Résistance héroïque au Honduras

Dix ans après le coup d'État de 2009


Tegucigalpa, Honduras, 28 mai 2019

Le 28 juin, dix années se seront écoulées depuis que le président élu du Honduras, Manuel (Mel) Zelaya, a été kidnappé, démis de ses fonctions et sorti du Honduras dans un coup d'État militaire orchestré par les États-Unis. Zelaya a déclaré que la principale motivation du coup était la signature par son gouvernement de l'Alliance bolivarienne des peuples de Notre Amérique (ALBA) en 2008, ce que les États-Unis ne pouvaient tolérer. L'ALBA avait été fondée quatre ans plus tôt par le Venezuela et Cuba comme une alternative à la Zone de libre-échange des Amériques que cherchaient à imposer à l’époque par les États-Unis. Les forces du coup ont installé leur propre président « de facto ». Quelques mois plus tard, dans des élections frauduleuses qui ont été boycottées par la majorité des Honduriens et qui se sont tenues dans les conditions de la terreur d'État visant à étouffer la résistance au coup, un représentant du Parti national à qui les États-Unis ont confié la tâche de mettre en oeuvre leur ordre du jour néolibéral au pays a accédé au pouvoir. Deux coups électoraux ont suivi – en 2013 et en 2016 – et le président actuel, Juan Orlando Hernandez, du même parti, a à son tour accédé au pouvoir pour un deuxième mandat illégal. En dépit de nombreuses preuves de fraude, surtout au cours des élections de novembre 2017, les résultats ont rapidement été reconnus par les États-Unis et le Canada, ce qui a une fois de plus empêché le peuple hondurien d'élire un gouvernement de son choix et imposé plutôt un gouvernement dominé par des intérêts étrangers, surtout américains, dont le seul objectif est de piller les ressources naturelles et humaines du pays et de s'en servir comme base militaire stratégique pour menacer et mener des agressions contre les nations souveraines et les peuples de la région.

Malgré la perfidie des dix dernières années, le peuple du Honduras n'a jamais accepté le sort que lui a imposé l'oligarchie pourrie de son pays et les maîtres étrangers qu'elle sert. Les forces du peuple se sont immédiatement mobilisées et se sont organisées en opposition au coup et n'ont pas ralenti depuis, affirmant avec force leurs droits dans des circonstances extrêmement difficiles depuis ce temps, confrontées à une décennie de détérioration de leurs conditions de vie – 65% de la population vivant à présent dans la pauvreté et 40% dans l'extrême pauvreté, la violation systématique des droits humains, l'insécurité engendrée par la terreur d'assassinats ciblés et aléatoires – de militarisation de leur pays et de répression violente pour avoir osé s'opposer au dictat néolibéral des gouvernements du coup.

Les dix dernières années ont également vu la concession de territoires à des sociétés minières étrangères, la concession de rivières pour des projets extractifs et hydroélectriques à capitaux nationaux et étrangers, l'expulsion du peuple autochtone Garifuna de ses terres ancestrales pour ouvrir de nouvelles zones sur la côte caraïbe pour le marché du tourisme, la faillite des entreprises d’État et leur privatisation ultérieure (téléphonie, électricité, eau, ports et aéroports, hôpitaux et cliniques, les groupes bancaires rachetant bon nombre des anciens établissements de soins de santé publics). Avec l'accord de libre-échange que le Canada a signé avec le Honduras en 2012, les entreprises canadiennes figurent parmi celles qui ont tiré profit de cet agenda facilité par les coups d'État successifs.

Le cri de rassemblement qui a fini, après l'élection volée de 2017, par symboliser le rejet de tout cela et la détermination du peuple à se débarrasser d'un président illégitime qui y a présidé est « Fuera JOH ! » (Juan Orlando Hernandez, dehors !).

À l'approche du dixième anniversaire du coup d'État, la résistance du peuple et sa lutte pour ses droits démocratiques ont pris de l'ampleur et de nouvelles dimensions importantes. L'une des formes que cela prend est une vigoureuse lutte des médecins et des enseignants pour défendre le droit des citoyens à la santé et à l'éducation. Depuis près de deux mois maintenant, les syndicats représentant les médecins et les enseignants travaillant dans les systèmes de santé et d'éducation publiques, organisés sous le nom de Plate-forme de défense de la santé et de l'éducation publiques, se sont engagés dans une grève nationale pour s'opposer aux décrets promulgués par le gouvernement pour « la restructuration et la transformation » des systèmes nationaux de santé et d’éducation, c'est-à-dire leur privatisation.

Les enseignants et les médecins ont été rejoints dans les rues et en dehors des écoles du pays par des étudiants, des parents, des enseignants d'école privée, des infirmières et d'autres personnels hospitaliers, des chauffeurs de taxi, des chauffeurs de camion et bien d'autres pour demander au gouvernement de répondre à leurs préoccupations. Au cours de la semaine écoulée, le pays a été paralysé, des routes ont été bloquées et les transports et le commerce de tous types ont été arrêtés. La réponse du gouvernement a été d’ordonner à la police, et de plus en plus à l’armée, d’attaquer les manifestants avec des gaz lacrymogènes et de tirer à balles réelles sur les gens pour les forcer à se disperser. Plusieurs jeunes seraient morts des suites de blessures par balle et plus de 20 autres auraient été blessés depuis le début de la grève. La persécution des dirigeants du mouvement a augmenté avec Twitter et Facebook, fermant des comptes et propageant des mensonges sur l'endroit où ils se trouvaient, de manière à désorienter le mouvement de résistance qui prend de l'ampleur.

Tout en continuant de faire valoir leurs revendications au moyen de la grève, les organisateurs du Programme ont hissé leur lutte politique à la défense de la santé et de l'éducation publics à un niveau supérieur. Le 18 juin, ils ont convoqué la session inaugurale du Dialogue citoyen alternatif sur la santé et l'éducation publics non seulement pour que puissent y participer les professionnels de l'enseignement et de la médecine, mais aussi les étudiants, les parents, les patients et les membres de la communauté en général pour qu'eux aussi participent à la discussion et à l'élaboration d'un projet global visant à améliorer les systèmes de santé et d'éducation nationaux qui à leurs yeux sont mal financés et qu'on a laissé se détériorer de façon déplorable. Des centaines de personnes se sont présentées au Collège médical du Honduras où l'événement a eu lieu. Les organisateurs considèrent que cela a été un succès retentissant. Parmi la foule d'invités, on comptait des experts nationaux et internationaux, des diplomates et deux vice-ministres envoyés par le gouvernement, ainsi que des mouvements sociaux de partout au pays. Auparavant, la plate-forme avait rejeté une tentative du gouvernement de scinder leurs rangs en organisant un « dialogue » et en signant un accord avec un groupe de médecins et d'enseignants triés sur le volet, mais non des représentants de ses dirigeants. Lors de la cérémonie inaugurale, la Dre Suyapa Figueroa, président du Collège de médecine et coordinateur de la plate-forme, a déclaré que la lutte des médecins et des enseignants était une lutte du peuple hondurien, née de ses actions visant à revendiquer les soins de santé et l'éducation comme droits fondamentaux, et non comme marchandises, ce qu'elles sont devenues en raison du système corrompu actuel de sous-traitance.


À la session inaugurale du Dialogue citoyen alternatif sur l'éducation et la santé publiques lancé le 18 juin 2019 en opposition au « dialogue » antidémocratique du gouvernement

Les organisateurs du Programme ont aussi annoncé que le Dialogue citoyen alternatif allait se poursuivre au moins au cours des cinq prochaines semaines alors que ses membres comptaient organiser des discussions dans les écoles, les hôpitaux et les cliniques où ils travaillent dans toutes les régions du pays, pour ensuite produire un rapport sur le résultat de ces discussions. Lors de la réunion inaugurale, les organisateurs du Programme ont aussi annoncé neuf revendications. Une de ces revendications est que les organisateurs du Programme doivent être présents dans tout futur dialogue avec le gouvernement et que ce dialogue doit être télédiffusé en direct, par télévision et autres médias. Ils ont aussi exigé que les forces policières et militaires soient immédiatement retirées de ces communautés où elles mènent des actions répressives contre les membres de la communauté qui défendent leur droit à la santé et à l'éducation, et qu'il y ait une enquête impartiale pour identifier les individus responsables de meurtre, d'avoir infligé des blessures et d'avoir causé des dommages, suite aux actions répressives menées par les forces de sécurité de l'État. Les discours de la docteure Figueroa et des autres représentants du Programme ont été ponctués d'acclamations de la salle, dont « Le peuple uni ne sera jamais vaincu ! » et « Fuera JOH ! ».

Le contexte dans lequel tout cela se produit est favorable aux peuples s'ils continuent à s'en tenir à ses demandes justes et s'organise pour les réaliser en s'unissant pour mettre fin à la dictature et à ses projets antinationaaux, en gardant l’initiative. Juan Orlando Hernandez, qui devient de plus en plus impopulaire et doit compter sur les forces répressives sous son commandement et la puissance militaire des États-Unis pour se maintenir au pouvoir, est en train d'être abandonné même par certains de ses partisans traditionnels et par des membres de son Parti national fracturé. Il y a même des spéculations sur un coup d'État contre son parti pour empêcher les forces du peuple de remporter d'importantes victoires et de prendre des mesures révolutionnaires pour revendiquer sa souveraineté et arracher le Honduras des griffes de l'impérialisme. Quoi qu’il en soit, les gens ont appris à se méfier de toute idée que la solution des problèmes proviendrait de toute personne ou de toute force qui ne serait ni sous son contrôle, ni redevable envers lui. Cela lui servira certainement à mesure qu'il poursuit le combat pour s'investir du pouvoir et réaliser son objectif de devenir maîtres de son destin dans un Honduras nouveau et souverain, un Honduras que les Honduriens ne seront plus obligés de fuir comme migrants et réfugiés en quête de sécurité et de possibilité de gagner leur vie, un Honduras qui ne sert plus de base à une agression étrangère dans la région mais contribue à faire de l’Amérique latine et des Caraïbes une zone de paix.

(Photos : T. Diaz Galeas, M.U. Fajarda)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 24 - 22 juin 2019

Lien de l'article:
Résistance héroïque au Honduras: Dix ans après le coup d'État de 2009 - Margaret Villamizar


    

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