L'arrogance de ceux qui contrôlent le pouvoir décisionnel


À Vancouver le 18 juin 2019

« Vendre un pays ! Et pourquoi ne pas vendre alors l'air, les nuages,
la grande mer et même la terre ? Le Grand Esprit ne les a-t-il pas
tous créés pour ses enfants ? »
- Tecumseh

En compagnie de plusieurs de ses collègues du cabinet, dont la ministre de l'Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, le premier ministre Trudeau a publié le 18 juin une déclaration approuvant l'agrandissement de l'oléoduc Trans Mountain (TMX). Il l'a qualifié d'« étape importante sur le chemin de la réconciliation avec les peuples autochtones » et un moyen de « créer de nouveaux emplois, de rejoindre de nouveaux marchés, d'accélérer notre transition écologique, tout en ouvrant de nouvelles voies pour la prospérité économique des peuples autochtones ».

Le premier ministre a déclaré : « Nous avons la responsabilité de veiller à ce que les décisions que nous prenons aujourd'hui nous aident à bâtir une économie plus propre et plus durable. Lorsque nous donnons le feu vert à des grands projets d'exploitation de ressources naturelles, nous devons protéger l'environnement et veiller à ce que les droits des peuples autochtones soient respectés. Le projet TMX est un investissement important pour les Canadiens et pour notre avenir. Il créera des milliers de bons emplois pour la classe moyenne, tout en respectant les normes environnementales les plus strictes. Ce projet financera les solutions d'énergie propre dont le Canada a besoin pour faire concurrence dans l'économie mondiale. »

Pour renforcer l'image du gouvernement Trudeau en tant que gardien socialement responsable de la santé environnementale du pays et du monde, la ministre McKenna avait demandé à la Chambre des communes la veille de voter en faveur d'une motion non contraignante déclarant une urgence nationale liée au climat au Canada, ce que la Chambre a fait par un vote de 186 contre 63. La motion de McKenna demandait à la Chambre de reconnaître que « les changements climatiques constituent une crise réelle et urgente, causée par l'activité humaine » et de déclarer « que le Canada est en situation d'urgence climatique nationale, en réponse à laquelle le Canada doit s'engager à atteindre ses objectifs nationaux en matière d'émissions énoncés dans l'Accord de Paris et à procéder à des réductions plus importantes conformément à l'objectif de l'Accord de maintenir le réchauffement planétaire sous la barre des deux degrés Celsius et de poursuivre les efforts pour demeurer sous la barre du 1,5 degré Celsius. »

Que comprendre de cette motion d'urgence climatique et de l'approbation du TMX ? De grandes entreprises énergétiques vont extraire une ressource non renouvelable de l'Alberta et la vendre à la Trans Mountain Corporation. Celle-ci acheminera le pétrole par un oléoduc jusqu'à la côte ouest et en transférera une partie vers un autre, dans l'État de Washington, et d'autres quantités via des pétroliers vers d'autres parties de la côte ouest des États-Unis et peut-être même en Asie.

Beaucoup de questions se posent. S'agit-il d'une gestion de l'environnement socialement responsable ? D'où provient et où réside le droit de vendre la terre et son pétrole et son gaz non renouvelables ? De nombreux peuples autochtones n'ont pas donné leur consentement au TMX. Les personnes préoccupées par la santé de la Terre Mère dénoncent le TMX, qui ne respecte pas les engagements du Canada en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES).

Environnement et Changement climatique Canada calcule que les émissions de GES provenant de la production et du traitement du pétrole albertain associées à l'expédition de 590 000 barils de pétrole supplémentaires par jour dans le nouveau pipeline produiraient l'équivalent de 13 à 15 mégatonnes (Mt) de dioxyde de carbone par an. Une mégatonne, c'est un million de tonnes métriques. L'évaluation du ministère n'inclut pas les émissions en aval qui proviendront du raffinage du pétrole lourd aux États-Unis ou ailleurs, ni de la combustion lors de l'utilisation finale. Quinze Mt équivalent à ajouter 3 750 000 véhicules de passagers sur les routes canadiennes. Le ministère avait déjà prévu que, dans son scénario de référence, le Canada raterait de 79 Mt son objectif d'émissions de Paris pour 2030, soit de 15 %. Partant des données du ministère, Gordon Laxer calcule dans son rapport Beyond the Bailout qu'« ajouter 13 à 15 Mt supplémentaires aux émissions totales du Canada ferait gagner au Canada trois points de pourcentage, soit 18 % de plus que l'objectif de Paris ».

De nombreux peuples autochtones et leurs organisations n'ont pas consenti au TMX et se sont engagés à s'y opposer de toutes les manières possibles.

Les municipalités de Vancouver et de Burnaby et le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique ne cachent pas leur opposition au TMX.

Le gouvernement Trudeau dit que la construction d'un oléoduc débouchant sur l'océan va accroître les ventes sur les marchés asiatiques, mais il n'en demeure pas moins que le TMX représente une intégration plus poussée de la production canadienne à l'économie de guerre américaine. La côte ouest des États-Unis et les îles du Pacifique sont parsemées de bases militaires et d'installations de production militaires telles que Boeing, qui nécessitent d'énormes quantités de pétrole pour fonctionner. Avec la diminution des réserves de pétrole lourd en Alaska et le boycottage actuel du brut lourd du Venezuela, la côte ouest des États-Unis a besoin du pétrole lourd canadien. Les nombreuses raffineries américaines de la côte ouest sont conçues pour raffiner le pétrole lourd pour produire de l'essence, du carburéacteur et d'autres produits énergétiques, afin de nourrir l'insatiable culture militaire et automobile actuelle.

Les données du projet « Costs of War » de l'Université Brown, qui porte spécifiquement sur les « guerres post-11 septembre » et leur impact sur les émissions de gaz à effet de serre, sont également remarquables en ce qui concerne l'économie de guerre et les guerres incessantes des États-Unis pour détruire des pays qu'ils ne peuvent pas contrôler. Selon les estimations, l'armée américaine aurait été responsable de 1 212 millions de tonnes de gaz à effet de serre entre 2001 et 2017. Les émissions résultant « d'opérations d'urgence à l'étranger » en Afghanistan, au Pakistan, en Irak et en Syrie ont généré plus de 400 millions de tonnes de CO2. Selon le rapport, durant la seule année 2017 « les émissions du Pentagone étaient supérieures à toutes les émissions de la Suède et du Danemark ».[1]

Pour les travailleurs, l'approbation du TMX est assombrie par le manque d'informations et, plus important encore, par l'absence d'une alternative viable pour répondre à leurs préoccupations concernant l'emploi, leur sécurité et leur bien-être et ceux de leurs communautés, en particulier dans les régions productrices d'énergie de l'Alberta. La décision de soutenir ou non l'exportation de bitume est assombrie par l'insécurité du secteur pétrolier et gazier à l'heure actuelle. Ceux qui contrôlent l'économie et les gouvernements n'ont développé aucune économie alternative qui favorise les travailleurs et humanise l'environnement naturel. Cela met les travailleurs dans une situation difficile, voire impossible. La décision de soutenir le TMX et des projets d'énergie carbone similaires devient une forme de chantage.

Les géants de l'énergie et les gouvernements de l'Alberta et du Canada n'ont pas développé d'alternative à la direction actuelle qui porte atteinte à l'environnement et alimente l'économie de guerre américaine. Ils n'ont pas utilisé les revenus de la production passée pour investir dans une économie alternative qui favorise les humains et la Terre Mère. Cela signifie que si les travailleurs des secteurs de l'énergie et de la construction disent non au TMX et à d'autres projets d'énergie au carbone, ils doivent être disposés à se sacrifier pour la santé et le bien-être de l'environnement naturel et être contraints de se débrouiller seuls dans une économie socialisée qu'ils ne contrôlent pas.

Les gouvernements fédéral et albertain n'ont mis en place aucune alternative viable qui favorise les travailleurs et l'environnement et qui fasse du Canada une zone de paix. Procéder à la vente de la terre et de son pétrole dans une situation de guerres et de changements climatiques constants, sans le consentement de ceux qui sont directement touchés, est socialement irresponsable. Cela reflète l'arrogance des intérêts privés étroits qui contrôlent le processus décisionnel. Plus important encore, cela révèle la nécessité d'investir le peuple du pouvoir pour que ce soit lui et non ces intérêts privés étroits qui contrôlent le processus décisionnel. Ceux qui sont actuellement aux commandes peuvent agir en toute impunité, car les institutions démocratiques libérales reposent sur des arrangements qui confèrent le pouvoir de décision à une personne d'État artificielle que le gouvernement représente. Il prétend agir au nom du peuple et dans l'intérêt national, mais le peuple ne décide rien. Il ne décide certainement pas du but de l'économie ou de la société.

Le peuple exerce un contrôle seulement quand il parle en son propre nom, développe son propre matériel de pensée et bâtit ses propres organisations sur cette base. Il n'a pas recours aux institutions démocratiques libérales telles que les partis cartellisés et les assemblées législatives parce que ces institutions ont été accablées par de puissants intérêts privés et que les nouvelles conditions de contrôle qu'ils ont imposées. L'hypocrisie, la duperie, l'intérêt personnel et le privilège de classe sont les principales caractéristiques qui se manifestent quand il s'agit de défendre les intérêts du peuple.

Les Canadiens sont confrontés à la décision à la fois individuelle et collective d'enquêter et d'analyser les conditions concrètes et de lutter pour ce qui est juste dans la situation donnée. L'organisation du peuple dans ses propres institutions pour la défense de ses droits par des actions avec analyse est la façon de s'investir du pouvoir de décider.

L'intégration à l'économie de guerre est un mauvais choix ! Faisons du Canada une zone de paix ! Luttons pour une nouvelle direction prosociale de l'économie !

La destruction de la planète par le pillage socialement irresponsable du pays est un mauvais choix et doit être combattue.

L'approbation de projets sans le consentement des personnes concernées, et des peuples autochtones dans le cas du TMX, est un mauvais choix et doit être combattue.

Le TMX n'est pas dans l'intérêt national ou populaire et doit être opposé !

Opposez-vous à l'hypocrisie et à la prétention de ceux qui disent gouverner au nom du peuple, mais qui agissent au service des riches et maintiennent la division de la société sur une base factionnelle sans rendre de comptes. Organisons-nous pour changer la direction de l'économie et pour réaliser le renouveau démocratique ! Que chacun agisse et parle en son nom !

Note

1. Costs of War, Watson Institute for International and Public Affairs, Brown University, 2011-2019.

(Photos: LML, Vancouver Climage Convergence)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 24 - 22 juin 2019

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