Les tentatives futiles et sans fin de nier le droit à l'existence des Palestiniens

Kushner comme administrateur colonial: parlons du «modèle israélien»

Dans une entrevue télévisée du 2 juin à l'émission d'actualité de la série documentaire « Axios » de la chaîne HBO, Jared Kushner s'est ouvert sur de nombreuses questions, en particulier sur son « accord du siècle ».

La révélation majeure qu'a faite Kushner, le conseiller et gendre du président Donald Trump, n'avait rien de surprenant. Kushner pense que les Palestiniens ne sont pas capables de se gouverner eux-mêmes.

Pas surprenant, parce que Kushner pense qu'il est capable de régler l'avenir du peuple palestinien sans inclure la direction palestinienne. Il n'a cessé de promouvoir son soi-disant « accord du siècle » en incluant dans diverses rencontres et conférences des pays comme la Pologne, le Brésil et la Croatie, mais pas la Palestine.

C'est effectivement ce qui s'est produit à la conférence de Varsovie sur la « paix et la sécurité » au Moyen-Orient [les 13 et 14 février]. La même comédie, également dirigée par Kushner, devrait être servie au Bahreïn le 25 juin.

Beaucoup a été dit sur le racisme insidieux des propos de Kushner, infestés de la puanteur des vieux discours coloniaux où les indigènes étaient considérés comme des êtres inférieurs, incapables de penser de manière rationnelle, des êtres qui avaient besoin des « blancs » civilisés de l'hémisphère occidental pour les aider à surmonter leur retard et leur incompétence inhérente.

Kushner, dont les qualifications reposent simplement sur ses liens familiaux avec Trump et l'amitié familiale avec le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est maintenant sur le point de devenir un de ces administrateurs coloniaux d'autrefois, qui régnaient en roi et maître tandis que les malheureux indigènes n'avaient qu'à s'y faire ou être punis.

Ce n'est pas une exagération. En fait, selon des informations fuitées au sujet de cet « accord du siècle » de Kushner, et publiées dans le quotidien israélien Israel Hayom, si des groupes palestiniens refusent d'accepter les diktats américano-israéliens, « les États-Unis annuleront tout soutien financier aux Palestiniens et feront en sorte qu'aucun pays ne leur transfère des fonds ».

Dans l'interview de HBO, Kushner a offert aux Palestiniens une bouée de sauvetage. Ils seraient jugés aptes à se gouverner eux-mêmes à condition d'atteindre les objectifs suivants : « un système juridique équitable, la liberté de presse, la liberté d'expression et la tolérance envers toutes les religions ».

Le fait que la Palestine soit un pays occupé, assujetti à tous les niveaux à la loi militaire israélienne, et qu'Israël n'a jamais rendu de comptes pour son occupation de 52 années ne semble pas du tout pertinent pour Kushner.


Marche du 28 mars 2019 à Gaza, en préparation de la célébration de la Journée de la terre et du premier anniversaire de la Grande Marche du retour

Au contraire, ce qui sous-tend le propos de Kushner dans cette entrevue est qu'Israël est l'antithèse de l'échec indéniable de la Palestine. Contrairement à la Palestine, Israël n'est pas tenue de prouver sa capacité d'être une partenaire de paix digne de confiance.

S'il est vrai que la notion du « préjugé américain envers Israël » est aussi vieille que l'État d'Israël lui-même, ce qui n'est pas ou peu discuté est le fondement de ce préjugé, l'opinion résolument condescendante, paternaliste et souvent raciste qu'entretiennent les classes politiques américaines envers les Palestiniens — et envers tous les Arabes et musulmans, pour tout dire — et l'engouement total pour Israël, qui est souvent citée comme un exemple de démocratie, de transparence juridique et de tactiques « anti-terreur » réussies.

Selon Kushner, un « système juridique équitable » est la condition sine qua non pour déterminer la capacité d'un pays de se gouverner lui-même. Mais le système juridique d'Israël, lui, est-il « équitable » et « démocratique » ?

Israël n'a pas un mais bien deux systèmes juridiques. En fait, cette dualité est une caractéristique des tribunaux israéliens depuis l'origine même d'Israël en 1948. Ce système d'apartheid de facto repose sur une distinction entre Juifs et Arabes, ce qui est vrai pour le droit civil et le droit criminel.

« Le droit criminel s'applique séparément et inégalement en Cisjordanie, uniquement sur la base de la nationalité (Israélien et Palestinien), et il reste habilement et vaguement conforme à certains aspects du droit international afin de préserver et de développer son entreprise de colonie (juive illégale) », explique l'intellectuelle israélienne Emily Omer-Man, dans son essai « Séparés et inégaux ».

En pratique, un Palestinien et un Israélien qui commettent exactement le même crime seront jugés en vertu de deux systèmes distincts, avec deux procédures distinctes : « Le colon aura un procès en vertu du code pénal israélien tandis que le Palestinien aura un procès en vertu de l'ordre militaire. »

Cette iniquité fait partie intégrante d'un appareil juridique foncièrement injuste qu'est le système juridique israélien depuis ses débuts. Prenons l'exemple des mesures de détention administrative. Les Palestiniens peuvent être détenus sans procès et sans aucune justification juridique officielle. Des dizaines de milliers de Palestiniens ont été assujettis à cette « loi » antidémocratique et des centaines d'entre eux sont actuellement détenus dans des prisons israéliennes.

Il est ironique que Kushner ait soulevé la question de la liberté de presse, puisqu'Israël est spécifiquement pointé du doigt pour son bilan lamentable à ce sujet. Israël aurait violenté 811 journalistes palestiniens depuis le début de la « Marche du Retour » à Gaza en mars 2018. Deux journalistes — Yaser Murtaja et Ahmed Abu Hussein — ont été tués et 155 ont été blessés par des tireurs d'élite israéliens.

Comme pour le système juridique israélien déséquilibré, les attaques contre la presse font aussi partie d'un modus operandi de longue date. Selon un communiqué de presse émis par le Syndicat des journalistes palestiniens en mai dernier, Israël a tué 102 journalistes palestiniens depuis 1972.

Le fait que des intellectuels, poètes et activistes palestiniens aient été incarcérés pour leurs publications sur Facebook et d'autres médias sociaux en dit long sur les limites imposées par Israël à la liberté de presse et d'expression.

Il faut aussi mentionner qu'en juin 2018, la Knesset israélienne a adopté une loi qui interdit de filmer des soldats israéliens, ce qui vise à dissimuler leurs crimes et à les protéger de toute éventuelle responsabilité juridique.

Pour ce qui est de la liberté de religion, en dépit de ses nombreuses lacunes, l'Autorité palestinienne n'exerce pas de discrimination contre les minorités religieuses. On ne peut en dire autant d' Israël.

Bien que la discrimination contre les non-Juifs en Israël ait été la raison d'être de l'idée même d'Israël, la Loi de l'État-nation de juillet 2018 vient cimenter davantage la supériorité des Juifs et le statut inférieur de tous les autres.

En vertu de la nouvelle Loi fondamentale, Israël est uniquement « le foyer national du peuple juif » et « le droit d'exercer l'auto-détermination nationale appartient au seul peuple juif ».

Inutile de faire la morale aux Palestiniens sur comment être à la hauteur des attentes israéliennes et américaines, car ils ne chercheront jamais à émuler le modèle non démocratique israélien. Ce dont ils ont besoin, de manière urgente, c'est de la solidarité internationale qui les aide à remporter leur lutte contre l'occupation, le racisme et l'apartheid israéliens.

Ramzy Baroud est un journaliste, auteur et rédacteur de Palestine Chronicle. Son dernier livre est The last earth : A Palestinian Story (Pluto Presse, Londres, 2018).

(Palestine Chronicle, 12 juin 2019. Traduction : LML)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 24 - 22 juin 2019

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Les tentatives futiles et sans fin de nier le droit à l'existence des Palestiniens: Kushner comme administrateur colonial: parlons du «modèle israélien» - Ramzy Baroud


    

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