Contestation de l'ordre du jour
antisocial du gouvernement de l'Ontario
La cour juge que le gouvernement a enfreint l'autonomie des institutions postsecondaires
- Mira Katz -
Manifestation à Toronto le 18 janvier 2019
contre les coupures au Régime d'aide financière aux étudiants ontariens
et contre l'« Initiative de liberté de choix des étudiants »
Le 21 novembre, les juges Sachs, Corbett et Favreau
de la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l'Ontario
se sont prononcés contre le « Student Choice Initiative (SCI) »
(Initiative de liberté de choix des étudiants) du gouvernement de
l'Ontario. Le SCI exige que les institutions d'enseignement
postsecondaire rendent optionnels certains frais d'adhésion aux
associations étudiantes et certains frais afférents pour les services
que fournissent les associations (i.e. les étudiants peuvent décider de
ne pas les payer), sous peine de se voir priver d'une partie des fonds
publics qui reviennent aux institutions. En même temps, le SCI définit
arbitrairement d'autres frais afférents étudiants comme obligatoires.[1] Les juges ont décidé que l'initiative
du gouvernement enfreint à la fois l'autonomie des universités et la Loi
sur
les collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario et
va au-delà des pouvoirs de prérogative du gouvernement. Les poursuites
en justice contre le gouvernement ont été initiées par la Fédération
canadienne des étudiantes et étudiants et la Fédération des étudiants
de l'Université York. L'Association des étudiants des cycles supérieurs
de l'Université de Toronto est intervenue en faveur des associations
étudiantes, tandis que B'nai Brith Canada, un groupe de défense des
intérêts et « ardent défenseur de l'État d'Israël », est intervenu
en faveur des directives du gouvernement.
Le gouvernement avait affirmé que le but
de son initiative, qui s'accompagnait d'une fausse réduction
de 10 % des frais de scolarité et de réductions des prêts aux
étudiants, était d'améliorer l'accessibilité financière et l'accès aux
universités et collèges publics. Il avait aussi dit que ses directives
étaient fondées sur des « décisions de politique majeure » prises
par le Cabinet et qu'elles « dépassent donc la portée de la compétence
du tribunal en matière d'examen ». Il avait également soutenu que
les directives avaient été prises en vertu du pouvoir de dépenser de la
Couronne et que le tribunal n'avait pas la compétence pour s'ingérer
dans les décisions de dépenser du gouvernement.
En ce qui concerne l'objectif du gouvernement, la cour a
noté la preuve soumise par les requérants sous forme d'une lettre de
collecte de fonds envoyée par le premier ministre à ses partisans, qui
déclarait :« Je pense que nous savons tous à quels genres
d'absurdités marxistes s'adonnent ces associations étudiantes. Alors,
nous avons corrigé cela. Les cotisations des associations étudiantes
sont désormais volontaires. » Cependant, dans sa décision, le
tribunal n'a pas traité du but visé par ces directives et s'est plutôt
demandé si elles faisaient partie des pouvoirs de prérogative du
gouvernement. Le tribunal « doit veiller à ce que le ministre ait le
pouvoir légal d'exiger des universités et des collèges qu'ils se
conforment aux directives », lit-on dans la décision.
Le tribunal a noté que la question dont il a été saisi «
est de savoir si le SCI et les directives respectent les limites du
pouvoir de dépenser de la Couronne ». La cour a souligné que «
l'un des défauts évidents [de l'argument du gouvernement selon lequel
la directive relève de son pouvoir de prérogative de pouvoir dépenser]
est que les montants [des frais afférents] en cause pour chaque
étudiant sont très faibles par rapport à l'ensemble des frais de
scolarité. De plus, la distinction entre les frais essentiels et non
essentiels semble arbitraire si l'objectif réel derrière le SCI et les
directives est de réduire la charge financière des étudiants : les
frais d'adhésion au centre d'éducation physique, qui sont environ dix
fois plus élevés que les frais d'adhésion à l'association étudiante,
sont jugés ‘essentiels', mais les frais d'adhésion à l'association
étudiante ne le sont pas : aucun fondement de principe pour faire
cette distinction n'a été offert dans le dossier dont nous sommes
saisis ou dans les plaidoiries. »
Le tribunal a également soulevé de sérieuses questions
sur ce que le gouvernement tentait de faire avec sa directive et les
causes futures dans lesquelles il pourrait faire face à des
contestations. « Cette affaire pourrait soulever une question légitime
concernant l'étendue du pouvoir de dépenser de la Couronne : les
conditions qui y sont rattachées peuvent-elles être sans pertinence ou
sans rapport avec l'objectif pour lequel le financement est
accordé ? Les conditions peuvent-elles aller jusqu'à nuire au
financement et aux activités de tierces parties, comme les associations
étudiantes dans cette cause, qui ne reçoivent aucun financement de
l'Ontario ? Cependant, cette question n'a pas été soulevée de
façon catégorique par les requérants ou traitée par l'Ontario, et il
semble qu'il y ait peu de jurisprudence sur l'étendue de la prérogative
de la Couronne de pouvoir dépenser. Nous notons qu'il n'y a aucun cas
comme celui-ci où un tribunal a examiné la question de savoir si la
Couronne a l'autorité d'utiliser son pouvoir de dépenser d'une manière
qui affecte l'autofinancement et les activités d'une tierce
partie. »
Le tribunal souligne que la Loi sur
les collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario
déclare spécifiquement que « la présente loi n'a pas pour effet
d'empêcher un conseil des étudiants d'un collège élu par les étudiants
du collège de mener ses activités normales et nul collège ne doit
empêcher le conseil de les mener. » La cour a souligné qu'en
obligeant les collèges à rendre les cotisations des associations
étudiantes volontaires, « le ministre ordonne aux collèges de prendre
des mesures qui empêcheront les conseils des étudiants de mener leurs
activités normales, ce que l'article 7 interdit
expressément ».
En ce qui concerne les universités, alors que chaque
université est régie par sa propre loi qui ne définit pas explicitement
le rôle des associations étudiantes, le tribunal a cité les décisions
des cours suprêmes confirmant l'autonomie des universités et des
témoignages d'experts sur l'histoire de l'autonomie des universités
canadiennes, et a statué que « les lois régissant les universités ‘ont
préséance' en matière de gouvernance universitaire, y compris les
activités étudiantes. Exiger que les universités permettent aux
étudiants de ne pas payer les frais d'adhésion aux associations
étudiantes et pour d'autres services « non essentiels » est
incompatible avec la gouvernance autonome des universités ».
Mis à part les arguments du gouvernement, le tribunal a
également pris note des arguments avancés par le seul intervenant dans
l'affaire du côté du gouvernement, B'nai Brith Canada. B'nai Brith a
plaidé en faveur de l'initiative du gouvernement, affirmant qu'elle
améliore « l'autonomie et le choix des étudiants individuels qui
peuvent ne pas être d'accord avec ou souhaitent appuyer leurs
associations étudiantes », ou ce que la cour a appelé « l'argument
de la liberté ». Le tribunal n'a pas entamé de débat sur la
validité des arguments de B'nai Brith, mais les a au contraire rejetés
sur la base qu'ils ne présentaient aucun élément de preuve au dossier à
l'appui de leurs allégations et que le groupe a présenté des éléments
de preuve qui n'ont pas été versés au dossier pour le tribunal, quelque
chose qu'aucun intervenant n'est autorisé à faire. La Cour a noté que
ledit argument de liberté était en conflit avec « le droit de mener une
action collective (qui peut être incluse dans la liberté
d'association) ».
En plus de statuer contre les directives du
gouvernement, le tribunal a ordonné au gouvernement de payer les
dépenses des requérants, pour un montant de 15 000 $.
Le gouvernement a l'intention d'en appeler de la
décision
Des reportages ont indiqué que le gouvernement Ford fera
appel de la décision en faisant valoir que sa directive n'est pas une
ingérence dans l'autonomie des universités ou des collèges, car les
établissements sont libres de décider d'appliquer ou non la directive
et, conséquemment, de décider si oui ou non leur financement public
sera réduit en n'appliquant pas la directive. Un mémoire du
gouvernement déposé auprès de la Cour d'appel se lisait comme
suit : « Les universités restent libres d'exercer leur
indépendance et leur autonomie en choisissant d'accepter un financement
public, sous réserve des conditions qui y sont rattachées. Rattacher
des conditions aux subventions gouvernementales n'interfère d'aucune
façon dans l'autonomie et l'indépendance des universités. »[2]
Notes
1. Canadian
Federation
of
Students v. Ontario, 2019
ONSC
6658
2. Voir l'article du Charlatan ici.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 35 - 14 décembre 2019
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