L'avilissement du discours politique et la destruction de la politique

Selon le texte faisant autorité du sénateur Eugène Forsey, le discours du Trône « expose les vues du gouvernement sur la situation du pays, ainsi que les lignes directrices qu'il suivra et les projets de loi qu'il déposera ». Le discours du Trône du 5 décembre n'a pas abordé la situation dans laquelle se trouve le pays, en particulier la crise croissante des institutions politiques qui ont perdu la capacité de donner naissance à un gouvernement considéré comme fondé sur le consentement du peuple. Bien au contraire, le discours du Trône proclame que « la pierre d'assise de notre stabilité est notre système parlementaire ». S'adressant aux députés et aux sénateurs, la gouverneure générale dit que leur rôle dans le processus démocratique est à la fois un privilège et une responsabilité et se dit confiante « que vous [les députés et les sénateurs] le comprenez et que vous respecterez les choix et protégerez les droits de tous. Nous sommes au service de tous les Canadiens et Canadiennes. »

Les libéraux prétendent pouvoir deviner la « volonté du peuple » qui, selon le discours du Trône, était d'envoyer un message clair par l'élection d'un gouvernement minoritaire et que le peuple veut que ses parlementaires travaillent ensemble et « mènent à bien un plan qui procure des résultats pour tous les Canadiens ». Il est dit ensuite que les parlementaires ont reçu du peuple canadien un mandat et que ce mandat est, pour reprendre la plus récente interprétation qu'en font les libéraux, un mandat pour lutter contre les changements climatiques, renforcer la classe moyenne, parcourir le chemin de la réconciliation avec les autochtones, assurer la santé et la sécurité des Canadiens.

Leur nouveau refrain pour excuser ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait pendant leur premier mandat est « il reste encore beaucoup à faire ».

Tout au long du discours du Trône revient le message que le gouvernement poursuivra ses stratagèmes pour enrichir les entreprises et continuera d'obéir au diktat des oligarques financiers qui exigent qu'on les rendre concurrentielles, c'est-à-dire : « placer le Canada en position favorable pour assurer sa réussite dans un monde incertain ». Le Canada continuera d'être « à la recherche de possibilités pour mettre à profit le commerce, l'ingéniosité et l'esprit d'entreprise canadiens ». De plus, il est clairement indiqué dans ce discours que le gouvernement entend continuer de miner l'état de droit et la souveraineté d'autres pays parce que, dit-il, « les Canadiens comptent sur leurs dirigeants pour défendre les valeurs et les intérêts qui sont essentiels à la prospérité et à la sécurité du Canada – la démocratie, les droits de la personne et le respect du droit international ». Le gouvernement fait la promesse de renouveler l'engagement du Canada à l'égard de l'OTAN, du maintien de la paix de l'ONU et de l'ordre international fondé sur des règles et de continuer à chercher à obtenir un siège pour le Canada au Conseil de sécurité de l'ONU.

Le discours fait ensuite la promotion du multilatéralisme qui serait la spécialité du Canada : « Le Canada est un artisan de coalitions, et le gouvernement établira des partenariats avec des pays aux vues similaires pour mettre à profit à l'échelle internationale l'expertise du Canada, notamment dans des domaines comme la promotion de la démocratie et des droits de la personne, la lutte contre les changements climatiques et la protection de l'environnement, ainsi que le développement et l'utilisation éthique de l'intelligence artificielle. »

L'appel aux parlementaires de trouver le moyen de travailler ensemble est réitéré dans la conclusion du discours : « Au cours de cette 43e législature, vous serez en désaccord sur de nombreux sujets. Mais, plus souvent encore, vous parviendrez à des consensus. Concentrez-vous sur votre but commun : offrir une vie meilleure aux personnes que vous servez. N'oubliez pas que c'est un honneur de siéger au Parlement. Prouvez aux Canadiens que vous êtes dignes de vos fonctions et que vous êtes des gardiens dignes du Parlement. »

Malgré son insistance sur la collaboration des parlementaires pour régler les problèmes auxquels les Canadiens font face, le discours du Trône vient confirmer que le processus politique n'est plus en mesure de résoudre les rapports entre les électeurs et les élus ou entre les factions rivales de l'élite dominante qui luttent pour le pouvoir. Après beaucoup de grandiloquence sur le Parlement du Canada qui serait « l'une des institutions les plus tenaces et vitales du monde démocratique », le discours du Trône se termine par une formule reprise directement de l'époque médiévale qui a engendré le processus avec lequel les Canadiens sont aux prises aujourd'hui : « Puisse la Divine Providence vous guider dans l'accomplissement de vos devoirs et l'exercice de vos responsabilités. »

Le besoin d'un nouveau processus politique
qui réponde aux besoins de notre l'époque

Le rôle du processus politique actuel est de détruire la source même du pouvoir politique, le corps politique. Cela s'est clairement vu pendant la campagne électorale de laquelle est issu ce gouvernement. La rivalité des partis politiques cartellisés en lutte pour former le gouvernement a abaissé le niveau du discours comme jamais auparavant. Les préoccupations du peuple, les conditions réelles de travail et de vie, n'ont été soulevées et discutées que par des partis comme le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) qui veulent donner à la société un but qui répond aux exigences de notre époque. Ce bas niveau du discours des partis cartellisés n'était pas seulement un facteur d'abrutissement qui contribue à la destruction de la politique. Toute la « campagne » a servi à désorienter le corps politique, ce que personne ne peut accepter.

De plus, au cours de la campagne électorale, la diffamation et des opérations de salissage sans précédent ont été utilisées pour attaquer le corps politique. Le PCC(M-L) n'est pas d'accord avec les positions de Maxime Bernier et de son Parti populaire, mais les attaques violentes gratuites lancées par une entreprise de médias libérale payée par un tiers conservateur montrent le niveau sordide auquel la politique du pays a été abaissée. De la même façon, la méthode de la répétition incessante de commentaires pris hors contexte d'Elizabeth May pour caricaturer sa personnalité, qui a été utilisée par la campagne d'un autre parti pour saper le vote du Parti vert, est totalement honteuse. L'hypocrisie et la corruption de ces pratiques sont telles que le parti et le chef de parti qui ont mené cette campagne prétendent défendre tous ceux qui sont victimes de discrimination tout en n'hésitant pas à utiliser tous les moyens pour diffamer leurs adversaires.

Le PCC(M-L) ne sera jamais d'accord avec cela. Par contraste, son propre appel, qui est d'humaniser l'environnement naturel et social en préservant la dignité du travail, en défendant les droits de tous et de toutes et en faisant du Canada une zone de paix, donne un but au corps politique et à la société. Cela est d'une importance cruciale parce que de la façon dont les choses se passent au Canada, soit le diktat brutal de l'oligarchie financière internationale continuera de faire des ravages comme cela se produit partout au pays et de façon particulièrement violente aujourd'hui en Alberta, en Ontario et au Québec, soit le peuple répondra à l'appel d'un gouvernement antiguerre qui donnera au Canada une nouvelle orientation de l'économie, de la politique étrangère et de la politique intérieure. Cet appel donne un but digne des peuples canadien, québécois et autochtones parce qu'il rejette l'injustice coloniale, l'exploitation débridée du travail privé de tout droits et les guerres d'agression et d'occupation à l'étranger, tout cela au nom de grands idéaux de paix, de démocratie et de liberté.

La délibération ne peut avoir lieu tant qu'il y a un exécutif qui détient le pouvoir de décision, comme au Canada, qui suit une politique d'apaisement envers les États-Unis, la nation indispensable qui possèdent des armes nucléaires et toute une bureaucratie construite autour de cela, y compris les élections. Le Canada est intégré à la machine de guerre des États-Unis. Le Conseil atlantique de l'OTAN dicte la marche du gouvernement et du parlement et a même pris le contrôle de la « sécurité » et de la surveillance des élections. Cette situation exclut de facto l'idée de délibérations politiques sur la guerre et la paix, le crime et la punition, le commerce international et l'économie nationale. Tout est centré sur les dirigeants et leur manière de voir le monde, et non sur la manière de voir et les préoccupations du peuple.

Un gouvernement antiguerre a un but politique et est soutenu par la politique, par l'information et la politisation du peuple pour qu'il soit celui qui décide. Nous, le peuple, ne voulons pas détruire ces immenses forces productives humaines que la classe ouvrière a produites. Nous voulons que la classe ouvrière les contrôle, afin de libérer cette personnalité démocratique du Nouveau. C'est là l'exigence de notre époque pour ouvrir la voie du progrès et humaniser l'environnement naturel et social.

Dans cet arrangement, le peuple est invité à faire autre chose que d'essayer de se saisir lui-même du pouvoir. À l'ouverture de la 43e législature, on lui demande d'examiner attentivement le discours du Trône et de spéculer sur ce qu'il peut attendre du gouvernement. À d'autres moments, on lui dit que l'« autre chose » à faire est de s'assurer que les actions du gouvernement ne violent pas la Charte des droits et libertés enchâssée dans la Constitution. Au lieu de s'investir du pouvoir et de s'organiser pour qu'il se saisisse lui-même du pouvoir politique, le rôle du peuple est réduit à former des coalitions et à militer pour le meilleur « new deal vert » surgi d'on ne sait où. Pour surmonter les problèmes auxquels le pays est confronté il suffirait de faire un choix entre les pipelines et l'environnement ou entre la croissance économique et la protection de l'environnement ou d'approuver un nouvel accord avec les États-Unis et le Mexique qui promet de défendre les « valeurs canadiennes ». Et pour lutter pour ces « valeurs » à l'échelle mondiale, le peuple est encouragé à appuyer la participation croissante du Canada aux guerres d'agression dirigées par l'OTAN et les États-Unis sous le prétexte que ces guerres, cette ingérence dans les affaires souveraines d'autres pays et le changement de régime par la violence ramèneront ces peuples à la raison et les convaincront d'adopter les « valeurs canadiennes ».

Le discours du Trône fait partie d'un processus politique en proie à une crise de légitimité. Son objectif est de donner une légitimité à un processus politique qui n'en offre aucune possibilité et qui a besoin d'un renouveau démocratique complet. Le processus politique existant ne sert qu'à consolider un pouvoir absolu sur le peuple qui est privé de pouvoir. L'époque exige que le peuple s'investisse du pouvoir pour bâtir le Nouveau !


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 34 - 7 décembre 2019

Lien de l'article:
L'avilissement du discours politique et la destruction de la politique - Anna Di Carlo


    

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