureaucratie permettent ces pratiques
sans reddition de comptes et qu'à ce titre ils
doivent faire place au nouveau.
Les gouvernements
seront condamnés pour avoir causé des morts et des
souffrances dans les établissements pour personnes
âgées. Pourquoi les infirmières et les autres
intervenants devraient-ils être obligés d'insister
sur l'obtention d'équipement de protection
individuelle (ÉPI) conformément aux normes
établies à la suite de la pandémie du SRAS ?
Les demi-mesures ne suffisent pas. Pourquoi les
ÉPI n'ont-ils pas été stockés après la pandémie du
SRAS ? Pourquoi les hôpitaux manquent-ils de
personnel et pourquoi permet-on la privatisation
des services de nettoyage, de blanchisserie et de
restauration quand la surexploitation des
travailleurs contractuels signifie qu'ils sont
sous-payés et non équipés pour faire le travail
comme les conditions l'exigent et que le taux de
roulement du personnel est très élevé ? Les
maladies infectieuses continuent de se propager !
Les plans et mesures d'urgence qui sotn adoptés
sont toujours de simples mesures palliatives. Où
est la décision de faire des services de santé un
droit, de sorte que chaque établissement dispose
des installations nécessaires et de travailleurs
payés suffisamment pour répondre à leurs besoins,
suivant un standard canadien de niveau de
vie ? De sorte que chaque personne
nécessitant ces services ait ce qu'il faut ?
Les travailleurs de la santé ont montré le rôle
qu'ils jouent et sont capables de jouer en tant
qu'organisateurs, dirigeants et décideurs pour ce
qui est des conditions nécessaires pour eux-mêmes
et pour les personnes dont ils ont soin. Ils
savent ce qui est nécessaire. Ils savent quels
ratios personnel/patient sont nécessaires pour
fournir à temps des soins humains de la plus haute
qualité. Ils savent que les congés de maladie, les
salaires et les avantages sociaux payés doivent
être proportionnels au travail qu'ils font et que
ces services requièrent des emplois à temps plein
dans chaque institution. Des conseils de
résidence, où les résidents, les familles et les
travailleurs peuvent se réunir pour établir les
conditions modernes et humaines requises dans les
centres pour personnes âgées, sont également
nécessaires pour affranchir les familles.
Il est nécessaire de développer davantage le rôle
de premier plan des travailleurs dans les
conditions de la pandémie pour le bien-être des
travailleurs et celui des personnes dont ils ont
soin, ainsi que pour le bien-être de la société
elle-même. La pandémie a montré que, pour que cela
se réalise, les travailleurs doivent devenir des
politiciens ouvriers de plein droit avec comme
plateforme le programme d'arrêter de payer les
riches, augmenter les investissements dans les
programmes sociaux et investir le peuple des
moyens de prendre les décisions importantes dans
tous les domaines de la vie.
Ces changements sont nécessaires maintenant et
ils doivent être revendiqués en tant que droit -
le droit d'être.
Les problèmes actuels ne sont pas causés par la
pandémie. La pandémie fait tout simplement
ressortir la réalité des conditions atroces qui
existent quand le pouvoir décisionnel est entre
les mains du facteur inhumain/anticonscience de
ceux qui se placent au service d'intérêts privés.
Ces mesures sont nécessaires parce que le statu
quo n'est pas dans l'intérêt du corps politique.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 25 - 18 avril 2020
Lien de l'article:
Décès de personnes âgées pendant
la pandémie: Le besoin d'investir le peuple du pouvoir de décider en matière de santé et de gouvernance - Peggy Askin
Site Web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
|