Le remède à la dépolitisation est de parler en notre propre nom

Le discours du Trône rappelle à quel point les institutions démocratiques du Canada sont dépassées et en mal de renouveau. Il est lu à partir du trône d'un monarque condescendant représenté par la gouverneure générale, un poste colonial anachronique qui représente la reine d'Angleterre, qui est toujours officiellement le chef de l'État au Canada. Bien sûr, tout cela est dans la forme, mais la raison pour laquelle cette forme est conservée est qu'elle permet de cacher qu'aujourd'hui la prérogative royale est exercée par le biais des pouvoirs du premier ministre tandis que le véritable pouvoir de décision appartient à l'oligarchie financière. Le peuple n'est le décideur souverain ni dans la forme, ni dans le contenu.

La réalité de qui décide se reflète dans le discours du Trône prononcé le 5 décembre au nom du gouvernement minoritaire libéral issu de l'élection du 21 octobre. Le discours donne les grandes orientations du nouveau gouvernement pour la session parlementaire qui s'amorce, mais il n'exprime aucune conscience du fait que les Canadiens ont refusé de donner à ce gouvernement le mandat de faire ce qu'il veut et surtout de continuer de faire ce que les libéraux font depuis quatre ans. Pour chaque mesure présentée, il est dit que « le gouvernement continuera » de faire ceci et cela. L'expression « le gouvernement continuera » est répétée 19 fois. La question de savoir comment ce gouvernement minoritaire, dirigé par un parti qui a recueilli moins de 35 % des suffrages exprimés, fera en sorte que les mesures qu'il prend et l'orientation qu'il donne à l'économie et au pays représentent ce que les Canadiens veulent n'est pas abordée dans le discours.

Le gouvernement affirme que l'élection du 21 octobre a donné aux partis cartels « un mandat du peuple canadien », qui est de « lutter contre les changements climatiques, renforcer la classe moyenne, parcourir le chemin de la réconciliation, assurer la santé et la sécurité des Canadiens et placer le Canada en position favorable pour assurer sa réussite dans un monde incertain ».

Aucune des mesures annoncées dans le discours ne répond aux demandes que les travailleurs, les jeunes, les femmes et les peuples autochtones formulent par milliers dans des manifestations et autres actions à travers le Canada. Dans la tradition parlementaire canadienne, le discours du Trône s'adresse en réalité aux autres partis au Parlement et aux différentes sections de l'élite dirigeante qu'ils représentent. Il les appelle à s'entendre pour assurer le maintien de leur contrôle sur le pouvoir et les ressources au service des intérêts privés qu'ils représentent. C'est la caractéristique principale du discours du Trône du gouvernement minoritaire de Justin Trudeau.

Le discours du Trône n'a pas besoin d'être voté, car il ne fait qu'exprimer les intentions du gouvernement dans leurs grandes lignes. Selon certaines sources, le gouvernement Trudeau pourrait soumettre ce discours-ci à un vote afin de cimenter une sorte d'alignement avec le NPD et le Bloc québécois pour empêcher une élection qui favoriserait vraisemblablement les conservateurs. Quoi qu'il en soit, un premier vote de confiance est attendu dans la première semaine sur un projet de loi de financement qui permet la poursuite des opérations du gouvernement.

Le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet a immédiatement annoncé que s'il y a un vote, le Bloc votera du côté du gouvernement parce que, dit-il, « les mots sont vagues sur les sujets délicats », ce qui fait que « nous on va en faire ce qu'on veut ». Plus précisément, il a noté que le discours du Trône ne fait aucune mention de projets pétroliers ou d'oléoducs, ce qui aurait peut-être empêché le Bloc de l'appuyer. « Le gouvernement sait très bien sur quoi on va s'accrocher », a-t-il affirmé.

Le chef du NPD Jagmeet Singh a déclaré que bien que les mesures annoncées dans le discours du Trône « soient insuffisantes », le NPD ne ferme pas la porte à son soutien si le gouvernement « promet plus ». « Nous devons parler, nous avons besoin d'engagements plus fermes, nous avons besoin d'une action concrète pour faire face aux problèmes urgents auxquels les Canadiens sont confrontés », a-t-il déclaré.

Voici certains aspects spécifiques du discours pour permettre au Bloc et au NPD d'appuyer le gouvernement minoritaire lors des principaux votes de confiance :

- Aucune mention du pétrole et des pipelines. Le scénario d'une grande opposition entre ceux qui sont « contre » et ceux qui sont « pour » les oléoducs prend des proportions absurdes, où même la mention du mot est une raison de voter pour ou contre l'agenda du gouvernement. Cela est lié aux tentatives de diviser le corps politique en présentant une caricature dans laquelle les travailleurs des provinces de l'Ouest veulent des oléoducs et rien d'autre tandis que ceux du reste du pays ne supportent pas l'idée.

- La mention de mesures spécifiques suggérées ou précédemment défendues par les autres partis cartels, telles qu'« une réduction d'impôt pour la classe moyenne et ceux qui en ont le plus besoin » et un régime d'assurance-médicaments « afin que les Canadiens puissent avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin », un élément que le NPD réclame déjà et au sujet duquel le Québec est ouvert puisqu'il a déjà un régime d'assurance-médicaments.

- La mention de mesures très générales et vagues sur lesquelles tout le monde s'accordera, telles que : « un plan concret de lutte contre les changements climatiques » ; une « réduction de la violence armée » en interdisant les armes d'assaut de type militaire et en mettant sur pied un programme de rachats (« les municipalités et les communautés qui veulent interdire les armes de poing pourront le faire ») ; « le dialogue et la coopération » avec toutes les régions du pays ; un engagement à travailler avec les autres partis et gouvernements pour élaborer un plan d'action nationale et une « stratégie contre la violence fondée sur le sexe » ; et la réconciliation avec les peuples autochtones comme « priorité essentielle de ce gouvernement » qui « continuera d'avancer en tant que partenaire sur le chemin de la réconciliation ».

Il est clair que les libéraux ont déjà déterminé ce que les Canadiens veulent et n'ont donc pas besoin d'écouter les revendications et demandes formulées par les travailleurs, les jeunes, les femmes, les autochtones et d'autres qui se battent contre l'offensive antisociale ou qui réclament leurs droits. Ils vont donc continuer de faire ce qu'ils ont fait durant leur premier mandat. Ils vont continuer de payer les riches et d'exécuter les budgets conçus par les plus hauts échelons de l'oligarchie financière. Ils vont continuer de gouverner en toute impunité tout en jurant défendre les peuples autochtones et les travailleurs en leur promettant des réductions d'impôt. Le gouvernement libéral a déjà clairement indiqué par ses déclarations irresponsables saluant le coup d'État meurtrier en Bolivie qu'il continuerait de s'ingérer dans les affaires intérieures des nations souveraines pour parvenir à un changement de régime en faveur des intérêts impérialistes américains.

En d'autres termes, le discours du Trône confirme que les travailleurs et tous les Canadiens, Québécois et peuples autochtones doivent continuer de s'organiser pour parler en leur propre nom, exprimer leurs revendications et leurs préoccupations et indiquer clairement que ni le gouvernement minoritaire ni une coalition de partis cartels à la Chambre des communes n'a le mandat de parler et d'agir en leur nom.


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 34 - 7 décembre 2019

Lien de l'article:
Le remède à la dépolitisation est de parler en notre propre nom - Yvon Breton


    

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