Le syndrome de La Havane: une explication scientifique


Le Dr Alon Friedman s'adresse à la conférence le 1er novembre 2019.

Vertiges, vision trouble, perte de mémoire, problèmes de concentration ... Un problème grave semblait toucher les diplomates américains postés à La Havane à la fin de 2016 et de 2017. Mais quoi ? Et qui - ou quoi - était responsable ?

La nouvelle administration Trump, sans preuve, a blâmé le gouvernement cubain et laissé entendre que le personnel diplomatique américain avait été la cible « d'attaques sonores » utilisant une arme secrète inconnue.

C'était la première des nombreuses théories avancées pour expliquer ce qui se passait - de l'hystérie de masse à chant du grillon à queue courte des Antilles. La plupart ont été démystifiées ; rien n'a été prouvé.

Mais les diplomates américains n'étaient pas les seuls à signaler les symptômes. Certains diplomates canadiens se sont également plaints et, au printemps 2018, Affaires mondiales Canada a chargé le Centre de traitement des lésions cérébrales de l'Université Dalhousie à Halifax de mener une enquête et de faire rapport.

Le 1er novembre 2019, le Dr Alon Friedman, chercheur principal du Centre de recherche sur le traitement des lésions cérébrales pour le projet, a présenté ses conclusions au symposium universitaire international de trois jours intitulé « La révolution cubaine, 60 ans après » à Halifax.

L'équipe de Dalhousie comprenant 15 chercheurs principaux et leurs équipes a commencé par essayer de reproduire les résultats d'une étude préliminaire réalisée par des chercheurs de l'Université de Pennsylvanie. Les chercheurs de l'UPenn avaient rapporté que ce qui était arrivé aux Américains représentait un « nouveau syndrome qui ressemble à une commotion cérébrale persistante », mais ils étaient incapables d'en identifier la cause.

Les chercheurs de Halifax voulaient passer à l'étape suivante et déterminer la cause réelle des symptômes.

Ils ont commencé par tester les diplomates canadiens qui avaient signalé les symptômes en utilisant une approche multidisciplinaire pour étudier les lésions cérébrales, y compris de nouvelles méthodes d'analyse du cerveau. Peut-être ce qui est le plus important est qu'ils ont également procédé au cours de leurs études à des analyses du cerveau de huit autres diplomates avant et après être entrés en poste à La Havane.

Tous ceux qui avaient séjourné à La Havane présentaient des lésions similaires dans des régions définies du cerveau, associées à la consolidation de la mémoire, à la concentration et au cycle sommeil-éveil.

Le Dr Friedman, un médecin formé en Israël et titulaire d'un doctorat en neuroscience, a reconnu ce qu'il voyait sur les scans de ses propres recherches 30 ans auparavant. « Il existe des types très spécifiques de toxines qui affectent ces régions du cerveau », explique-t-il. Ceux-ci incluaient des insecticides, en particulier des pesticides organophosphatés ainsi que d'autres organophosphorés - des neurotoxines qui agissent en inhibant l'action de la cholinestérase, une enzyme essentielle au bon fonctionnement du système nerveux.

Mais cela a soulevé une question fondamentale. Comment les diplomates ont-ils été en contact avec ces neurotoxines ?

Alors qu'il y avait des explications potentiellement néfastes - une attaque au gaz sarin dans un métro de Tokyo en 1995, l'empoisonnement du demi-frère du dirigeant coréen Kim Jong-Un en 2017, dans les deux cas une exposition unique à forte dose -, cela n'expliquait pas ce qui s'était produit à La Havane.

« C'est comme une enquête médico-légale », a rappelé le Dr Freidman. Les chercheurs ont exploré diverses pistes d'explications potentielles, les ont mises à l'épreuve et ont constaté leur faiblesse.

« Avec l'aide du Dr. Google », a-t-il dit à la blague, ils ont fini par faire les liens qui les ont menés à une campagne très annoncée de fumigation de masse lancée par le gouvernement cubain en 2016 pour lutter contre une importante épidémie de virus Zika transmis par les moustiques dans les Amériques, y compris dans les Caraïbes.

L'analyse toxicologique des victimes canadiennes a confirmé la présence de pyréthrinoïde et d'organophosphate, deux composés entrant dans la composition des produits de fumigation que les Cubains avaient pulvérisés.

En utilisant les registres de l'ambassade du Canada, les chercheurs ont également découvert que des pulvérisations avaient été effectuées à l'intérieur et à l'extérieur de leurs résidences. Les installations ont été pulvérisées beaucoup plus souvent que prévu - parfois toutes les deux semaines. Les chercheurs ont également constaté une corrélation entre le nombre de fumigations effectuées chez un diplomate et la gravité des symptômes rapportés.

Ce qui a amené les chercheurs à leur hypothèse de travail. « Notre rapport indique des preuves cliniques, biochimiques et d'imagerie compatibles avec l'hypothèse d'une surexposition aux inhibiteurs de la cholinestérase en tant que cause de lésion cérébrale », a conclu l'étude.

Ce n'est pas la fin, bien sûr. D'autres recherches doivent être menées, notamment pour mieux comprendre les niveaux de danger des différentes toxines. Bien entendu, le problème de santé publique persiste. Qui d'autre aurait pu être touché ? Pensons notamment aux citoyens cubains travaillant dans les ambassades, vivant dans les mêmes quartiers ou impliqués dans la pulvérisation.

La bonne nouvelle est que le Dr. Friedman a rencontré des professionnels de la santé cubains et ils travaillent actuellement ensemble pour déterminer les prochaines étapes de la recherche.

(Cuba60.ca. Photo : D. Salas)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 29 - 13 novembre 2019

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