Les principales caractéristiques et la discussion de l'accord proposé entre le Canada, les États-Unis et le Mexique

L'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) qui doit remplacer l'actuel Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) a été signé par les représentants gouvernementaux du Canada, des États-Unis et du Mexique le 30 novembre 2018 et a été signé à nouveau le 10 décembre 2019 après l'inclusion de plusieurs modifications. Les gouvernements des trois pays doivent adopter officiellement l'ACEUM pour qu'il entre en vigueur. Entre-temps, l'ALÉNA demeure en vigueur. L'ALÉNA a été signé en 1992 par les dirigeants des États-Unis, du Mexique et du Canada et est entré en vigueur le 1er janvier 1994.

L'objectif officiel déclaré de l'ALÉNA, qui a été utilisé à des fins de propagande pour intensifier l'offensive antisociale, était d'accorder à chaque pays les meilleurs tarifs possibles sur certaines marchandises, un arrangement appelé la clause de la nation la plus favorisée, d'éliminer les barrières commerciales et de faciliter le commerce des biens et des services, promouvoir une concurrence loyale, accroître les opportunités d'investissement et, ultimement, établir un cadre de coopération future en matière de commerce entre les trois pays.

Le résultat a été l'accélération de la tendance déjà évidente : l'intégration de l'économie des trois pays de l'Amérique du Nord dans une forteresse dominée et dirigée par les factions les plus puissantes de l'oligarchie financière et leurs conglomérats et cartels. Le contrôle des oligarques au pouvoir est si étendu qu'ils ont politisé leurs intérêts privés et les ont intégrés au gouvernement et à l'État. La plupart des règlements et des restrictions sur les opérations et les investissements des grandes entreprises ont été supprimés, dilués, ignorés ou voués à l'élimination.

Cela signifie que le pouvoir du gouvernement consiste principalement à canaliser la richesse sociale recueillie publiquement vers différentes factions de l'oligarchie financière, à restreindre les actions de la classe ouvrière pour défendre ses intérêts et à utiliser l'armée, les ressources humaines et naturelles et la richesse sociale produite de la Forteresse Amérique du Nord pour la guerre et d'autres actions pour établir leur hégémonie sur le monde entier.

Le pouvoir direct de l'oligarchie financière aligné avec les impérialistes américains, sur les affaires économiques, politiques, militaires et sociales de l'Amérique du Nord et leur lutte pour l'hégémonie mondiale sont à l'origine des changements à l'ALENA pour créer la CUSMA. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) et son mécanisme de règlement des différends, par exemple, sont remplacés parce qu'ils entravent la capacité des impérialistes américains à faire ce qu'ils veulent. De même, les principes des relations internationales pour maintenir la paix que l'ONU est censée incarner et défendre ont été systématiquement sapés.

Une grande partie des mécanismes et des règles de l'ALÉNA, de l'Organisation mondiale du commerce et des Nations unies ont perdu leur pertinence et ont été remplacés par le pouvoir direct de l'oligarchie financière sur l'économie, les affaires politiques, militaires et sociales de l'Amérique du Nord et sa lutte pour l'hégémonie mondiale.

La politisation des intérêts privés de l'oligarchie financière se traduit par l'anarchie et la violence à l'échelle mondiale sans droit commercial international pour empêcher les concurrents de se détruire ou de s'entre-tuer. D'une certaine manière, les intérêts privés politisés reflètent l'anarchie du Far West à l'échelle mondiale. L'arbitraire des intérêts privés politisés se voit dans la façon dont le président Trump brandit les tarifs comme arme pour gagner des avantages sur la Chine et d'autres pays identifiés comme des concurrents hostiles, et imposer des sanctions et des boycottages à tout pays qui ne se soumet pas à la domination des États-Unis.

Les droits imposés sur le bois d'oeuvre qui attaquent la production et les ventes canadiennes aux États-Unis ne sont qu'un exemple. Les tarifs sont considérés comme un avantage pour les intérêts privés des grands producteurs de bois d'oeuvre, car les prix de détail ont augmenté de façon exponentielle. Les cinq plus gros producteurs de bois d'oeuvre résineux canadiens ont profité de la hausse des prix, fermé des scieries au Canada et investi massivement aux États-Unis et en Europe.

Cependant, les conditions pour que des accords tels que l'ACEUM et des organes tels que l'OMC puissent ordonner ou résoudre les contradictions n'existent plus. L'anarchie et la violence dans les relations internationales et le diktat des pouvoirs supranationaux dominent. Dans ces conditions d'anarchie et de violence, l'adhésion aux règles pour faire respecter les accords et arrangements n'existe plus, sauf dans les cas où une puissante faction de l'oligarchie financière veut les utiliser de manière opportuniste. Inutile de dire que le temps est venu pour une nouvelle direction de l'économie qui favorise la classe ouvrière des trois pays d'Amérique du Nord, qui restreint les activités de l'oligarchie financière et prend des mesures nécessaires pour éliminer l'anarchie et la violence qui règnent désormais dans les relations internationales.

Les révisions de décembre 2019 et les modifications proposées
à l'ALÉNA pour l'ACEUM

Les secteurs spécifiques qui seront touchés par la modification des arrangements actuels avec l'adoption de l'ACEUM sont, entre autres, le secteur agricole, l'industrie automobile et l'industrie pharmaceutique, et les règlements qui touchent les relations économiques des trois pays avec les autres pays du monde.

L'attaque contre les agriculteurs canadiens

L'oligarchie financière tient particulièrement à éliminer le système traditionnel de gestion de l'offre du Canada et du Québec dans le secteur laitier. Les agriculteurs ont mené une lutte acharnée pour défendre leurs droits au sein d'un Canada souverain et de son économie. En accordant l'accès en franchise de droits au marché laitier canadien pour les deux autres pays et inversement, l'ACEUM cherche à détruire le droit souverain des agriculteurs d'organiser leur secteur. Le secteur agricole américain est reconnu pour sa domination en raison de la taille de ses exploitations et de son intégration avec l'oligarchie financière. Les conglomérats du secteur pourront vendre à des prix inférieurs aux prix de production pour éliminer les concurrents dans le secteur laitier, comme ils l'ont fait aux États-Unis.[1]

L'industrie automobile

En 1965, les trois grands constructeurs automobiles de l'époque (Ford, GM et Chrysler) ont établi un cartel organisé par l'État avec l'Accord canado-américain sur les produits de l'industrie automobile. Le Pacte de l'automobile a intégré efficacement l'industrie automobile des États-Unis et du Canada sous le contrôle des trois grands monopoles américains et de divers fabricants de pièces automobiles. Pour le cartel de l'automobile, le commerce entre le Canada et les États-Unis est devenu principalement une libre circulation interne sans droit tarifaire des produits dans le cadre d'un processus de production connu sous le nom de « juste-à-temps ».

Dans la plupart des secteurs, y compris celui de l'énergie, les échanges internes entre les divisions des entreprises privées géantes, principalement contrôlées par les États-Unis, dont les marchandises circulent entre le Canada et les États-Unis, sont devenus un trait dominant de l'intégration du Canada à l'économie américaine au cours des dernières décennies du XXe siècle. Le Canada ne fait pas de commerce avec les États-Unis comme pays souverain qui contrôle ses affaires économiques, mais comme une économie capturée et intégrée au sein de la Forteresse Amérique du Nord dominée par une oligarchie financière.

Grâce au Pacte de l'automobile, le cartel de l'automobile a pu accéder à une force productive humaine canadienne instruite, en santé et disciplinée. Deux importants programmes sociaux ont fait en sorte que la capacité de travailler des Canadiens était moins chère que celle des travailleurs aux États-Unis : le programme national d'assurance-maladie du Canada et l'assurance-chômage, qui deviendra plus tard l'assurance-emploi.

Les monopoles de l'automobile des États-Unis n'avaient pas à payer d'assurance-maladie privée pour leurs travailleurs au Canada, comme ils le faisaient aux États-Unis. Ils pouvaient organiser de grandes mises à pied irrégulières, car les travailleurs recevaient des prestations d'assurance-chômage presque équivalentes à leur salaire normal. Ainsi les travailleurs demeuraient en contact comme travailleurs de l'automobile expérimentés, qui pouvaient être rappelés même pendant les mises à pied prolongées.[2]

Avec l'extension progressive du secteur automobile dans le monde entier au cours des dernières décennies du XXe siècle, notamment les importants investissements mondiaux dans la production automobile en Asie de l'Est, le Pacte de l'automobile a perdu sa pertinence pour l'oligarchie financière et est en fait devenu un irritant pour les producteurs japonais et sud-coréens en plein essor qui avaient des liens étroits avec les grands investisseurs des États-Unis. En 1994, l'Accord de libre-échange entre les États-Unis et le Canada et l'ALÉNA ont remplacé le Pacte de l'automobile et ont intégré l'ensemble de la production automobile en Amérique du Nord, limité auparavant aux trois grands d'origine, en un marché libre.

Le développement inégal de l'impérialisme, l'évolution des techniques de production et l'augmentation rapide du transport maritime international de marchandises ont permis à la production de véhicules de prendre de l'importance en Asie et au Mexique et entraîné son déclin aux États-Unis et au Canada. L'ALÉNA a alors perdu sa pertinence pour ce secteur.

L'oligarchie financière cherche toujours à renforcer son contrôle aux dépens de ses concurrents et de la classe ouvrière. Sous son contrôle et pour favoriser les intérêts privés des oligarques, le secteur automobile américain et canadien subit de profonds changements et ce sont les travailleurs de l'automobile qui portent le fardeau des licenciements permanents sans perspectives de trouver un emploi similaire.

Leurs villes, comme Oshawa, Oakville, Windsor et de nombreuses autres aux États-Unis, subissent les graves conséquences de la contraction de leur économie. Les changements proposés pour le secteur automobile avec l'ACEUM visent à favoriser l'oligarchie financière alors que la classe ouvrière est attaquée, n'a pas son mot à dire et n'a aucun contrôle sur ce qui touche sa vie et l'économie, et n'a certainement pas donné son consentement.

Dans le cadre de l'ACEUM, pour être exempt de droits de douane sur le marché nord-américain, un minimum de 75 % du prix de production d'un véhicule doit avoir été produit à l'intérieur de la Forteresse Amérique du Nord. Cela n'apporte aucune garantie que la production se poursuivra dans des usines déjà établies, car ceux qui en ont le contrôle introduisent rapidement de nouvelles techniques de production et déplacent la production selon leurs intérêts privés étroits, perspectives et critères qui vont à l'encontre du bien-être du facteur humain, du développement d'une économie durable diversifiée qui diminue le fardeau de l'introduction de nouvelles techniques et détourne de la culture automobile, de sa pollution de l'environnement et d'autres facteurs négatifs.

L'ACEUM cherche à normaliser le prix payé pour la capacité de travail des travailleurs de l'automobile nord-américains à 16 $ l'heure, ce qui est bien inférieur au prix actuel aux États-Unis et au Canada. Avec cette manoeuvre, l'ACEUM cherche à éliminer les syndicats de l'automobile en tant qu'organisations indépendantes de la classe ouvrière, qui négocient collectivement avec l'oligarchie financière des conditions d'emploi acceptables pour les travailleurs de l'automobile dans les trois pays.

Le Mexique a accepté d'établir de nouveaux mécanismes bilatéraux avec les États-Unis et le Canada afin de permettre une ingérence directe dans ses rapports de production dans le secteur automobile et d'intégrer davantage son économie à la Forteresse Amérique du Nord sous le contrôle de l'oligarchie financière. Un communiqué de presse du gouvernement du Canada détaillant les changements finalisés en décembre se lit : « Le Canada a établi un nouveau mécanisme bilatéral avec le Mexique en application du chapitre sur le règlement des différends dans le domaine du travail. [...] Ce mécanisme d'intervention rapide propre aux installations fournira au Canada un processus amélioré pour veiller à la mise en oeuvre efficace de certaines obligations en matière de main-d'oeuvre dans les installations visées. Si une partie a des préoccupations ... elle peut demander la tenue d'une enquête par un groupe indépendant d'experts du travail et, sous réserve d'une confirmation, elle peut prendre des mesures pour imposer des sanctions visant les exportations de ces installations. »

Des règles sur l'acier et aucune pour l'aluminium

Les règles d'origine de l'ACEUM exigent que 70 % de l'acier acheté par les assembleurs de véhicules soit considéré comme originaire de la région de l'ACEUM. Le nouvel ALÉNA révisé prévoit la mise en oeuvre de règles sur l'acier sur une période de sept ans.

Aucune règle de ce genre n'a été incluse pour l'aluminium. La délégation canadienne aurait réclamé qu'un certain pourcentage d'aluminium utilisé dans les automobiles soit fondu en Amérique du Nord, mais les États-Unis et le Mexique ont refusé de l'accepter. Le Canada est de loin le plus grand producteur d'aluminium de la Forteresse Amérique du Nord. Les oligopoles qui contrôlent la production d'aluminium ont des installations partout dans le monde et utilisent leur production mondiale pour attaquer les travailleurs du Québec et de la Colombie-Britannique et pour exiger des gouvernements des concessions sur le prix de l'électricité, qui est un facteur important de la production.

L'absence d'un accord sur les règles d'origine de l'aluminium pourrait être un des points qui posent problème lorsque l'ACEUM arrivera au parlement canadien pour être ratifié. Le Bloc québécois a déjà fait part de sa déception face à cette faille dans l'accord.

La « propriété intellectuelle »

Dans le chapitre sur la « propriété intellectuelle », la durée du droit d'auteur d'un contenu comme les enregistrements sonores passera de 70 ans à 75 ans. Avec les modifications de décembre, les produits biologiques tels que les vaccins recevront des brevets conformément aux accords existants dans chaque pays. Au Canada, leur durée est de huit ans. Cela permet aux grandes pharmaceutiques de vendre des médicaments à des coûts élevés pendant au moins huit ans, y compris aux agences gouvernementales dans le cadre des programmes d'assurance-médicaments. Les produits pharmaceutiques hors marque ou génériques, une alternative moins coûteuse à de nombreux médicaments couramment utilisés, ne seront pas disponibles pendant la période de protection par le brevet.[3]

Le gouvernement abdique ses responsabilités sociales

L'ACEUM comprend des dispositions de coopération réglementaire qui limitent la capacité de chaque gouvernement de réglementer la production et la vente de biens dans des domaines comme les produits chimiques, la sécurité alimentaire et l'environnement. Cela profite directement aux conglomérats de l'oligarchie financière, car les gouvernements n'ont que peu de pouvoir pour contrôler ce qui est produit et vendu en Amérique du Nord.

L'ACEUM donne à l'oligarchie financière des pouvoirs extraordinaires pour contrôler les règlements couvrant toutes sortes d'affaires économiques qui empêchent le gouvernement de s'acquitter de ses responsabilités sociales. Dans le cadre de l'ACEUM, les gouvernements doivent permettre aux grandes entreprises d'examiner tout projet de règlement régissant leur secteur ou leur industrie avant d'adopter une loi. De fait, cela politise les intérêts privés et les activités des conglomérats de l'oligarchie financière de manière très précise.

De plus, aucune participation ou surveillance du public n'est permise dans l'élaboration des règlements. L'ACEUM donne aux entreprises un préavis des nouveaux règlements. Les personnes dites « intéressées » sont avisées à l'avance du projet de règlement du gouvernement et ont droit de participer à un processus de consultation avant qu'un règlement ne soit adopté par une assemblée législative.

Tous les règlements doivent être « fondés sur la science ». La politique d'édification de la nation n'est pas considérée comme « fondée sur la science » selon la définition impérialiste, pas plus que les considérations sociales ou autres considérations pour faire face à des problèmes et des défis comme la pauvreté, le changement climatique, le développement régional ou la tendance impérialiste à une économie de guerre et la nécessité de faire du Canada une zone de paix. Les conglomérats peuvent rejeter les règlements qu'ils considèrent comme non « fondés sur la science ».

Le gouvernement doit prouver qu'un projet de règlement s'appuie sur la science tandis que les intérêts privés des conglomérats n'ont pas à prouver que leur production ou leurs autres activités ne sont pas nuisibles à la vie collective de la nation, au bien-être du peuple ou à la santé de la Terre Mère. L'ACEUM renverse le « principe de précaution » de la société civile selon lequel les intérêts privés sont censés prouver que leurs activités ne nuisent pas au bien commun. En excluant le principe de précaution, l'ACEUM impose à ceux qui élaborent des règlements le fardeau de défendre leurs règles lorsqu'elles sont contestées par de puissants intérêts privés.

Le Conseil des Canadiens souligne que dans le cadre de l'ACEUM « les organismes de réglementation doivent défendre vigoureusement les règlements proposés et sont même tenus de proposer des solutions de rechange qui ne comportent pas de réglementation. Ils doivent fournir une analyse approfondie, y compris les coûts-avantages pour l'industrie. »

Dans la pratique, dans la société civile, le principe de précaution s'est souvent avéré être une escroquerie lorsqu'il était confronté aux intérêts privés de l'oligarchie financière, où la responsabilité sociale des conséquences est ignorée et les preuves supprimées. Les exemples sont nombreux, comme dans le cas du tabac et des risques pour la santé liés au tabagisme, la culture de l'automobile et l'hécatombe sur les routes, la congestion et la pollution atmosphérique, le secteur de l'énergie et la pollution menant au changement climatique, les grandes sociétés pharmaceutiques et la promotion des opiacés entraînant la dépendance et une mortalité grandissante et le recours à la violence pour régler les différends dans les relations internationales, ce qui élargit l'économie de guerre, ce qui favorise la vente et l'utilisation de sa production d'armements

La normalisation des règlements

L'ACEUM insiste pour que les trois pays harmonisent leurs règlements ou aient au moins des règlements similaires. De nombreux commentateurs soulignent que cette normalisation abaissera les normes au plus bas dénominateur commun et niera toute indépendance d'action selon les conditions concrètes dans les trois pays.

Les entreprises peuvent contester la réglementation d'un pays si elle n'est pas standard ou similaire à celle des deux autres ou d'un autre pays. Cette coopération en matière de règlement est assujettie au règlement des différends, ce qui signifie que les grandes sociétés peuvent contester directement les mesures prises par le gouvernement devant un organisme non gouvernemental.

L'ACEUM permet et encourage à certains égards les conglomérats de l'oligarchie financière à défendre leurs intérêts privés et à faire pression pour que des modifications soient apportées à la réglementation qui porte sur des questions comme les organismes génétiquement modifiés, les glyphosates comme l'herbicide Roundup de Monsanto/Bayer, l'étiquetage des produits de santé et des cigarettes, les règles sur l'inspection des aliments et celles qui portent généralement sur la sécurité du public. Une grande partie de cette activité se déroulerait en privé, derrière des portes closes.

Le règlement des différends

Le chapitre 20 de l'ALÉNA, qui énonce le mécanisme de règlement des différends de pays à pays, et le chapitre 19, qui énonce le mécanisme de règlement des différends en matière de droits antidumping et compensateurs, sont maintenus. Beaucoup considèrent que ces deux mécanismes portent atteinte au droit souverain des nations de réglementer les importations, car ils confient le règlement des différends à un groupe non gouvernemental. Comme la plupart des accords de libre-échange, ces mécanismes créent un organe supranational pour traiter les plaintes. Les États-Unis s'opposent depuis longtemps à leur utilisation et ont en fait réduit la portée du chapitre 19 par un accord parallèle avec le Mexique. La seule utilisation importante du chapitre 19 a été la contestation par le Canada en matière de droits sur le bois d'oeuvre. Le Canada a remporté sa cause, mais les autorités américaines sont tout simplement revenues à la charge avec de nouveaux tarifs et de nouveaux arguments.

L'oligarchie financière américaine s'oppose à ces arbitrages, car ils empiètent sur son pouvoir privé. Elle essaie présentement d'éliminer le processus de règlement des différends de l'OMC en bloquant les nominations et le renouvellement de mandat des juges d'arbitrage. Étant donné que trois juges sont nécessaires pour chaque appel, le système devrait s'effondrer à l'expiration du mandat de deux juges en décembre 2019.

De même, les autorités américaines bloquent l'utilisation du chapitre 20 depuis 2000, date à laquelle elles ont refusé de nommer des représentants à un groupe spécial chargé d'examiner une plainte du Mexique sur les tarifs américains sur le sucre. Aucun groupe spécial du chapitre 20 de l'ALÉNA n'a pu être établi depuis.

L'ACEUM élimine le chapitre 11 de l'ALÉNA, le mécanisme de règlement des différends entre le Canada et les États-Unis en matière d'investissements d'État, ce qui semble contredire la volonté de maintenir les chapitres 19 et 20, mais il le maintient dans certains cas entre les États-Unis et le Mexique. L'élimination du chapitre 11 a été saluée par certains comme une victoire populaire, mais un examen plus approfondi permet de croire qu'il a perdu toute importance avec l'élargissement des pouvoirs supranationaux de l'oligarchie financière au sein de la Forteresse Amérique du Nord.

Le chapitre 11 était un mécanisme qui permettait aux sociétés privées d'intenter une action en justice contre un gouvernement étranger si elles croyaient que les politiques d'un gouvernement étranger portaient atteinte à leur droit de faire du commerce dans ce pays suivant les conditions fixées par l'ALÉNA. Avec la normalisation des réglementations et autres pouvoirs, l'oligarchie financière peut imposer sa volonté dans la plupart des cas, à moins d'une résistance populaire résolue. Les oligarques pensent sans doute que le chapitre 11 est devenu un paratonnerre pour l'opposition et est trop de tracas. Sans compter que les néolibéraux peuvent maintenant dire que c'est une victoire pour le peuple et la souveraineté et une pièce maîtresse du nouvel ALÉNA.

Restrictions sur les négociations avec les pays « n'ayant pas
une économie de marché »

L'ACEUM stipule : « À la demande d'une autre Partie, une Partie qui a l'intention d'amorcer des négociations en vue de conclure un accord de libre-échange avec un pays n'ayant pas une économie de marché fournit, sur demande d'une autre Partie, autant de renseignements que possible sur les objectifs des négociations précitées. Pour l'application du présent article, un pays n'ayant pas une économie de marché est un pays qui, à la fois, a) à la date de signature du présent accord, est considéré par une Partie comme n'ayant pas une économie de marché aux fins de la législation sur les recours commerciaux de la Partie en question et b) n'a conclu d'accord de libre-échange avec aucune des Parties. [...]

« Si une Partie conclut un accord de libre-échange avec un pays n'ayant pas une économie de marché, les autres Parties pourront mettre fin au présent accord moyennant un préavis de six mois, et remplacer le présent accord par un accord bilatéral entre elles. »

Au moment de la publication du contenu de l'ACEUM, la Presse canadienne rapportait que le député conservateur Michael Chong a accusé le gouvernement libéral de renoncer à une mesure importante de souveraineté dans l'entente. « Nous devons maintenant demander l'autorisation de Washington pour entamer des négociations commerciales avec certains pays que les États-Unis désigneront comme pays n'ayant pas une économie de marché, a déclaré Chong. Cela fait littéralement de nous un État vassal des Américains. »

Dans une entrevue avec Reuters, le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, a défendu la clause en question en la qualifiant de « pilule empoisonnée pour dissuader les accords avec la Chine ». Ross a déclaré que la clause vise à « colmater les brèches dans les accords commerciaux qui ont servi à légitimer le commerce, la propriété intellectuelle et les pratiques de subventions industrielles de la Chine ». [4]

La clause crépusculaire

Les termes de l'ACEUM resteront en vigueur pendant une période de 16 ans, date à laquelle les parties peuvent choisir de revoir et/ou renégocier ces conditions, ou de se retirer complètement de l'accord. Après six ans, la clause crépusculaire de 16 ans peut être réexaminée et possiblement prolongée.

Article 232 sur les droits américains

En mars 2018, les États-Unis ont imposé des droits de douane de 25 % sur l'acier importé et de 10 % sur l'aluminium importé en vertu de l'article 232 de la Trade Expansion Act de 1962, qui permet au président américain d'imposer des droits de douane pour des raisons de sécurité nationale. Le président Trump aurait utilisé les tarifs pour extorquer certaines concessions demandées par la faction qu'il représente. Les tarifs de l'article 232 sur l'acier et l'aluminium produits au Canada et au Mexique ont finalement été retirés.

Les États-Unis songent également à invoquer l'article 232 pour imposer des droits de 25 % sur toutes les importations d'automobiles. L'ACEUM comprend des lettres d'accompagnement dans lesquelles il est stipulé que si les États-Unis imposent des tarifs sur les importations d'automobiles, le Canada et le Mexique disposeraient d'une période de franchise de deux mois pour prendre d'autres dispositions.

Les tarifs de l'article 232 et les tarifs du bois d'oeuvre résineux montrent à quel point les relations au sein de la Forteresse Amérique du Nord et au-delà sont précaires et incertaines, on pourrait même dire sans loi, et sujettes aux exigences pragmatiques des factions rivales de l'oligarchie financière dans leur lutte pour le contrôle de la présidence américaine.

Les achats en ligne et la circulation des données

L'ACEUM augmente la limite de franchise de droits pour les Canadiens qui achètent des produits américains en ligne de 20 $ à 150 $. Il permet aux entreprises de transférer des données à travers les frontières sans rencontrer d'obstacles.

Jason Oxman, président du groupe de commerce technologique ITI, dit que les dispositions numériques du pacte établissent « un nouveau précédent important pour les règles commerciales modernes ». (Associated Press) Les détails du pacte ne clarifient pas l'importance de ces « règles commerciales modernes » pour les données ni ce que cela signifie pour les Canadiens, par exemple dans le domaine de la vie privée ou des affaires politiques.

Le contexte de la renégociation de l'ALÉNA

L'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Depuis lors, le commerce entre les trois pays a connu une croissance exponentielle, en partie grâce à l'établissement de chaînes d'approvisionnement continentales des plus grands conglomérats. Chaque jour, les États-Unis font plus de 3,6 milliards de dollars d'échanges commerciaux avec le Canada et le Mexique. Le PIB annuel combiné de la Forteresse Amérique du Nord est supérieur à 22 billions de dollars américains.

L'ALÉNA a permis à l'oligarchie financière de déplacer ses entreprises là où cela convient à ses intérêts privés étroits et là où les fonds et les infrastructures publics sont le plus généreusement offerts dans des stratagèmes pour payer les riches. Des progrès dans la technologie de production et de transport ont été faits au profit de l'oligarchie financière sans tenir compte du bien-être de la classe ouvrière, de la stabilité et de la sécurité de l'économie nationale et régionale ou des impacts sur l'environnement social et naturel.

Les entreprises de l'oligarchie financière ont établi des réseaux de fabricants, vendeurs, fournisseurs et distributeurs qui dépendent fortement de la libre circulation des marchandises par les frontières de l'Amérique du Nord. Des couloirs de transport à cet effet sont envisagés pour maximiser les avantages et les bénéfices des oligarques.

L'ACEUM se concentre sur ce que l'administration américaine appelle la modernisation dans les domaines des droits de propriété intellectuelle, des pratiques réglementaires, des droits des travailleurs, de l'environnement, des marchés publics et d'un certain nombre d'autres domaines clés.

Notes

1. La gestion de l'offre est un système selon lequel le gouvernement canadien émet des permis qui permettent aux agriculteurs certains quotas de production de produits laitiers, de volaille et d'oeufs. Il contrôle également le prix des importations au Canada de ces produits. Ce processus garantit aux agriculteurs de tirer des revenus durables et garantit que les petites exploitations locales ne sont pas inondées par les produits agricoles provenant des mégafermes aux États-Unis et en Europe.

Les changements apportés au nouvel ALÉNA entraîneront un afflux de produits agricoles en provenance des États-Unis, y compris des produits laitiers américains qui peuvent provenir de vaches qui ont reçu des hormones de croissance bovine génétiquement modifiées (SBTR) pour augmenter leur production de lait. Il n'existe actuellement aucune exigence d'étiquetage pour le lait provenant des vaches traitées au SBTR, de sorte que les consommateurs ne sauront pas ce qu'ils boivent.

L'industrie agroalimentaire des États-Unis est fortement subventionnée par des fonds publics et intégrée à l'oligarchie financière. Permettre un plus grand accès au marché aux exploitations agricoles d'entreprises américaines signifierait que les petits agriculteurs canadiens seraient en concurrence avec des producteurs beaucoup plus grands capables de manipuler les prix à leur avantage.

« Le Conseil des Canadiens s'oppose à la ratification d'un nouvel ALÉNA qui érode notre système de gestion de l'offre et met en péril notre souveraineté alimentaire. »

Les citations directes en anglais se retrouvent ici.

(Traduit de l'anglais par LML)

2. « En 1964, 7 % des véhicules fabriqués au Canada étaient vendus aux États-Unis, alors qu'à partir de 1968, c'était 60 %. À la même date, 40 % des automobiles achetées au Canada étaient fabriquées aux États-Unis. La production d'automobiles et de pièces automobiles dépassa, en valeur marchande, la production de l'industrie papetière, au point de devenir la plus importante industrie du Canada. Le déficit commercial se résorba et devint un surplus commercial annuel valant des milliards de dollars canadiens. De 1965 à 1982, le déficit commercial total du Canada avec les États-Unis était de 12,1 milliards de dollars ; c'était le résultat d'un surplus commercial d'environ 28 milliards de dollars de véhicules assemblés et un déficit commercial d'environ 40,5 milliards de dollars en pièces automobiles. [...]

« Le pacte a bénéficié aux travailleurs canadiens, car il s'agit d'un milieu de travail dont le salaire moyen est nettement supérieur à la moyenne nationale. Il a par contre amené des inconvénients majeurs. Il a créé une situation de dépendance envers l'industrie automobile américaine, ce qui a défavorisé la création d'une industrie nationale. Par ailleurs, les usines sont surtout des unités de fabrication, l'administration et la recherche et développement sont demeuréss concentréss aux États-Unis. Le traité a aussi interdit au Canada d'établir des relations semblables avec d'autres fabricants automobiles.

« Le Canada devait aussi adhérer aux NHTSA, normes américaines régissant la sécurité et l'émission de polluants automobiles, il ne pouvait donc s'aligner sur les ECE Vehicle Regulations, normes internationales établies par l'UNECE, ce qui prévint la production canadienne de trouver des débouchés en dehors de l'Amérique du Nord. [...]

« Il a été aboli en 2001 après que l'OMC l'ait déclaré illégal. À ce moment, l'ALÉNA l'avait déjà largement remplacé. » (Wikipédia)

« En 1966, les exportations canadiennes de véhicules et de pièces aux États-Unis s'élèvent à 886 millions de dollars. En 1977, elles atteignent 9,9 milliards. De même, les importations canadiennes des États-Unis passent de 1,5 milliard en 1966 à 10,9 milliards en 1977.

« Dans l'ensemble, le Pacte de l'automobile a atteint son objectif d'établir un réseau de production intégré au Canada et aux États-Unis. En 1965, le Canada n'exportait que 48 000 véhicules aux États-Unis, représentant seulement 6 % de la production canadienne, tandis que les États-Unis n'exportaient que 64 000 véhicules au Canada, soit 0,6 % de la production de véhicules de type nord-américain des États-Unis. Une dizaine d'années plus tard, en 1975, le Canada exportait 849 000 véhicules aux États-Unis, représentant 59 % de la production canadienne, tandis que les États-Unis exportaient 698 000 véhicules au Canada, soit 8 % de la production américaine. » (Extrait de l'Encyclopédie canadienne)

Il est à noter que la croissance dans son ensemble de la production de véhicules doit être évaluée à la lumière de l'énorme promotion de la culture automobile dans les films et à la télévision, en particulier auprès des jeunes. Cette pression sur les individus d'utiliser et acheter des voitures a inclus l'aménagement urbain dans les plus grandes villes qui obligeait de nombreux travailleurs à acheter des voitures pour se rendre au travail et pour leurs loisirs.

3. Le nouvel ALÉNA confirme aux grandes sociétés pharmaceutiques américaines la durée actuelle de leurs brevets, qui au Canada est de huit ans d'exclusivité. L'accord comprend des produits biologiques, une nouvelle classe de médicaments fabriqués à partir de tissus humains ou animaux. Les produits biologiques comprennent des médicaments tels que l'insuline et des médicaments qui traitent le cancer, l'arthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse.

En 2016, les Canadiens ont dépensé 30 milliards de dollars pour faire remplir plus de 600 millions d'ordonnances. Les Canadiens paient déjà le deuxième prix le plus élevé des pays de l'OCDE pour les médicaments sur ordonnance. Des études ont révélé que de nombreuses personnes ne peuvent pas se permettre les médicaments qui leur sont prescrits.

(Source : Le Conseil des Canadiens)

4. Ce que dit l'ACEUM sur les pays « n'ayant pas une économie de marché » :

« Article 32.10 : Accords de libre-échange avec des pays n'ayant pas une économie de marché

« 1. Pour l'application du présent article : un pays n'ayant pas une économie de marché est un pays qui, à la fois : a) à la date de signature du présent accord, est considéré par une Partie comme n'ayant pas une économie de marché aux fins de la législation sur les recours commerciaux de la Partie en question, b) n'a conclu d'accord de libre-échange avec aucune des Parties.

« 2. Sur demande, une Partie fournira autant de renseignements que possible sur les objectifs des négociations.

« 3. Dès que possible, et au plus tard 30 jours avant la date de signature, la Partie qui a l'intention de signer un accord de libre-échange avec un pays n'ayant pas une économie de marché donne aux autres Parties la possibilité d'examiner le texte intégral de l'accord, y compris toute annexe et tout instrument accompagnant celui-ci, afin que ces Parties puissent examiner l'accord et en évaluer les incidences possibles sur le présent accord. Si la Partie concernée demande que le texte soit traité comme confidentiel, les autres Parties en préservent la confidentialité.

« 4. Si une Partie conclut un accord de libre-échange avec un pays n'ayant pas une économie de marché, les autres Parties pourront mettre fin au présent accord moyennant un préavis de six mois, et remplacer le présent accord par un accord bilatéral entre elles.

« 5. L'accord bilatéral est constitué de toutes les dispositions du présent accord à l'exception de celles dont les Parties concernées conviennent qu'elles ne s'appliquent pas entre elles.

« 6. Les Parties concernées utilisent la période de préavis de six mois pour examiner le présent accord et décider si des amendements devaient y être apportés pour assurer le bon fonctionnement de l'accord bilatéral.

« 7. L'accord bilatéral entre en vigueur 60 jours après la date à laquelle la dernière partie à l'accord bilatéral ayant accompli ses procédures juridiques applicables en a notifié l'autre partie. »

(Photos : LML, J. Raedle, B. Proulx)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 35 - 14 décembre 2019

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Les principales caractéristiques et la discussion de l'accord proposé entre le Canada, les États-Unis et le Mexique


    

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