Réponse de la communauté au décret de l'état d'urgence en Nouvelle-Écosse
Joignant notre voix à celle d'organisations
telles l'Association des libertés civiles de la
Colombie-Britannique (ALCCB, dont la déclaration
du 17 mars est basée sur ce qui suit), nous
exprimons nos graves préoccupations au sujet du
bien-être de nos êtres chers et de nos communautés
et de la déclaration du gouvernement de la
Nouvelle-Écosse d'un état d'urgence (en vertu de
l'article 12(1) de la Loi sur la gestion des
urgences) relativement à la COVID-19. En
tant que groupe de membres de la communauté de la
Nouvelle-Écosse, nous tenons à nous faire entendre
et à ce que nos points de vue soient incorporés
dans le plan de notre gouvernement pour
l'éradication de cette grave menace pour la santé.
Comme l'ALCCB, nous appuyons sans réserve la
nécessité d'intervention « par tous les niveaux de
gouvernements priorisant la santé publique, y
compris des mesures qui consolident notre
infrastructure publique pour le bien de tous et
pour la protection des plus vulnérables face à
cette pandémie : les aînés, les travailleurs
à statut précaire, les communautés autochtones,
les sans-abri ». Cependant, l'histoire nous
rappelle encore et encore que les gouvernements se
servent de tels moments de crise sociale pour
élargir leurs pouvoirs et violer les principes
constitutionnels vitaux - y compris ceux qui sont
enchâssés dans la Charte canadienne des droits
et libertés - au nom de la « sécurité
publique ». Lorsque l'urgence déclarée prend
fin, les pouvoirs élargis restent souvent en
place, et ce, de façon permanente. Compte tenu de
ce qui précède, nous appelons les gouvernements
municipaux et de la Nouvelle-Écosse, la police
locale et la GRC, le ministère de la Justice de la
Nouvelle-Écosse et le Conseil des commissionnaires
de police de Halifax d'exercer leurs pouvoirs (et
de rigoureusement surveiller l'exercice de ces
pouvoirs) dans cette situation d'état d'urgence
d'une manière qui soit respectueuse des droits et
libertés civiques de chaque personne et communauté
de la Nouvelle-Écosse. Nous sommes surtout
soucieux que ne se répètent, dans les pratiques
actuelles, des scénarios bien connus du passé
d'espionnage étatique, d'interventions policières
et de poursuites qui ciblent de façon
disproportionnée les Noirs, les Autochtones et les
autres personnes racisées, celles vivant dans la
pauvreté, les itinérants, les personnes ayant des
problèmes de santé mentale, et d'autres groupes
vulnérables.
Comme l'ALCCB, nous
pensons à la longue histoire bien documentée
d'abus de pouvoir en vertu de la Loi des
mesures de guerre du fédéral (le
prédécesseur de la Loi d'urgence fédérale
qu'on se prépare à déclarer à Ottawa) qui a été
invoquée pendant la Première et la Deuxième Guerre
mondiale et qui a servi à arrêter et incarcérer
des Canadiens qualifiés d'« ennemis
étrangers » et à saisir leur propriété, avec
de graves conséquences pour les Canadiens
d'origine japonaise. Cet abus de pouvoir a aussi
été exercé pendant la crise d'octobre en 1970
alors qu'il y a eu des milliers de fouilles et des
centaines de personnes détenues dont la vaste
majorité n'ont jamais été formellement accusées.
Nous rappelons aux autorités de la Nouvelle-Écosse
que les mesures d'« urgence » sont «
assujetties à la Charte canadienne des droits
et libertés ». Nous voulons aussi
souligner le rapport de Michael MacDonald et
Jennifer Taylor Opinion légale indépendante
sur les contrôles policiers
(octobre 2019) qui souligne l'illégalité de
telles mesures, ainsi que l'abondante
documentation sur les répercussions
disproportionnées des interventions policières sur
les personnes et communautés noires de notre
province. La récente expérience des familles
afro-néoécossaises Rao et Dixon au lendemain de
cet avis juridique, la condamnation formelle des
comportements racistes de la police et
l'interdiction des contrôles et fouilles
individuels n'ont pas réussi à raviver la
confiance de nos communautés qui jugent toujours
que le problème des interventions policières
racistes n'a pas vraiment été réglé. Ces récents
exemples sont des rappels opportuns des
transgressions volontaires du pouvoir d'État à la
veille d'un nouvel état d'urgence dans la province
relativement à la COVID-19.
Compte tenu de comment le racisme
institutionnalisé et d'autres inégalités
socio-économiques influencent les interventions
policières et juridiques et engendrent des
inégalités d'accès aux ressources et à l'espace
publics et privés, nous nous demandons qui sera la
cible des interventions policières et juridiques
pour contrôler les mesures de non-rassemblement et
de distanciation prosociale du présent état
d'urgence. Comment les préoccupations face aux
problèmes de santé qui prennent une ampleur
disproportionnée et des allures spécifiques parmi
les Noirs, les Autochtones et les autres groupes
et communautés vulnérables sont-elles envisagées
dans cette situation de crise de santé publique et
d'état d'urgence ?
Nous appelons les communautés et toutes les
instances officielles de la Nouvelle-Écosse à voir
cette crise comme une occasion de développer et de
mettre en pratique des mesures de santé et de
sécurité publiques qui sont inclusives et
équitables, reflétant ce que l'ALCCB appelle avec
justesse « une infrastructure publique qui
bénéficie à tous » ainsi qu'un mécanisme de
reddition de comptes réciproque entre nous, et
entre nous et les autorités publiques,
conformément à la responsabilité que nous avons
envers notre bien-être collectif. Voici des
exemples de pratiques de santé et de sécurité
inclusives et équitables :
- La traduction immédiate des mesures d'urgence
et autres reliées à la COVID-19 en micmac et dans
les langues des communautés de réfugiés et
d'immigrants de la Nouvelle-Écosse pour veiller à
ce que l'information essentielle soit répartie
également.
- La transparence sur les peines pour tout refus
d'honorer les contraventions ainsi que des mesures
pour veiller à ce que les gens appauvris ne soient
pas criminalisés ou que l'argent qu'ils ont mis de
côté pour leurs besoins quotidiens ou pour leurs
besoins de santé ne soit saisi. Nous rejetons
définitivement les contraventions pour les gens
vivant dans la pauvreté et considérons qu'il
s'agit d'une peine disproportionnée.
- Que soient mises en place des mesures de
surveillance et de reddition de comptes pour la
police : nous exigeons qu'un mécanisme de
plaintes soit mis sur pied pour permettre au
public de rapporter des cas d'abus spécifiques à
la mise en oeuvre actuelle de la Loi sur la
gestion des urgences et la Loi sur la
protection de la santé, 2004.
- Des règles claires concernant l'accès de la
police aux propriétés. La police doit adopter une
approche de réduction des méfaits pour faire en
sorte que les personnes vulnérables puissent
lancer un appel à l'aide si nécessaire, en
particulier dans ces communautés qui sont déjà
aliénées de la police.
- La transparence immédiate est nécessaire de la
part des autorités pour assurer que les exercices
d'autorité pendant l'urgence ne soient pas un
prétexte pour faire des contrôles policiers. Nous
exigeons que les membres de la communauté puissent
refuser de divulguer de l'information personnelle,
afin de ne pas raviver la pratique raciste des
contrôles policiers.
- Des communications publiques claires sur
exactement comment les autorités provinciales et
municipales comptent traiter de la santé des
communautés vulnérables (noires, autochtones et
autres personnes racisées, les personnes vivant
dans la pauvreté, les sans-abri et les personnes
vivant dans des logements insalubres, les
personnes atteintes d'une maladie mentale, les
personnes handicapées) dans le contexte de la
pandémie de la COVID-19.
- Des mesures claires pour veiller à la santé
des personnes confinées dans les institutions «
correctionnelles » et « judiciaires »
pour adultes et jeunes adultes, un financement à
long terme pour appuyer les besoins en logement et
en santé des personnes qui sortent de prison. Les
membres de la communauté sont préoccupés pour
toute personne confinée dans des institutions et
rappellent, par exemple, la surreprésentation
d'adultes noirs et autochtones, en particulier des
jeunes adultes, en détention provinciale. Nous
soulignons aussi que la vaste majorité des
personnes en détention sont en détention
provisoire en attente d'un procès, et n'ont donc
jamais été accusées d'aucun crime.
Signé
Les membres engagés de la communauté de la
Nouvelle-Écosse oeuvrant pour une santé et une
sécurité inclusives face à la COVID-19, y
compris :
Le Département de la Justice sociale et des
Études communautaires, université Saint Mary's
(Benita Bunjun, Val Marie Johnson, El Jones,
Darryl Leroux, Rachel Zellars)
Le Dr OmiSoore Dryden, de la chaire James R.
Johnston d'études sur les Noirs du Canada,
Faculté de médecine, université de Dalhousie
Le Congrès mondial Afrikan-chapitre de la
Nouvelle-Écosse
Lynn Jones, activiste
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 17 - 28 mars 2020
Lien de l'article:
Réponse de la communauté au décret de l'état D'urgence en Nouvelle-Écosse
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