À l'orée des bois - une anthologie de l'histoire du peuple de Kanehsatà:ke
La réalité sur les origines de Kanehsatà:ke et le mythe de 1721

Ci-dessous un extrait (pages 20 à 23) du livre intitulé « À l'orée des bois - une anthologie de l'histoire du peuple de Kanehsatà:ke » par Brenda Gabriel et Arlette Kawanatatie Van den Hende, publié en 2010 par le Centre culturel et de langue Tsi Ronterihwanónhnha ne Kanien'kéha, à l'occasion du 20e anniversaire de ce qui est communément appelé la « crise d'Oka ».

La réalité sur les origines de Kanehsatà:ke et le mythe de 1721

Selon le dictionnaire, un mythe est un point de vue qui repose davantage sur ce qui nous convient que sur un fait. Même si un mythe renferme un peu de vérité, il n'est souvent constitué que de demi-vérités. Il donne vie à des émotions profondes communément ressenties qui découlent de connaissances communément acceptées. Par exemple, quand Christophe Colomb traversa l'Atlantique en 1492, il était généralement accepté que la terre était plate et la plupart des gens croyaient que son bateau tomberait au bout de la terre. Cette croyance reposait sur une connaissance obtenue par l'interprétation d'information incomplète ou insuffisante. Les mythes ont un pouvoir : ils revêtent une vie bien à eux et, avec le temps, ils font partie de l'idéologie d'une société. L'histoire et la manière dont les gens la perçoivent donnent naissance à des mythes. Le peuple de Kanehsatà:ke voit l'histoire d'une manière, et la société eurocanadienne, qui la voit autrement, a pu la façonner à sa guise. Ainsi, l'histoire de Kanehsatà:ke, comme le public la connaît - selon laquelle la communauté prit naissance lorsque le séminaire de Saint-Sulpice établit une mission en 1721 -, reflète les émotions généralement ressenties et les connaissances communément acceptées par les Eurocanadiens. Les connaissances et la tradition orale du peuple de Kanehsatà:ke sont complètement absentes de cette histoire. N'étant constituées que de demi-vérités, elle n'est donc pas beaucoup plus qu'un mythe.

En 1721, alors que les vents glaciaux de février balayaient la terre que les Européens appelaient la Nouvelle-France, l'histoire, devenue un mythe, raconte qu'un groupe d'Onkwehón:we accompagné d'un prêtre du séminaire de Saint-Sulpice quitta la mission des Sulpiciens, située à Sault-au-Récollet sur la rive nord de l'île de Montréal, et se dirigea vers l'Ouest en passant par les eaux gelées de la rivière des Prairies. Ils marchaient en raquettes ou se déplaçaient en traîneaux. Puis, à l'endroit où la rivière des Prairies joint le fleuve Saint-Laurent et la rivière des Outaouais, les voyageurs montèrent vers le nord et entrèrent dans le lac des Deux-Montagnes. Lentement, ils traversèrent le lac et atteignirent finalement leur destination, la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes sur la rive nord-ouest. Dans ce lieu inhabité et désert, le prêtre et le groupe d'Onkwehón:we entreprirent une nouvelle vie ensemble. C'est là que le séminaire de Saint-Sulpice établit une mission indienne, c'est là que les Indiens s'installèrent, et c'est là que vivent, jusqu'à ce jour, leurs descendants.

Ce récit poignant et romantique sur la fondation de Kanehsatà:ke vient d'un mythe encore plus grand et plus puissant : celui de l'héroïsme européen. Ce deuxième mythe évoque des images d'une époque héroïque au cours de laquelle les Français arrivèrent sur une terre rude et sauvage pour offrir les grandes traditions religieuses de l'Europe au peuple « sauvage » du Nouveau-Monde. Les Jésuites arrivèrent les premiers, suivis par les Sulpiciens, puis par d'autres ordres religieux français. Des nouvelles occasionnelles de l'Ancien Monde soutenaient ces hommes et ces femmes dans leur travail. En même temps, leurs écrits et leurs visites en France servaient à nourrir la croyance européenne selon laquelle le monde entier progressait lorsqu'ils apportaient leur civilisation avancée aux autres.

Alors quelle est la nature du mythe de 1721 ? Quelle image évoque-t-il ? À maintes reprises, il a été raconté par des historiens et par beaucoup d'autres qui, pour différentes raisons, se sont intéressés à la communauté. En fait, cette version des origines de Kanehsatà:ke a été si souvent répétée qu'elle est devenue une croyance populaire dans la plupart des milieux. L'histoire qui tire son origine du séminaire de Saint-Sulpice, à qui le roi de France avait accordé le territoire de Kanehsatà:ke, est maintenant acceptée comme le seul rapport authentique des débuts de la communauté. Ce récit est si puissant et frappant qu'il a atteint des proportions mythiques et qu'il a enseveli toute autre preuve de l'histoire de Kanehsatà:ke avant l'arrivée des Sulpiciens.

Depuis 1721, cette version des origines de la communauté a été utilisée de bien des manières pour convaincre les puissantes forces de la loi et le gouvernement que les Kanehsata'kehró:non n'ont aucun droit légitime au territoire. En même temps, elle a servi à plusieurs occasions à renforcer la revendication du séminaire de Saint-Sulpice au territoire et, finalement, à se transformer en loi[1].

Le manque de curiosité des historiens et des gouvernements pour examiner, révéler, puis rechercher plus de renseignements sur l'histoire primitive de Kanehsatà:ke est étonnant en soi, et cette lacune fait en sorte que la perspective du séminaire domine presque entièrement la littérature actuelle[2]. Sa version de l'histoire contient la croyance étendue du « Terra Nullius, écrit Richardson, en une terre inhabitée. C'est un concept juridique que les Européens utilisèrent à leur arrivée en Amérique du Nord. Ils voulaient justifier leur revendication de posséder tout leur territoire, prétendant que personne d'autre ne l'avait habité[3]. »

Il ne fait aucun doute que vers 1721, un groupe d'Onkwehón:we accompagné d'un prêtre du séminaire de Saint-Sulpice s'établit à Kanehsatà:ke. Et il ne fait aucun doute que les Sulpiciens fondèrent une mission et que les descendants de ce groupe d'Onkwehón:wen vivent maintenant à Kanehsatà:ke[4]. Ces faits sont bien documentés, mais au-delà de ce simple récit, il existe une grande richesse d'histoires orales, d'autres preuves documentées et quelques découvertes archéologiques qui, tout au moins, montrent que le territoire était habité longtemps avant l'arrivée du séminaire. Même un examen superficiel des divers registres de la colonie prouve l'existence d'un village avant l'arrivée des Sulpiciens. Il est donc clair qu'il faut accorder plus de poids aux renseignements fournis par d'autres sources que celles du séminaire de Saint-Sulpice. Ce n'est qu'en explorant diverses preuves et différents points de vue qu'une nouvelle lumière peut être jetée sur le passé.

Notes

1. Cette vision de l'histoire a été utilisée aussi récemment qu'en 1990, durant la soi-disant crise des Mohawks, quand le ministre des Affaires indiennes a publié un communiqué de presse sur la « question d'Oka ». Il y explique le rejet du gouvernement du Canada de la revendication territoriale des Kanehsata'kehró:non de 1975 selon les conditions de 1721. An overview of the Oka Issue, Affaires indiennes et du nord Canada, juillet 1990. Comprehensive Land Claims of the Kanesatake Indians, Affaires indiennes et du nord du Canada, juillet 1990. Une revendication territoriale détaillée faite en 1975par le peuple de Kanehsatà:ke selon les conditions de 1721 (avec Kahnawà:ke et Akwesasne) a été rejetée puisque les « Mohawks présents dans la région ne s'y trouvaient pas avant l'arrivée des Européens, mais qu »'ils sont venus s'établir à Oka seulement après que la Mission fusse établie en 1721 », et que « les Mohawks ne pouvaient pas réclamer un titre de propriété puisqu'ils n'ont pas gardé possession de la terre depuis des temps immémoriaux. La terre a été alternativement et concurrentiellement occupée par le Népissingues, les Algonquins et les Iroquois. »

2. Voir par exemple, Travels in North America, Peter Kalm, 1749, Travels in the Americas, History of the Catholic Mission Among the Indian Tribes of the United States, 1529-1854, John Gilmory Shea, 1899 ; Les premières réserves indiennes au Canada, Revue d'histoire de l'Amérique française, vol 4, numéro 2, septembre 1950 et W.N. Fenton et Elisabeth Tooker, dans Northeast, p. 472. Certains historiens ont suggéré une présence des Cinq Nations dans la région. Par exemple, dans son ouvrage de plusieurs volumes sur la France et l'Angleterre en Amérique du Nord, 1893. Francis Parkman discute assez longuement de la présence de l'« ennemi iroquois » aux alentours du cours inférieur de la rivière des Outaouais en 1660. Dans Le dictionnaire historique et géographique des paroisses, missions et municipalités de la province du Québec, de Hormisdas Magnan, 1925, l'auteur remarque qu'« avant 1700, la paroisse [de l'Assomption] était composée de sauvages iroquois et algonquins. » Dans sa thèse, La politique missionnaire des Sulpiciens aux XVIe et XVIIe siècles, 1668-1735, Louise Tremblay fait mention d'une présence Mohawk au Lac des Deux-Montagnes avant l'arrivée des Sulpiciens. Selon Mme Tremblay, les Mohawks se sont installés au lac des Deux-Montagnes après le déclin des Cinq Nations. De plus, l'histoire orale de Kanehsatà:ke est remplie de preuves d'un village de Kanien'kehà:ka connu sous le nom de Kanehsatà:ke avant 1721, situé au lac des Deux-Montagnes.

3. People of Terra Nulius: Betrayal and Rebirth in Aboriginal Canada, Boyce Richardson, Dougla & McIntyre, Vancouver, Toronto, 1993, p. vii.

4. Oka, les Vicissitudes d'une mission sauvage, revue trimestrielle canadienne, XVI, juin 1930, p. 121-149, et Histoire d'Oka, la mission du lac des Deux-Montagnes, fondée en 1721, René Marimier, p.s.s. Cahier du lac des Deux-Montagnes.


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