Des négociateurs de premier plan remémorent les efforts de normalisation des relations entre les États-Unis et Cuba
Jeffrey DeLaurentis, qui a été ambassadeur des
États-Unis à Cuba sous l'administration Obama, a
participé de près au processus de deux ans qui a
temporairement conduit à la normalisation des
relations entre les États-Unis et Cuba sous cette
administration. Il a présenté ses réflexions
personnelles sur cette expérience dans un discours
à la conférence « La révolution cubaine à 60
ans » à Halifax. Il a rappelé qu'au début de
l'après-midi du 16 juin 2017, il était
assis dans son bureau à La Havane à regarder la
télévision lorsqu'il a vu le président récemment
élu, Donald Trump, déchirer ce qu'il a appelé
l'accord « terrible et erroné avec le régime de
Castro » conclu par l'administration Obama.
DeLaurentis se souvient d'avoir « regardé
s'évanouir tout notre dur travail. Et je savais au
fond de moi que les choses allaient
s'aggraver ».
Vingt et un
jours après le discours de Trump à Miami,
DeLaurentis a quitté Cuba. Alors qu'il traversait
une haie d'honneur formée du personnel de
l'ambassade, il se rappelle s'être effondré en
larmes « après la première poignée de main ».
Tout en reconnaissant que ce n'était pas « très
diplomatique » de sa part, il note qu'après
six mois de surveillance stoïque du nouveau
gouvernement américain qui inversait radicalement
le cours des relations avec Cuba, « je ne pouvais
plus retenir ma réaction ».
Beaucoup de choses se sont produites depuis
le 17 décembre 2014, lorsque DeLaurentis
a annoncé aux 50 membres du personnel de
l'ambassade qu'après 18 mois de négociations
secrètes, Washington et La Havane avaient convenu
d'essayer de développer une nouvelle relation
moins hostile entre eux. « Les applaudissements ce
jour-là, dit-il maintenant, étaient
assourdissants. »
Le périple personnel de DeLaurentis remonte à
encore plus loin, lui qui était arrivé à Cuba pour
sa première de trois missions en 1991,
estimant au début que la politique américaine «
d'isolement et de pression » conduirait au «
résultat souhaité » pour se rendre compte
rapidement que cette politique n'était pas dans
l'intérêt à long terme des États-Unis.
Il a dit à son auditoire d'Halifax que bien que
la relation entre les États-Unis et Cuba est
maintenant « tombée » à « son point le plus
bas depuis des décennies » et que les choses
vont probablement s'aggraver encore alors que Cuba
devient une fois de plus un enjeu électoral pour
Trump, il demeure optimiste pour le long terme, en
partie à cause des « vrais dialogues » qui
ont commencé en 2015-2016. « Bien que nous ne
soyons pas allés assez loin pour que les
changements soient permanents, nous avons créé les
conditions pour revenir à la table », a-t-il
dit.
Josefina Vidal, la principale négociatrice de
Cuba à l'époque et maintenant ambassadrice de Cuba
au Canada, a présenté dans son exposé « des
réflexions personnelles sur le processus de
rapprochement qui s'est déroulé entre la fin
de 2014 et le début de 2017 ». Elle
a dit à la Conférence qu'elle avait consacré plus
de 25 ans de sa vie professionnelle aux
relations américano-cubaines et que ce qui s'était
passé pendant cette brève période était « la seule
chose entièrement différente qui se soit produite
dans nos relations bilatérales depuis 60
ans ».
Elle a
rappelé qu'en 2015, au début des
négociations, un intervieweur lui avait demandé si
le processus de rapprochement en cours pouvait
toujours être inversé. « Ma réponse a alors été de
dire que 'bien sûr, c'est possible', a-t-elle dit.
« Et les événements récents l'ont prouvé,
malheureusement », a-t-elle ajouté. Elle a
dit que « les différences profondes qui existent
entre nous subsisteront et la normalisation des
relations avec les États-Unis sera toujours un
processus complexe et prolongé que peut-être nous
n'allons jamais réaliser complètement ».
Néanmoins, elle croit toujours qu'« il est
possible de développer une coexistence civilisée
entre les deux pays ».
Les relations se sont améliorées à ce moment-là,
explique-t-elle, parce que le gouvernement Obama «
a finalement reconnu la légitimité du gouvernement
cubain et de sa direction historique », sans
imposer de conditions à Cuba ni exiger de
concessions sur le plan de sa politique intérieure
et étrangère et en traitant Cuba en égal. Bien que
les États-Unis n'aient pas renoncé à leur désir
d'imposer leur volonté à Cuba, « des négociations
et des dialogues ont été organisés sur la base du
respect et de la réciprocité. Les deux parties ont
engagé les négociations dans un esprit
constructif, prêtes à trouver des solutions aux
problèmes en suspens et à identifier les domaines
d'intérêt commun où les deux pays pourraient
coopérer pour l'avantage réciproque. »
Bien sûr, l'éléphant dans la salle des
négociations était le blocus en vigueur depuis
presque 60 ans, qui ne pouvait être levé que
par le Congrès américain. « Je dois vous rappeler,
a dit l'ambassadrice, que la levée totale des
mesures unilatérales américaines de coercition
économique a précédé des processus similaires avec
d'autres pays. »
Cuba, a-t-elle dit, reconnaît « de manière
réaliste » le rôle du Congrès dans la levée
du blocus, mais comprend également « le large
usage que le président peut faire de ses
prérogatives pour assouplir la mise en oeuvre de
l'embargo. Nous avons toujours insisté sur ce
point. »
Ce que les deux pays ont réalisé en deux ans à
peine, a-t-elle dit, n'était pas sans importance
et montrait qu'« un nouveau type de relation basé
sur le respect et l'égalité était possible ».
Il restait encore beaucoup à faire pour améliorer
ces relations, a-t-elle ajouté, lorsque Donald
Trump est arrivé. Tout comme l'administration
Obama a utilisé ses pouvoirs exécutifs pour
améliorer les relations, l'administration Trump «
a pratiquement tout démantelé ce qui avait été
fait sous l'administration Obama. [...] Trump est
même allé plus loin en mettant en oeuvre des
mesures sans précédent par leur niveau
d'agressivité et leur portée », y compris
l'activation du titre III de la Loi
Helms-Burton et même la tentative de couper
l'approvisionnement en carburant de Cuba.
Aujourd'hui, souligne-t-elle, l'ambassade des
États-Unis à La Havane est « pratiquement
inopérante » et « il n'y a pas de contacts
officiels sinon à un très bas niveau, même pour
traiter de questions de la plus haute
priorité ».
Malgré tout, Joséfina Vidal dit qu'elle voit
l'avenir « avec sérénité et toujours avec
optimisme, j'oserais dire. [...] Comme l'a
récemment déclaré le ministre cubain des Affaires
étrangères, nous espérons qu'il s'agira d'une
situation temporaire. »
Bien que les deux parties devront finalement
travailler à « restaurer et récupérer de
nombreuses choses démantelées par le gouvernement
américain actuel », Mme Vidal affirme que
même cela ne suffira pas. « Le revers actuel
confirme une nouvelle fois que la volonté et les
pouvoirs exécutifs du président américain ne
suffisent pas ; pour assurer
l'irréversibilité à long terme d'une amélioration
des relations, des changements plus profonds sont
nécessaires dans le contexte politique américain,
y compris dans les lois sur l'embargo . »
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 29 - 13 novembre 2019
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