Les Wet'suwet'en continuent de dire Non! au pipeline de Coastal GasLink sur leur territoire
- Philip Fernandez et Barbara
Biley -
Depuis le début de l'année, les Wet'suwet'en ont
intensifié leurs efforts pour défendre leurs
territoires traditionnels face aux provocations
accrues des tribunaux coloniaux et du gouvernement
de la Colombie-Britannique. Les chefs héréditaires
des cinq clans qui constituent le peuple
Wet'suwet'en ont émis et mis à exécution un ordre
d'expulsion contre Coastal GasLink (CGL) de leur
territoire. CGL a reçu l'approbation du
gouvernement pour construire un gazoduc
de 670 kilomètres à partir de l'ouest de
Dawson Creek, en Colombie-Britannique, vers une
installation d'exportation de gaz naturel liquéfié
près de Kitimat, en violation du droit souverain
des Wet'suwet'en de refuser une telle activité sur
leurs terres non cédées. Le 4 janvier, le
dernier entrepreneur de CGL a été escorté à
l'extérieur de leur territoire par les
Wet'suwet'en.
Ces actions ont été prises en rejet d'une
décision du 31 décembre 2019 rendue par
la juge de la Cour suprême de la
Colombie-Britannique, Marguerite Church, qui
accorde à CGL une injonction interlocutoire contre
les Wet'suwet'en qui bloquent l'entrée de CGL à
leur territoire.[1]
Cette injonction prolonge une injonction
provisoire en vigueur depuis 2019 pour la
durée du projet de construction et comprend une
ordonnance accordant à la GRC le pouvoir de la
faire respecter.
Dans un communiqué de presse publié au moment de
l'expulsion, les chefs héréditaires Wet'suwet'en
déclarent que « Les tribunaux canadiens ont
reconnu dans Delgamuukw-Gisdaywa c. La Reine que
le peuple Wet'suwet'en, représenté par nos chefs
héréditaires, n'a jamais cédé ni remis le titre de
propriété sur les 22 000 kilomètres
carrés du territoire des Wet'suwet'en. L'octroi de
l'injonction interlocutoire par la Cour suprême de
la Colombie-Britannique nous a prouvé que les
tribunaux canadiens ignoreront leurs propres
décisions et nieront notre compétence lorsque cela
leur convient, et ne protégeront pas nos
territoires ou nos droits en tant que peuples
autochtones. »[2]
À la suite de l'avis d'expulsion contre CGL, les
chefs héréditaires ont expliqué : « Coastal
Gaslink a violé la loi d'entrée non autorisée des
Wet'suwet'en et a rasé notre territoire avec des
bulldozers, détruit nos sites archéologiques et
occupé nos terres avec des campements industriels.
Des firmes privées de sécurité et la GRC ont
continuellement entravé les droits protégés par la
Constitution des Wet'suwet'en qui nous permettent
d'accéder à nos terres pour la chasse, le piégeage
et les cérémonies. »
Les chefs ont
dénoncé l'hypocrisie du gouvernement de la
Colombie-Britannique pour avoir adopté la
Déclaration des Nations unies sur les droits des
peuples autochtones (DNUDPA), alors que les
Wet'suwet'en se voient activement refuser la
protection de la DNUDPA sur leurs propres terres.
« Lorsque nous avons appliqué nos propres lois et
exigé que l'industrie recherche un consentement
libre, préalable et éclairé pour le développement
de nos terres », ont-ils déclaré, « nous
avons été confrontés à une manifestation brutale
de violence policière militariste et à une
occupation policière continue de nos
territoires. » Cela faisait référence à
l'opération paramilitaire de la GRC du 7
janvier 2019 qui a brutalement attaqué le
poste de contrôle de Gidimt'en au camp
d'Unist'ot'en, menant à l'arrestation de 14
défenseurs de la terre, pour faire respecter
l'injonction provisoire.
Les chefs héréditaires ont également noté :
« Nous avons appris, grâce au reportage paru dans
le Guardian, que la GRC est prête à tuer
des personnes non armées de Wet'suwet'en si nous
continuons de faire respecter nos lois. »
On lit aussi dans la déclaration : « Anuc
'nu'at'en (la loi des Wet'suwet'en) n'est pas
une 'croyance' ou un 'point de vue'.
C'est une façon de gérer de manière durable nos
territoires et nos relations les uns avec les
autres et avec le monde qui nous entoure, et cela
a fonctionné pendant des millénaires afin de
conserver intacts nos territoires. Notre loi est
au coeur de notre identité. La criminalisation
continue de nos lois par les tribunaux canadiens
et la police embauchée par l'industrie est une
tentative de génocide, une tentative d'éteindre
l'identité même des Wet'suwet'en. »
Un an après l'assaut de la GRC contre les
défenseurs de la terre Wet'suwet'en sur leur
territoire traditionnel du nord de la
Colombie-Britannique, les institutions de
l'injustice coloniale continuent de refuser de
respecter les droits et les titres ancestraux des
Wet'suwet'en. Tant les gouvernements fédéral que
provincial, en dépit des phrases ronflantes sur la
réconciliation et les relations de nation à
nation, insistent sur le fait qu'il s'agit d'une
question de « loi et d'ordre ». Le premier
ministre néodémocrate de la Colombie-Britannique,
John Horgan, a refusé de manière arrogante de
rencontrer les dirigeants héréditaires lors d'un
récent voyage dans le nord de la
Colombie-Britannique et a répété qu'« il y a des
accords du district de la Paix jusqu'à Kitimat
avec les communautés autochtones qui veulent voir
l'activité économique et la prospérité devenir une
réalité [...] Tous les permis sont en place pour
que ce projet se poursuive. Ce projet va de
l'avant et l'état de droit doit prévaloir en
Colombie-Britannique ». Les accords auxquels
le premier ministre a fait référence avec les
communautés autochtones sont des accords conclus
avec des conseils de bande élus sur le tracé du
pipeline qui ont été établis en vertu de la Loi
sur les Indiens raciste et coloniale
précisément pour accomplir l'assimilation et la
dépossession des peuples originels.
Le premier ministre
Horgan prétend que l'affrontement actuel, la
barrière érigée par la GRC et la menace d'une
escalade de la violence et du recours à la force
concernent « l'état de droit ». En fait, il
s'agit de la négation par la force de la
souveraineté des Wet'suwet'en et de la loi des
Wet'suwet'en, et de l'imposition du diktat de CGL
de construire son pipeline et poursuivre un
mégaprojet de gaz naturel liquéfié de 40
milliards de dollars.
Les Wet'suwet'en ont rejeté la criminalisation de
leurs droits héréditaires et de leur souveraineté.
Ils affirment leur droit souverain de dire
non ! à l'entrée sur leur territoire sans
leur consentement. Non ! au diktat des
monopoles comme CGL. Non ! à l'usage
illégitime de la force et de la violence par la
police, les tribunaux et d'autres institutions de
l'État canadien raciste et colonial. Leur position
est que les négociations pour résoudre le conflit
doivent avoir lieu entre les chefs héréditaires et
les gouvernements de la Colombie-Britannique et du
Canada, et non avec la GRC ou CGL.
Au cours de l'année écoulée, le niveau d'appui,
de compréhension et de reconnaissance publics de
l'importance de cette opposition des nations
autochtones et d'autres aux anciens arrangements
coloniaux, n'a cessé de grandir. Les yeux des
Canadiens et du monde entier sont tournés
vers la situation qui se développe. En
décembre 2019, le Comité des Nations unies
pour l'élimination de la discrimination raciale,
réuni à Genève à sa 100e session, a rendu une
décision qui lance l'appel à « l'État partie
prenante » à suspendre la construction du
pipeline Trans Mountain, du barrage du site C, et
« d'arrêter immédiatement la construction et de
suspendre tous les permis et approbations pour la
construction du gazoduc Coastal GasLink sur les
terres et territoires traditionnels et non cédés
du peuple Wet'suwet'en, jusqu'à ce qu'il accorde
son consentement libre, préalable et éclairé, dans
le cadre de la mise en oeuvre pleine et adéquate
de l'obligation de consulter ». La décision
demande en particulier que la GRC se retire des
territoires traditionnels. Dans sa décision, le
Comité des Nations unies a conclu que l'État avait
refusé « de considérer le consentement libre,
préalable et éclairé comme une exigence pour toute
mesure, telle que des projets de développement à
grande échelle, qui pourrait causer un préjudice
irréparable aux droits, cultures, terres,
territoires et modes de vie des peuples
autochtones ».
Les Wet'suwet'en
ont continué de mener leur combat devant le peuple
canadien qui a répondu par milliers en appui à la
position de principe des chefs héréditaires et des
maisons des clans pour faire respecter leurs lois
et droits ancestraux. Plus récemment, des actions
ont été organisées partout au Canada et au Québec
au cours de la semaine du 7 au 12
janvier sous la bannière « Tous les yeux tournés
vers les Wet'suwet'en » pour s'assurer que
les gens s'expriment en leur propre nom et que
l'État colonial n'ait pas les mains libres pour
criminaliser et attaquer les Wet'suwet'en pour
leurs justes positions.
La situation met en évidence les lignes de
bataille qui sont tracées partout au Canada entre,
d'une part, les gouvernements des oligarques
financiers qui ont usurpé le pouvoir politique et,
d'autre part, les peuples autochtones, la classe
ouvrière, les femmes, les jeunes et tous les
collectifs qui luttent pour leurs droits.
Le Canada doit respecter les droits ancestraux,
constitutionnels et issus de traités des peuples
autochtones afin de contribuer à la véritable
réconciliation et de réparer les siècles de torts
que l'État colonial raciste a commis contre les
peuples autochtones du Canada.
Non à la criminalisation
de la défense des Wet'suwet'en de leurs droits
ancestraux !
Mettons fin à l'injustice coloniale !
Notes
1. Une injonction
interlocutoire est un ordre d'un tribunal visant à
obliger une personne à faire ou ne pas faire
quelque chose en l'attente du jugement final.
2. Ce sont les chefs
héréditaires Wet'suwet'en et Gitksan qui ont lancé
ce qu'on a appellé le cas Delgamuukw, une
décision historique de la Cour suprême du Canada
sur la poursuite par les chefs héréditaires d'un
règlement juridique et politique de leurs griefs
et la reconnaissance de leurs droits.
En 1977, la réclamation des chefs
Wet'suwet'en et Gitksan sur leurs territoires
traditionnels a été acceptée par le ministre
fédéral des Affaires autochtones et du Nord comme
bas de négociation d'une « réclamation
globale » en vertu du processus fédéral des
traités. Le gouvernement provincial a refusé de
participer aux négociations et, après cinq années
sans progrès, les chefs ont porté leur dossier
pour la reconnaissance de ce qui leur était refusé
depuis 1860 devant les tribunaux. La
prétention que certains des chefs héréditaires
agissent « en dehors de tout contrôle » et que
leur cause est étroite et sans perspective est
tout à fait honteuse.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 2 - 25 janvier 2020
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Biley
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