L'affaire de la diffamation de Dougal MacDonald,
chargé de cours à l'Université de l'Alberta

Menace à la liberté académique

L'article « Menace à la liberté académique » a été écrit en 1953 par Charles Herbert Huestis, arrière-grand-père du Dr Dougal MacDonald, et est reproduit avec la permission de la famille. Divers adptes de l'affirmation que la famine en Ukraine en 1932-1933 a été provoquée artificiellement par le dirigeant soviétique Joseph Staline exigent le licenciement du Dr MacDonald qui enseigne à l'Université de l'Alberta. Ils affirment que même si son point de vue sur le soi-disant Holodomor n'a pas été présenté durant ses cours, il est à l'origine d'un traumatisme transgénérationnel et sa présence à l'université constitue une menace. Non seulement cette prise de position contrevient-elle de manière flagrante à la nécessité de garantir la liberté de parole dans la société et en particulier dans un milieu universitaire où l'investigation scientifique et la parole sont essentielles à l'apprentissage, mais elle fait aussi la promotion d'une idéologie officielle à laquelle tout le monde est censé se conformer sous prétexte qu'il n'y a pas de faits alternatifs. Cela ne correspond à aucune notion de démocratie.

La vraie question est de s'élever au-dessus de l'avilissement du discours politique qui prétend défendre les droits mais qui interdit ce que les forces de l'offensive antisociale appellent le discours haineux. La bataille n'est pas seulement pour la démocratie à un moment où même les libertés démocratiques les plus élémentaires sont retirées au nom d'idéaux élevés. La lutte pour utiliser sa parole comme expression de sa conscience fait également partie intégrante de la bataille de la démocratie - la bataille par laquelle le peuple prend en main ses affaires en affirmant ses droits d'une manière qui oblige ceux qui agissent en toute impunité à rendre des comptes. Le droit d'utiliser sa parole est un droit humain. Sans lui, personne ne peut délibérer sur la direction de l'économie et les autres affaires importantes qui touchent la vie des gens et la société, comme celles relatives au crime et au châtiment, à la guerre et à la paix, au rôle des idéologies et ainsi de suite.

L'article « Threat to Academic Freedom » (Menace à la liberté académique) a été originellement publié dans l'édition du 3 septembre 1953 du Toronto Star.

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La vague d'anticommunisme qui a déferlé sur les États-Unis est l'un des phénomènes sociaux les plus étonnants des temps modernes. Le président [Dwight D. Eisenhower] a déclaré il y a peu de temps qu'elle reculait mais elle a pris de l'ampleur.

L'autre jour, le New Republic publiait une caricature d'un personnage recouvert d'une capuche et drapé de noir intitulée « Peur », qui brandissait un fouet devant lequel l'oncle Sam terrorisé se terrait. Pendant quelques années, les singeries du Comité de la Chambre sur les activités antiaméricaines ont été vues avec un certain amusement, mais ce n'est plus le cas. D'éminents scientifiques ont été amenés devant lui et forcés de répondre à des questions qui indiquent l'ignorance des inquisiteurs. Le comité de l'énergie atomique a lui aussi fait preuve d'un manque d'intelligence. Leonard Engel, qui écrit occasionnellement dans The Nation sur les progrès de la science, a dit : « Dans un cas que je connais, un ingénieur respecté affilié à une grande université a été jugé inadmissible à l'accès à des documents secrets sur la seule accusation qu'il avait appuyé Henry Wallace [du Parti progressiste] lors des dernières élections. »

Maintenant, l'inquisition pénètre les écoles publiques et les universités. Le Comité de la Chambre sur les activités antiaméricaines a exigé que tous les manuels scolaires leur soient soumis pour la recherche de matériel subversif. Selon le rapport du comité des scientifiques sur les problèmes liés à l'allégeance, la sécurité affecte désormais la moitié de tous les scientifiques américains dans des domaines comme la physique et une proportion croissante dans d'autres domaines des sciences. Elle s'est maintenant étendue aux campus : plusieurs départements de l'Université de la Californie, explique Engel, qui exige également un serment d'allégeance, font des autorisations de sécurité une exigence pour tout le monde, quel que soit la nature ou le parrainage de son travail.

Le conseil scolaire de Cleveland, en Ohio, a récemment exigé un serment d'allégeance à tous ses enseignants des écoles publiques et le journal Plain Dealer a publié une photo de l'assermentation. CW Lawrence, commentateur du matin au Plain Dealer, a écrit à son éditeur : « Il me semble que cette image symbolise ce qui s'est passé dans notre pays au cours des derniers mois - un affaiblissement de notre caractère national, une détérioration de notre confiance en soi nationale, une perte de notre sens de l'humour, le tout étant le résultat d'une grande crainte irraisonnée d'une nation bien plus faible, à la fois physiquement et idéologiquement, que la nôtre. » En effet, les Américains singent la conduite même qu'ils condamnent en Russie. Lorsque la bombe atomique a explosé à Los Alamos, un éminent américain a déclaré : « C'est la fin de la démocratie. » Il voulait dire bien sûr que la militarisation, le secret et le contrôle de la pensée seraient étendus jusqu'à ce que les peuples qui se gouvernent perdent le pouvoir de façonner leur propre existence.

Un incident d'intolérance très médiatisé dans les universités s'est produit il n'y a pas longtemps à l'Université de Washington. Le professeur Henry Steele Commager du département d'histoire de l'Université de Columbia a écrit à ce sujet dans le New Republic du 25 juillet sous le titre « Red Baiting in the Colleges » (la chasse aux communistes dans les collèges). L'assemblée législative de l'État de Washington avait décrété qu'aucun salaire ne devait être versé à un employé de l'État qui était membre d'une organisation qui « prône le renversement du gouvernement des États-Unis par la force ou la violence », formule utilisée pour désigner les communistes, car le Parti communiste est aussi légal aux États-Unis que le républicain ou le démocrate.

Un ratissage de la faculté a exposé six membres qui pourraient être inclus dans cette formule, trois d'entre eux présumés membres actuels et trois anciens membres du parti. Le comité de faculté était enclin à l'indulgence, mais pas le président, R.B. Allen. Il soutenait que l'appartenance au PC constitue en soi une preuve d'inaptitude et d'incompétence, et que la dissimulation de cette appartenance rend l'infraction doublement odieuse. Le professeur Commager écrit : « Aucun exemple n'a encore été produit où un communiste d'une faculté universitaire a effectivement fait du tort à des étudiants ou à la recherche scientifique. L'hypothèse qu'un communiste trompera fatalement les étudiants est basée sur l'hypothèse tout à fait inexplorée que les collégiens seraient des imbéciles. »

Et cela m'amène à mon propos. Récemment, le professeur George Hunter, chef du département de biochimie de l'université de l'Alberta, a été sommairement congédié par le conseil des gouverneurs après 20 ans de brillants services. Le Dr Hunter n'est pas, je crois, membre du Parti ouvrier progressiste, mais il est profondément sympathique à la philosophie communiste et a dirigé un conseil de paix à Edmonton cette année. Le président de l'université a fait une déclaration à la presse dans laquelle il affirme que les opinions politiques du Dr Hunter ont été prises en considération par le conseil d'administration. « Ses opinions politiques, a déclaré le président, n'étaient pas la cause directe de son limogeage. Celui-ci est la culmination de plusieurs années d'insatisfaction. Le conseil d'administration a dû prendre note des plaintes répétées des étudiants qui disaient que le Dr Hunter utilisait sa classe pour propager ses opinions politiques. Au lieu d'un préavis, le Dr Hunter a reçu plusieurs mois de salaire du conseil d'administration. »

Toutes les tentatives d'obtenir davantage d'information du chancelier et du président sur la question ont été vaines. Le docteur Hunter, dans une déclaration aux médias, a dit qu'aucune raison n'avait été donnée par le conseil d'administration pour expliquer son congédiement. Quant à l'affirmation du président à l'effet qu'il se servait de sa salle de cours pour propager ses opinions politiques, il le nie catégoriquement. Il a dit aux médias qu'à la fin de ses cours de la session d'hiver le 7 avril, ayant terminé ses cours à 11 h 30, pendant le quart d'heure qui a suivi, il a partagé ses opinions sur les évènements mondiaux contemporains, après quoi 17 étudiants sur une classe de 257 étudiants ont signé une pétition qui a été remise au conseil d'administration. De tels étudiants n'ont pas la capacité émotionnelle de raffermir des jugements sur des questions controversées et il est peu probable qu'ils aient la formation intellectuelle requise pour compléter des études universitaires supérieures.

Il y a quelques années, un groupe d'étudiants de l'Université de Toronto avaient invité Tim Buck [secrétaire général du Parti communiste] et certains avaient contesté la décision auprès du président, le docteur Coy. Celui-ci avait répondu que les étudiants de niveau universitaire sont censés avoir l'intelligence d'un adulte et doivent par conséquent être en mesure de forger leur propre opinion puisqu'on ne les empêcherait pas d'entendre les deux côtés.

Jusqu'à maintenant, mis à part certaines sections des médias et, visiblement, la province de Québec et le chef du Parti progressiste-conservateur, le Canada est relativement libre d'hystérie anticommuniste. C'est déplorable qu'elle se manifeste dans une université ayant une fière tradition universitaire telle qu'établie par H. M. Tory et R.C. Wallace, ses premiers présidents.

L'éditeur de Saturday Night, commentant l'incident, a écrit : « Lorsque le conseil d'administration d'une université pose un geste aussi grave que de congédier un professeur d'université de 53 ans ayant 30 ans de service méritoire dans sa science, il lui doit, à lui, au public et aux principes de liberté académique, d'expliquer clairement et avec la plus grande franchise le fondement de ses actions. C'est, comme je l'ai dit plus haut, ce que les gouverneurs refusent de faire. »

(Traduit de l'anglais par LML)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 35 - 14 décembre 2019

Lien de l'article:
L'affaire de la diffamation de Dougal MacDonald, : Menace à la liberté académique


    

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