Trente ans après le jugement Delgamuukw

Dans un article paru dans le Globe and Mail du 9 janvier, l'honorable Stephen O'Neill, avocat associé chez Nahwegahbow Corbiere Genoodmagejig Barristers and Solicitors, ancien juge à la Cour supérieure de justice de l'Ontario de 1999 à 2015, aborde la lutte pour la justice pour les peuples autochtones du Canada et l'obligation du gouvernement d'agir avec honneur et de reconnaître les droits autochtones. L'article s'intitule : « Pour les Wet'suwet'en et les Gitxsan, la justice a été refusée. Quoi de neuf ? »

Pour illustrer son propos, il cite Beverley McLachlin, alors juge en chef de la Cour suprême du Canada, dans la décision de 2004 dans Nation haïda c. Colombie-Britannique (ministre des Forêts) : « En bref, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l'arrivée des Européens ; ils n'ont jamais été conquis. De nombreuses bandes ont concilié leurs revendications avec la souveraineté de la Couronne en négociant des traités. D'autres, notamment en Colombie-Britannique, ne l'ont pas encore fait. Les droits potentiels visés par ces revendications sont protégés par l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L'honneur de la Couronne commande que ces droits soient déterminés, reconnus et respectés. Pour ce faire, la Couronne doit agir honorablement et négocier. Au cours des négociations, l'honneur de la Couronne peut obliger celle-ci à consulter les autochtones et, s'il y a lieu, à trouver des accommodements à leurs intérêts. »

O'Neill aborde ensuite la situation actuelle et la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique d'accorder l'injonction à la Coastal GasLink :

« Cette injonction représente un coup dur pour ceux qui ont mis tant d'efforts à s'opposer au projet dans la région, car cette ordonnance pourrait potentiellement criminaliser les protecteurs des terres qui, avec le soutien de la nation wet'suwet'en, travaillent depuis des années à faire respecter le droit coutumier wet'suwet'en. Pendant environ un an, des membres de la nation wet'suwet'en ont bloqué un tronçon éloigné et un pont de la route de service des travaux forestiers en établissant des points de contrôle sur leur territoire traditionnel à environ 300 kilomètres à l'ouest de Prince George. Cette dernière injonction restreindrait et empêcherait certains défendeurs nommés de la nation wet'suwet'en de continuer à le faire, et élargirait la portée de l'ordonnance pour inclure l'intégralité de cette route de service.

« Mais la décision cache un paragraphe d'une importance capitale pour la juge qui fait référence à un jugement essentiel à la compréhension du conflit actuel : celui rendu dans l'affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique. 'Les revendications du titre ancestral des Wet'suwet'en restent non satisfaites ; elles n'ont été résolues ni par la voie de litige, ni par celle de la négociation, malgré les demandes pressantes de la Cour suprême du Canada dans le jugement Delgamuukw [de 1997]. Il ressort de leurs affidavits et de leurs observations que les défendeurs sont conscients que leurs revendications de titre sont restées insatisfaites.'

« Ce qui nous amène à un précédent chapitre décevant des relations entre la Couronne et les autochtones au Canada qui rend ce dernier encore plus tragique. Peu de temps après leur libération, des membres de la même nation wet'suwet'en, en collaboration avec les Gitxsan, ont déposé une plainte en appel de la décision de première instance de Delgamuukw de 1990, qui a été entendue par la même Cour suprême de la Colombie-Britannique. La cause Delgamuukw visait à obtenir des déclarations de propriété et de compétence (par la suite remplacées par des titres autochtones) sur 58 000 kilomètres carrés de terre en Colombie-Britannique. Dans le cas de la nation wet'suwet'en, le territoire traditionnel non cédé (yin'tah) couvre 22 000 kilomètres carrés.

« Après 318 jours de présentation des preuves et 56 jours de plaidoiries, le juge de première instance a finalement statué contre les plaignants. Mais trois ans plus tard, cinq juges de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ont rejeté à l'unanimité cette décision, ordonnant le renvoi de l'affaire en jugement pour déterminer la nature et la portée des droits ancestraux des Wet'suwet'en et des Gitxsan. Et en appel devant la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal du pays a ordonné un nouveau procès en 1997 en raison du traitement réservé par le juge de première instance aux différents types de plaidoiries orales présentées au procès, qui étaient très favorables et importantes pour la position juridique des Wet'suwet'en et des Gitxsan, mais qui ont été rejetées. Antonio Lamer, le juge en chef de la Cour suprême à l'époque, a déclaré que si une évaluation adéquate avait été faite de la preuve orale historique et qu'on lui avait accordé le poids juridique qu'elle mérite, les conclusions du juge de première instance auraient pu être fort différentes.

« En ordonnant un nouveau procès, cependant, le juge en chef de l'époque a écrit ces mots, qui sont souvent répétés dans les cercles juridiques : 'En ordonnant la tenue d'un nouveau procès, je n'encourage pas nécessairement les parties à introduire une instance et à régler leur différend devant les tribunaux. Comme il a été dit dans Sparrow, à la p. 1105, le par. 35(1) 'procure [...] un fondement constitutionnel solide à partir duquel des négociations ultérieures peuvent être entreprises'. [...] En outre, la Couronne a l'obligation morale, sinon légale, d'entamer et de mener ces négociations de bonne foi.'

« Ce qui nous amène maintenant à ce moment de l'histoire. Trente-six ans après que les Wet'suwet'en et les Gitxsan sont entrés pour la première fois dans le système de justice canadien de bonne foi, honorant les procédures du tribunal dans la poursuite des affirmations et déclarations relatives à la propriété, la compétence, les droits et le titre concernant les terres identifiées de la Colombie-Britannique, il n'y a toujours pas de jugement final dans l'affaire Delgamuukw. Aucun règlement n'a été conclu et les questions juridiques en cause ne sont toujours pas résolues. Et l'injonction, alimentée en partie par cette décennie de limbes juridiques, montre à quel point toutes les tentatives réelles de négociations de bonne foi dans tout ce qui pourrait même ressembler à une réconciliation entre les peuples wet'suwet'en et gitxsan et la Couronne ont été infructueuses.

« C'est un tort qui est totalement inadmissible. C'est un tort qui équivaut à une profonde injustice. C'est une nouvelle preuve de la maxime que la justice différée est une justice refusée.

« Faut-il s'étonner alors que, acculés au mur, des gens qui ont des liens spirituels et culturels profonds avec leurs terres et leurs eaux traditionnelles aient affirmé la loi et l'autorité coutumières des Wet'suwet'en par un blocus et d'autres moyens ?

« Du point de vue des défendeurs nommés, ils affirmaient légalement les lois et l'autorité traditionnelles des Wet'suwet'en sur le territoire non cédé des Wet'suwet'en. De plus, du point de vue juridique autochtone, et découlant des structures de gouvernance traditionnelles des Wet'suwet'en, la Coastal GasLink devait obtenir le consentement et l'autorisation de la nation pour pénétrer sur les terres non cédées et y entreprendre des travaux. Ce consentement n'avait pas été donné par le biais des structures de gouvernance traditionnelles.

« Or, du point de vue de la juge saisie de l'injonction, les lois coutumières des Wet'suwet'en ne pouvaient pas être reconnues. 'Il n'y a eu aucun processus par lequel les lois coutumières des Wet'suwet'en ont été reconnues de cette manière. Les revendications du titre aborigène des Wet'suwet'en doivent encore être résolues par voie de négociation ou de litige. Bien que les lois coutumières des Wet'suwet'en existent clairement sur une base indépendante, elles ne sont pas reconnues comme faisant partie intégrante du droit canadien.'

« Refuser au droit autochtone toute signification effective comme loi et criminaliser potentiellement les actions prises en vertu du droit et de l'autorité coutumiers des Wet'suwet'en ne mènera pas à la réconciliation. En effet, c'est l'antithèse de la réconciliation, quelle que soit l'interprétation que l'on donne à ce mot en droit ou en pratique.

« Dans la décision d'accorder l'injonction on lit également : 'Les défendeurs posent des questions constitutionnelles importantes et demandent à cette cour de trancher ces questions dans le contexte de la demande d'injonction avec peu ou pas de matrice factuelle. Ce n'est pas le lieu de cette analyse et ce sont des questions qui doivent être tranchées dans un procès.' C'est ainsi que la question de leurs droits et de leur titre rebondit d'un tribunal à l'autre depuis des décennies. Si la question n'est pas tranchée maintenant, quand le sera-t-elle ?

« Ce qui n'est pas dit dans la décision est que la preuve du titre aborigène, de l'utilisation, de la possession et de l'occupation des terres visées dans l'affaire Delgamuukw est solide, convaincante et sans doute même très convaincante, lorsqu'elle est évaluée selon les principes juridiques appropriés et qu'on accorde le poids mérité à la preuve orale historique du procès initial.

« Lorsqu'elle est examinée sous un angle plus large, et qu'il est entendu que la justice a été excessivement retardée en ce qui concerne l'affaire Delgamuukw, la condamnation et la désapprobation de la décision du tribunal d'injonction ne devraient pas reposer uniquement sur les épaules des personnes liées aux Wet'suwet'en et de ceux qui les soutiennent. Il est beaucoup plus important qu'elles soient le fait de tous les membres du public canadien qui, à un moment ou à un autre entre 1984 et 2019, ont détenu des positions de pouvoir et d'autorité à l'intérieur et à l'extérieur du système de justice canadien. Ils auraient pu affirmer et reconnaître les droits et titres ancestraux. Ils auraient pu garantir que les cas de revendications territoriales tels que le jugement Delgamuukw (il y a de nombreux autres cas en suspens au Canada) soient jugés, ou résolus et réglés, dans un délai raisonnable.

« Justice différée, et donc justice refusée. C'est la vraie histoire derrière l'injonction qui fait des remontrances aux personnes qu'on accuse d'obstruer, d'entraver et de bloquer l'accès aux terres territoriales non cédées des Wet'suwet'en - des personnes qui sont membres de la nation wet'suwet'en dont les lois non éteintes ont été constatées par la juge d'instruction comme manifestement indépendantes. »

(Traduction de l'anglais : LML)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 2 - 25 janvier 2020

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Trente ans après le jugement Delgamuukw


    

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