Des mesures d'urgence sont nécessaires pour gérer la crise des soins aux aînés en Colombie-Britannique


Assemblée sur la crise dans les centres pour personnes âgées à Comox Valley le 24 février 2020

Les mesures antisociales néolibérales prises par les gouvernements successifs au cours des dernières décennies ont engendré une crise dans les soins aux aînés dans plusieurs régions du pays. Ensemble, la prolifération de résidences privées, dont plusieurs ont remplacé les centres d'hébergement de longue durée publics et l'actuelle pandémie de la COVID-19 ont créé une tempête parfaite qui se déchaîne présentement avec fureur.

Dans un rapport publié le 4 février par le Bureau pour la protection des aînés intitulé « Un milliard de raisons pour s'en faire », il est confirmé, sur la base d'analyses des revenus et des dépenses dans ces résidences, qu'une grande part du financement public accordé aux établissements privés à but lucratif pour répondre spécifiquement aux besoins en soins se retrouve plutôt dans les coffres des propriétaires en tant que profit. Ce profit provient de l'insuffisance des soins prodigués aux aînés, mais aussi de la surcharge de travail et des bas salaires imposés aux travailleurs. Le financement par la province constitue 1,3 milliard de dollars des 1,4 milliard en revenus générés annuellement par les résidences contractuelles. Le reste du financement vient de l'argent des aînés qu'on soigne. Ceux-ci versent 80 % de leur revenu après impôt - jusqu'à 3 278,80 dollars par mois - sans oublier les levées de fonds pour les cliniques externes, comme les programmes de jour pour adultes, des bains dans la communauté, etc. Les auteurs du rapport ont analysé les résidences gérées par le privé, celles qui sont gérés par des compagnies à but non lucratif et celles dont la gestion est privée à but lucratif, mais n'ont pas analysé les résidences gérées par la province par le biais des autorités régionales de la santé.

Une des observations du rapport est que le « secteur à but non lucratif consacre 59 % de ses revenus aux soins directs relativement à 49 % dans le secteur à but lucratif », et que « le secteur à but lucratif ne s'acquitte pas de ses obligations de fournir 207 000 heures en termes de soins financés prodigués et que le secteur à but non lucratif a prodigué 80 000 heures de plus en soins directs au-delà du financement alloué » et que « le secteur à but lucratif dépense en moyenne 17 % de moins par heure de travail, et les salaires du personnel d'aide aux soins dans le secteur à but lucratif peuvent être jusqu'à 28 % inférieurs aux normes de l'industrie ».

Manifestation pour les services aux aînés à Sechelt en 2016

Au cours des dernières décennies du XXe siècle, dans un effort concerté, les syndicats du secteur de la santé ont réussi à obtenir que tous les travailleurs en soins de santé aient les mêmes salaires et conditions de travail peu importe qu'ils travaillent dans des hôpitaux ou dans des résidences pour aînés, privés ou publics. Jusqu'en 2002, la vaste majorité des travailleurs dans les hôpitaux et dans presque toutes les résidences pour aînés, qu'elles aient été détenues et gérées par la province, le secteur à but non lucratif y compris les églises et les entreprises communautaires, et, à un moindre degré, les résidences privées à but lucratif, recevaient les mêmes salaires et avantages sociaux et étaient protégés par une seule convention collective. Les mesures législatives adoptées en 2002 qui autorisent la sous-traitance aux entrepreneurs privés des services de santé dans les hôpitaux et les résidences d'aînés ont ouvert le secteur de santé aux sociétés multinationales telles que Compass, Aramark, Sodexho et Acciona qui sont maintenant les principaux fournisseurs de services alimentaires et d'entretien ménager dans la plupart des hôpitaux. D'autres mesures législatives ont permis aux entreprises privées d'obtenir des contrats pour les centres de soins aux aînés, et la plupart d'entre elles font elles-mêmes de la sous-traitance auprès d'autres compagnies. Les profits viennent directement des fonds publics gouvernementaux, de la suppression des salaires et des services insuffisants offerts aux aînés.

Dans un grand nombre de communautés en Colombie-Britannique, de graves problèmes de manque de personnel et d'une baisse de la qualité des soins, de l'entretien et des repas affligent les résidences appartenant à ces compagnies. Le plus important de ces gestionnaires est Retirement Concepts, une compagnie appartenant à une firme d'investissement multinationale basée en Chine. L'achat des résidences a été approuvé par le gouvernement fédéral en 2017 et les anciens propriétaires gèrent et exploitent ces résidences par le biais de West Coast Senior Housing Management. Depuis septembre 2019, quatre de ces résidences se sont vu imposer une mise en tutelle administrative par les autorités de la santé : trois par Island Health, à Comox Valley, à Nanaimo et à Victoria, et une par Interior Health, à Summerland.

Les familles des personnes confiées à ces résidences se sont exprimées dans toutes les communautés de la province, informant les autorités de la santé publique et le ministère de la Santé de la gravité des problèmes y compris le manque de soins en raison d'un manque de personnel, des locaux qui sont mal nettoyés, la nourriture inadéquate et le manque d'activités récréatives et de stimulation. Par exemple, ce n'est qu'après plusieurs mois de plaintes des familles et d'enquêtes des autorités que le directeur de la santé publique local a ordonné à Island Health de placer la résidence Comox Valley Seniors Village sous tutelle administrative. Les directeurs de la santé publique de Nanaimo et de Victoria ont éventuellement émis de telles ordonnances pour les résidences de Seniors Village à Nanaimo et Selkirk Seniors Village à Victoria qui, à leur tour, ont aussi été mises en tutelle. Le 24 février, on a annoncé qu'un quatrième établissement géré par Retirement Concepts, Summerland Seniors Village, avait été mis en tutelle par les Autorités de la santé publique de l'Intérieur.

Sur une base quotidienne, plusieurs de résidences privées à but lucratif fonctionnent sans le personnel nécessaire pour livrer le niveau de soins requis en vertu de leurs contrats avec la province, ce qui a été confirmé dans le rapport du Bureau pour la protection des aînés. De leur côté les gestionnaires à but lucratif, par le biais de leur organisation, l'Association des prestataires de soins de la Colombie-Britannique, prétendent que le problème vient plutôt des difficultés d'embauche de personnel et d'un manque de financement du gouvernement provincial.

La pandémie de la COVID-19 a transformé une situation inacceptable en une véritable crise. Dès que la pandémie s'est déclarée, il aurait fallu prendre des mesures immédiates pour augmenter le personnel afin d'assurer une hygiène élevée et intervenir auprès des aînés, qui n'ont d'autre choix que de rester dans leur chambre et éviter les espaces collectifs comme les salles à manger et les salles de repos, les programmes d'exercice et de sorties. Mais c'est tout le contraire qui s'est produit : le nombre de travailleurs a baissé plutôt que d'augmenter. Certains travailleurs qui sont occasionnels ont décidé de refuser des quarts de travail. Les employeurs exigent aussi que les travailleurs ne travaillent que dans une seule résidence et plusieurs employés, devant le choix de travailler à des salaires et des conditions inférieurs dans les résidences privés ou à des salaires selon des normes de l'industrie dans des résidences gérées par l'Autorité de la santé publique, choisissent ces dernières. Au moment où les besoins des aînés augmentent en raison des mesures requises pour aplanir la courbe de l'épidémie et traiter ceux qui tombent malades, le nombre de travailleurs est en baisse.

La situation prend une tournure tragique, comme en témoigne l'éclosion de la COVID-19 au Centre de soins Lynn Valley à Vancouver Nord, un établissement privé où, en raison de la sous-traitance, trois employeurs différents s'y sont succédés comme gestionnaires. Plusieurs résidents y ont perdu la vie, d'autres aînés ainsi que des membres du personnel ont été infectés, et des membres de la famille affirment que le grave manque de personnel engendre des conditions de vie intenables pour les aînés et un risque accru pour les résidents, le personnel et les membres de la famille.

Il est temps que le gouvernement provincial écoute ce que leur disent les communautés et les familles — que c'est de sa responsabilité de veiller à ce que les aînés en résidence reçoivent les soins nécessaires et qu'ils soient traités avec dignité. Aussi faut-il que les travailleurs qui donnent les soins aient des salaires conformes aux normes de l'industrie, qu'ils soient en nombre suffisant et qu'ils aient la formation et l'équipement nécessaires. En aucun temps est-il acceptable que la province octroie des fonds tout en refusant d'assumer ses responsabilités face aux agissements des entrepreneurs. La pandémie de la COVID-19 et ses répercussions sur les aînés mettent en lumière l'urgence de cette situation. Le gouvernement provincial doit se servir de sa prérogative pour imposer une mise sous tutelle à toutes les résidences qui ne respectent pas les normes de soins, ce qui permettrait que les employés de l'Autorité de la santé publique, les travailleurs d'autres secteurs et de nouveaux employés y soient redéployés selon les besoins.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 16 - 21 mars 2020

Lien de l'article:
Des mesures d'urgence sont nécessaires pour gérer la crise des soins aux aînés en Colombie-Britannique - Barbara Biley


    

Site Web:  www.pccml.ca   Courriel:  redaction@cpcml.ca