La route vers Berlin
- Stan Winer -
Extrait de If Truth Be Told : Secrecy and
Subversion
in an Age Turned Unheroic
Le débarquement des commandos britanniques à Golden Beach
le
jour J.
Avec l'invasion de la Normandie le jour J le 6 juin 1944, les
termes
de la guerre en France occupée ont clairement cessé
d'être ceux
d'Hitler et sont devenus clairement ceux des Forces
expéditionnaires
alliées. Les forces massées pour franchir la Manche
étaient supérieures
deux fois en hommes, quatre fois en chars et
blindés et six fois en avions à celles de l'ennemi.
Le jour J, les Allemands ne disposaient que de 319
avions
contre 12 837 pour les alliés occidentaux, dont les
effectifs
militaires augmentaient rapidement au point où leur
supériorité
effective était de 20 contre 1 pour les chars et
de 25 contre 1 pour
les avions. Pourtant, malgré la grande supériorité
des Forces expéditionnaires alliées, en nombre et en
matériel, leur
l'offensive a été marquée par sa retenue.
Contrairement aux Russes, qui
supportaient encore le poids des combats sur le front de l'Est, la
force d'invasion n'a pas engagé le combat sérieusement.
Elle
comptait 91 divisions complètes qui faisaient face
à 60 divisions
allemandes affaiblies, dont la puissance totale était à
peu près celle
de 26 divisions complètes. La force d'invasion,
composée de troupes
britanniques, américaines et canadiennes, a donc engagé
moins d'un
tiers du nombre total des divisions allemandes en France, tandis que
l'Armée rouge a engagé 185 divisions ennemies sur le
front
de l'Est. Pour chaque division allemande engagée par les
armées alliées
à l'Ouest, l'Armée rouge en a combattu trois. Rien que
pour les unités
blindées, sur les quelque 5 000 chars qu'avait
l'Allemagne, plus
de 4 000 étaient déployés sur le front
de l'Est.[1]
La disparité était si
évidente que dans les faits le front de l'Ouest existait
à peine, car
la plupart des divisions allemandes étaient
déployées sur le front de
l'Est pour combattre la Russie.
L'offensive terrestre léthargique de la force
d'invasion était
caractérisée par une retenue si évidente que cela
a causé un
ressentiment amer au sein de certains des plus hauts échelons de
l'armée britannique. Selon le major général John
Kennedy, alors chef
adjoint de l'état-major général : «
Pendant environ six semaines (après
le
débarquement), les Allemands n'ont ni voulu ni même
tenté de déplacer
leurs divisions du Pas-de-Calais ou d'ailleurs vers le
théâtre des
combats en Normandie. »[2]
Le général Sir David Fraser, vice-chef
d'état-major britannique, a
également souligné que les Forces expéditionnaires
alliées n'avaient
pas lancé d'attaque terrestre concertée contre
l'ennemi : « Pendant
quelques semaines, en août et en septembre 1944, le front
occidental
était ouvert, et un effort déterminé de notre part
aurait pu provoquer
la fin de la guerre, avec des conséquences stratégiques
et politiques
incalculables, et avec une économie énorme de pertes
humaines
subies plus tard... c'était la dernière chance de saisir
cette grande
occasion stratégique. Elle a été ratée, et
la guerre a continué. »[3]
En Hollande, l'objectif établi du
général Montgomery en
septembre 1944 était que les unités blindées
et les parachutistes
britanniques et américains s'emparent des ponts qui enjambent
les
canaux et les rivières. Mais les renseignements cruciaux
provenant des
interceptions et du déchiffrage d'Ultra, et d'agents qui
fournissaient
des rapports
détaillés sur les mouvements et les renforts ennemis dans
la région,
ont été ignorés ou ne sont pas parvenus à
Montgomery. Le 17 septembre,
deux divisions aéroportées américaines et une
britannique ont été
larguées en un « tapis
aéroporté » entre Eindhoven et Arnhem. La
jonction terrestre avec le 21e groupe d'armées
britannique de Montgomery devait être effectuée dans les
deux ou trois
jours suivants. Le plan établi était qu'une fois le Rhin
inférieur
traversé, les opérations seraient alors étendues
à la Ruhr pour mettre
fin à la guerre. Plus de 7000 hommes, soit plus des deux
tiers de
la 1re Division aéroportée, ont été
largués dans la région
d'Arnhem où, selon les services de renseignement britanniques,
ils ne
devaient rencontrer qu'une force ennemie de la force d'une brigade. La
réaction de l'ennemi a été l'étonnement
devant sa bonne fortune. La
région d'Arnhem et ses environs avaient été
choisis par les Allemands
pour réorganiser et rééquiper deux divisions
entières du 2e
SS-Panzerkorps. Ces divisions ont été
immédiatement engagées pour
repousser ce débarquement. Leur riposte a été
rapide et sans pitié :
sur le pont clé d'Arnhem, 1200 parachutistes
britanniques - la crème
de l'armée britannique - ont été tués et
plus de 3 000 faits
prisonniers.
La débâcle générale de
Hollande
Parachutage allié au-dessus des Pays-Bas lors de
l'opération Market Garden
Ce n'était que le début d'une
débâcle générale en Hollande qui
a coûté aux alliés des pertes totales
dépassant les 17 000 morts,
blessés et disparus au combat.[4]
Pour le désastreux largage des parachutistes sur Arnhem, les
rares
ressources de transport aérien avaient été
détournées vers d'autres
opérations. Le maréchal de l'air Arthur Coningham,
commandant en chef
de la 2e Force aérienne tactique, se plaint avec
amertume : « Le gel du
transport aérien pendant une semaine de beau temps, avec de
nombreux
terrains propices aux atterrissages, alors que les armées
américaines
et britanniques n'étaient arrêtées que par le
manque
de carburant et de munitions, a été le facteur
décisif qui a empêché
nos armées d'atteindre le Rhin avant le début de
l'hiver. »[5]
Huit mois allaient s'écouler avant qu'Arnhem soit finalement
capturée -
un mois seulement avant la fin de la guerre en Europe. Montgomery, qui
allait être promu maréchal,
a déclaré à la presse que la catastrophe d'Arnhem
« avait été un succès
à 90 pour cent » - ce qui lui a attiré la
réplique amère du Prince
Bernhard des Pays-Bas : « Mon pays ne peut plus se permettre
le luxe
d'un succès de Montgomery. »[6]
Il y a eu des « succès »
similaires ailleurs le long du front de
l'Ouest. En Belgique, le plan général du Quartier
général suprême des
Forces expéditionnaires alliées (SHAEF) était de
capturer le port
maritime crucial d'Anvers, mais le SHAEF a ignoré les
avertissements
clairs du renseignement selon lesquels les Allemands étaient sur
le
point de fortifier les abords du port. La force d'invasion, qui n'a pas
réagi rapidement à l'offensive avant que les Allemands
n'achèvent leurs
préparatifs de défense, n'a pu utiliser le port pendant
les six mois
suivants. Cela a rendu impossible une avancée immédiate
vers la Ruhr ou
vers Berlin, ce qui aurait été possible si les 40
divisions de
Montgomery avaient pu être ravitaillées par Anvers.[7]
Quelques mois plus tôt, pratiquement le même
genre de retards
délibérés et de procrastination, qui allaient
prolonger la guerre,
s'étaient produit à Anzio en Italie, alors que les
Allemands n'étaient
pas préparés à repousser un débarquement
amphibie. Les conditions
étaient excellentes pour soulager de façon importante
l'Armée rouge sur
le front
de l'Est en lançant une offensive alliée vers le nord de
l'Italie.
Le SHAEF a clairement fait fi des renseignements
montrant que les
conditions étaient idéales pour une offensive
immédiate et sans
opposition vers Rome. Au lieu de cela, le commandement militaire a
attendu que les Allemands aient organisé leur défense et
leur a
permis de lancer une contre-attaque efficace. Les contingents indiens
et
néo-zélandais de la force de débarquement ont subi
des pertes
particulièrement lourdes et l'ennemi s'est retiré en bon
ordre au nord
de Rome. Les Allemands ont pu établir une nouvelle ligne de
défense
solide en Toscane. La campagne d'Italie a duré une autre
année, au prix
de nombreuses vies courageuses sacrifiées sur l'autel de la
tromperie.[8]
La bataille des Ardennes
Des soldats américains lors de la bataille des Ardennes
Un autre exemple des « échecs »
répétés des services de
renseignement et des décisions déplorables du
commandement s'est
produit en décembre 1944, lorsque la force d'invasion n'a
pas anticipé
l'offensive allemande de décembre 1944 dans les Ardennes.
Au cours de
la bataille des Ardennes, les Allemands ont infligé de
lourdes pertes aux armées anglo-américaines et ont
presque arrêté
l'avancée des Alliés. Le maréchal Albrecht
Kesselring devait révéler
plus tard que la 10e armée allemande d'Italie était
si peu préparée
qu'elle aurait été pratiquement annihilée si les
alliés avaient
immédiatement poursuivi leur attaque après avoir
établi leur tête de
pont.[9]
En même temps que le commandement des Forces
expéditionnaires
alliées se faisait passer pour des «
libérateurs » tout en prolongeant
la guerre, en coulisse Churchill intervenait avec insistance dans le
Projet d'armement nucléaire américain. Il poussait les
scientifiques de
Los Alamos à accélérer leurs efforts pour produire
la bombe
atomique avant que les Russes ne gagnent à eux seuls la guerre
en
Europe. Churchill pouvait compter sur le soutien indéfectible de
Roosevelt, qui était prêt à utiliser, et même
espérait pouvoir
utiliser la bombe atomique contre l'Allemagne.[10]
La percée décisive de l'Armée rouge dans l'est de
l'Allemagne et sa marche inexorable vers Berlin, alors en cours,
menaçaient de transformer en réalité non seulement
les pires craintes
d'Hitler, mais également celles des dirigeants occidentaux. Le
ministre
britannique des Affaires étrangères, Anthony Eden, avait
déjà averti
en 1941 que le prestige russe à la fin de la guerre serait
tellement
grand que « l'établissement de gouvernements communistes
dans la
majorité des pays européens serait grandement
facilité. »[11]
Des craintes similaires avaient également été
transmises à Churchill
par son allié sud-africain, le général Jan Smuts,
qui se plaignait
en 1943 :
« J'ai le sentiment inconfortable que l'ampleur et
la vitesse de nos
opérations terrestres laissent beaucoup à désirer.
Presque tous les
honneurs sur terre vont aux Russes, et ce, à juste titre, compte
tenu de
l'ampleur et de la vitesse de leurs combats et de la magnificence de
leur stratégie sur un vaste front. Notre performance peut
certainement
être
améliorée et la comparaison avec la Russie est moins
flatteuse pour
nous. L'homme de la rue doit sûrement penser que c'est la Russie
qui
gagne la guerre. Si cette impression persiste, quelle sera notre
position dans le monde à la fin des hostilités, à
côté de celle de la
Russie ? Il peut en résulter un effroyable changement dans
notre statut
mondial et les Russes risquent de devenir les maîtres de la
terre. Cela
est à la fois inutile et indésirable, et aurait des
conséquences
particulièrement néfastes pour le Commonwealth
britannique. »[12]
À Washington, les chefs d'état-major ont
eux aussi exprimé des
craintes similaires et en août 1944 ont averti le
président américain
Roosevelt que « la fin de la guerre provoquera des changements de
la
structure de la puissance militaire qui seront plus comparables...
à
ceux provoqués par la chute de Rome qu'à tout autre
changement produit au cours des quinze derniers
siècles. »[13]
La destruction de Dresde
Ni Smuts ni les chefs d'état-major
américains n'auraient eu
connaissance, comme l'étaient Churchill et Roosevelt, du projet
secret
d'armes nucléaires alors en voie d'achèvement et qui leur
garantirait
la réalisation des objectifs politiques de l'après-guerre
en Europe. La
bombe atomique, cependant, n'avait pas encore été
testée et, comme il
ne
restait que peu d'habitations urbaines à incendier en Allemagne
occidentale, Churchill et les barons des bombardiers avaient besoin
d'un autre moyen pour démontrer de près aux Russes leur
supériorité
militaire incontestée, à défaut de leur
supériorité morale. Le destin
de Dresde était scellé. Bien que la ville n'ait qu'une
importance très
mineure
dans l'ensemble de l'effort de guerre allemand, elle se situait sur la
ligne de progression directe de l'Armée rouge jusqu'à
Berlin. Célèbre
pour sa porcelaine et son architecture, Dresde était aussi la
plus
grande des rares zones civiles encore intactes de toute l'Allemagne.[14]
Il y avait aussi à Dresde un
grand nombre de réfugiés civils qui avaient fui les
bombardements
d'autres régions de l'Allemagne et sa population
de 600 000 habitants
avait plus que doublé pour atteindre 1 250 000.
Depuis le 26
janvier 1945, des trains spéciaux transportaient des
milliers de
réfugiés évacués vers la ville, le dernier
était arrivé dans l'après-midi du 12
février, et des milliers d'autres
arrivaient à pied ou en charrette.[15] Ce qui allait suivre
devait être l'un des actes de barbarie les plus insensés
qu'a connu l'humanité.
Le mercredi des Cendres, aux premières heures
du 14 février, 778
bombardiers lourds de la RAF ont commencé l'attaque. Le
lendemain, les
Américains ont attaqué avec presque autant d'avions. Le
commandement a
fermé les yeux sur le fait que 26 000 prisonniers de
guerre alliés
étaient dans des camps en banlieue de
Dresde. Après le départ des derniers bombardiers, des
milliers de
cadavres gisaient sur les terrains découverts situés sur
les rives de
l'Elbe, ceux de civils qui avaient fui la chaleur des incendies et
s'étaient noyés. De nombreux cadavres étaient
agglomérés au bitume des
rues qui avait fondu puis s'était solidifié. L'ouragan
de feu a ravagé
plus
de 28 kilomètres carrés – une superficie beaucoup
plus grande que celle
détruite à Hambourg. Environ 75 % de toutes les
propriétés ont été
complètement détruites alors que les températures
atteignaient
environ 1 000 degrés Celsius.[16] Outre
les
nombreuses
victimes
qui
ont
été
incinérées sur-le-champ, des milliers d'autres sont
mortes asphyxiées dans des abris antiaériens alors que
l'immense incendie aspirait l'oxygène qui était
remplacé par des
vapeurs
toxiques.
Environ 50 000 civils ont
été tués –
environ 10 000 de plus que ceux qui ont péri dans la
tempête de feu de
Hambourg et 20 000 de plus que ceux tués
au cours des huit mois de « blitz » sur la
Grande-Bretagne. Un nombre
incalculable de personnes se sont retrouvées sans abri. Les
pertes
parmi les bombardiers britanniques et américains ont
été négligeables –
l'Allemagne avait déjà perdu la France aux mains des
forces
expéditionnaires alliées, ce qui avait créé
un trou béant dans le
système
radar d'alerte précoce de Hitler et donné à la
RAF une supériorité
opérationnelle incontestée.[17]
Étonnamment, voire incroyablement, Dresde a de
nouveau été attaquée
le 2 mars, cette fois par les Américains seulement. Des
avions de
chasse Mustang qui escortaient les bombardiers ont mitraillé les
civils
qui fuyaient tandis que les gros bombardiers B-17 se sont
particulièrement distingués par le fait qu'ils ont
coulé un
navire-hôpital
sur l'Elbe, où se trouvaient des blessés provenant des
raids précédents.[18]
Dresde après le bombardement allié de 1945
Dresde n'avait aucune raffinerie de pétrole ni
d'usine d'essence
synthétique, contrairement à Brux au sud ou à
Bohlen, Ruhland et
Politz qui sont restées intactes au nord et à l'ouest de
la ville
condamnée. Dresde ne figurait non plus sur aucune liste de
cibles
prioritaires publiée chaque semaine par le Comité
conjoint des
objectifs stratégiques.
Aucune justification militaire des raids américains et
britanniques
n'existait, les seuls dommages à la « production de
guerre » ont été la
destruction d'une usine de fabrication de cigares et cigarettes.[19]
La destruction de Dresde n'a pas non plus entravé ni
retardé l'avancée
rapide et continue de
l'Armée rouge sur Berlin depuis l'Est. Cela a probablement
provoqué une
certaine déception chez le maréchal de la Royal Air Force
Sir Arthur Harris, qui avait publié des
notes
d'information à l'intention des équipages des bombardiers
qui affirmait
qu'un objectif « indirect » du bombardement
aérien intensif de Dresde
était de montrer aux Russes, alors à quelques
kilomètres à peine de
Dresde, ce que « le commandement de bombardier peut
faire ».[20]
On peut en déduire que Harris, à la demande de Churchill,
souhaitait
montrer aux Russes la supériorité aérienne
écrasante des alliés, de
leur capacité de mener des bombardements aériens à
longue portée et de
la capacité des avions
britanniques et américains de détruire une ville
entière en l'espace de
quelques heures. En effet, la destruction de Dresde ne peut être
considérée que comme un acte d'intimidation pure et
simple, presque une
opération militaire directe contre l'URSS.
Churchill avait ordonné la destruction de Dresde
« dans le but
particulier d'exploiter les conditions confuses qui accompagnent
probablement ... le succès de l'avancée russe »[21].
Avant le massacre, les équipages du groupe no 1 du Bomber
Command
s'étaient fait dire, lors du breffage
prévol, que Dresde devait être bombardée, car
c'était un « centre
ferroviaire » ; on a fait croire au groupe no 3
qu'il attaquerait « un
quartier général de l'armée
allemande », au groupe no 6 que Dresde
était « une zone industrielle importante produisant des
produits
chimiques et des munitions » ; certains
escadrons ont été trompés par la fausse
information que Dresde était le
siège d'un quartier général de la Gestapo et d'une
grande usine à gaz
toxique, un autre groupe a eu l'impression que les bombardiers allaient
détruire les défenses d'une « ville
fortifiée » essentielles aux
Allemands dans leur lutte pour repousser l'avance des
Russes.[22]
Quelle qu'ait été l'impression des Russes
lorsqu'ils sont entrés
dans la ville en ruine et qu'ils ont pu voir de près le
potentiel
destructeur des
bombardiers à long rayon d'action des alliés occidentaux,
ce
n'était
probablement pas ce que l'Armée rouge avait en tête
lorsque, le 4
février, dix jours avant l'atrocité de Dresde, elle avait
transmis aux
alliés
occidentaux une demande urgente. Le chef adjoint de l'État-Major
général, le général Antonov, avait alors
spécifiquement demandé aux
alliés de détruire en priorité le réseau de
transport dans la partie
Est de l'Allemagne. La demande a été
répétée par le maréchal Khudyakov,
le commandant de l'armée de l'air soviétique. Les deux
commandants
voulaient à tout prix empêcher les mouvements de troupes
ennemies vers
le front de l'Est, et Khudyakov avait spécifiquement
souligné la
nécessité d'empêcher le mouvement par routes et par
rails de renforts
allemands venant d'Italie.[23]
La demande avait été ignorée. L'aérodrome
de Dresde-Klotzche
n'a pas été touché, tout comme les gares de triage
ferroviaires.[24]
Et pourtant, les chasseurs-bombardiers d'attaque au sol et les
bombardiers en piqué très avancés et
extrêmement précis de la 2e Force
aérienne tactique anglo-américaine qui étaient
stationnés dans les
différents aérodromes de
Belgique, de Hollande et de France, libérées depuis peu,
auraient pu
facilement accomplir ces missions. Armés de roquettes, de bombes
légères et de mitrailleuses lourdes, ces avions pouvaient
facilement
détruire les lignes de communication routières et
ferroviaires des
Allemands et de façon générale harceler
l'armée allemande profondément
dans
la partie est de l'Allemagne sans massacrer aveuglément des
civils.
La 2e Force aérienne tactique anglo-américaine a
été tellement
sous-utilisée dans la phase finale de la guerre que bon nombre
de ses
avions soigneusement garés à proximité de pistes
non protégées en
territoire occupé par les Alliés ont été
détruits au sol par ce qu'il
restait de
la Luftwaffe. En un seul raid, 200 chasseurs-bombardiers tout
neufs de
la 2e Force aérienne tactique ont été
détruits sur un aérodrome en
Belgique, sans aucune perte pour l'ennemi.
Le commandant hautement décoré de
la 2e Force aérienne tactique, le
maréchal de l'air, Sir Trafford Leigh-Mallory, était au
coeur d'une
âpre dispute avec les stratèges britanniques au sujet des
mérites des
opérations tactiques combinées en appui aux forces
terrestres alliées
et des frappes « stratégiques » menées
indépendamment
des opérations combinées.[25]
La destruction de Dresde a mis fin à la dispute, et Sir Trafford
a été
soudainement transféré en Extrême-Orient. Il est
mort dans des
circonstances mystérieuses dans l'écrasement de l'avion
qui le
transportait en Inde dans les Alpes françaises. La cause exacte
de
l'écrasement
n'a jamais été officiellement établie.
Churchill avait averti Trafford de se montrer «
très prudent ... de
ne pas admettre que nous aurions pu faire quelque chose qui
n'était pas
justifié par les circonstances ».
Quant aux événements dans la partie est de
l'Allemagne immédiatement
après les bombardements de Dresde, la British Broadcasting
Corporation,
avec une déférence aveugle pour la version officielle, a
annoncé le 14
février que les bombardiers de la RAF et américains
avaient « frappé
des lieux d'une grande importance pour les
Allemands dans leur lutte contre les Russes, notamment
Dresde ».[26]
Un attaché de presse du quartier général
suprême des Forces
expéditionnaires alliées a été plus franc.
Dans un commentaire « non
officiel » à des correspondants de guerre, le
commodore de l'air
Grierson a confirmé pour la
première fois que le plan allié pour l'est de l'Allemagne
était de «
bombarder de grands centres de population et d'ensuite empêcher
leur
ravitaillement en fournitures de secours et les réfugiés
de
les quitter ».
L'Associated Press a rapidement communiqué cette nouvelle au
monde
entier. Les censeurs britanniques ont réagi avec promptitude en
imposant l'interdiction intégrale de ce rapport.[27]
Cependant, le massacre perpétré à
Dresde, en raison de son ampleur,
ne pouvait pas être caché indéfiniment. Au cours
d'un débat à la
Chambre des communes, le 6 mars, l'irrépressible
député travailliste
d'Ipswich, Richard Stokes, a cité la nouvelle de l'Associated
Press et
un compte-rendu allemand de l'événement qui avait
été publié la
veille dans le Manchester Guardian. Pour la première
fois,
l'expression « bombardement terroriste » a
été introduite au Parlement
dans cette critique formulée par Stokes :
« ...il y a des gens dans les forces armées
et aériennes qui
contestent ce massacre aérien, aveugle et de masse... Oublions
le
bombardement stratégique, que je remets beaucoup en cause, et le
bombardement tactique, avec lequel je suis d'accord s'il est fait avec
un niveau raisonnable de précision, on ne peut sous aucune
condition ni
en aucun
cas, à mon avis, accepter un bombardement
terroriste. »[28]
Le ministre de l'Air Sir Archibald Sinclair a
laissé son adjoint
répondre. Le sous-secrétaire relativement inconnu a
tenté de rassurer
la Chambre : « Nous ne gaspillons pas des bombardiers ni de
temps
uniquement pour des tactiques terroristes. Cela ne fait pas honneur
à
l'honorable député ...de laisser entendre que des
maréchaux de l'air
et des pilotes ... se réunissent dans une pièce pour
penser à combien
de femmes et d'enfants allemands ils peuvent tuer. »[29]
À peine une semaine plus tard, le 11 mars,
plus de 1 000 bombardiers
de Harris ont mené un raid intense en plein jour contre Essen,
larguant 4 700 tonnes de bombes qui ont rasé la ville
presque
complètement. Le 12 mars, Dortmund a été la
cible du raid le plus
intense de toute l'Europe jusqu'alors : 1 107 bombardiers ont
largué 4 851 tonnes de bombes sur la
ville qui a été presque totalement rasée.[30]
La production de guerre allemande dans la période entre janvier
et le
moment de la capitulation de l'Allemagne en mai n'a été
réduite que d'à
peine
1,2 %.[31]
Les analystes du renseignement britannique étaient sans doute
bien au
fait de cette anomalie, puisque Ultra leur fournissait beaucoup
d'information fiable sur l'économie allemande.[32]
Tandis que ces atrocités des derniers jours se
produisaient sous
prétexte de « stopper la production de guerre
allemande » et d'« aider
les Russes », Churchill faisait des pieds et des mains pour
obscurcir
le fait que le véritable pivot de puissance aérienne
était ni le directorat des opérations de bombardement, ni
le
ministère de l'Air,
ni l'état-major, mais bel et bien lui-même, Harris et un
petit groupe
de confidents triés sur le volet. Dans des documents officiels
supprimés pendant de nombreuses années dans les archives
britanniques
et qui sont maintenant accessibles aux chercheurs, on trouve une note
réprobatrice du 28 mars de Churchill à l'intention
des états-majors
infortunés qu'il rend responsables des bombardements de terreur.
Selon
Churchill, ceux-ci étaient responsables de «
l'accroissement de la
terreur, bien qu'ayant eu recours à d'autres
prétextes. »[33]
Dans un message « privé et hautement
confidentiel » à Harris, un
Churchill inquiet le met en
garde de « ne pas admettre que nous ayons fait quoi que ce soit
qui
n'était pas justifié par les circonstances et les actions
de l'ennemi
quand nous avons décidé de bombarder
l'Allemagne. »[34]
L'Armée rouge frappe
Pendant ce temps, sans se laisser ralentir par les
mesures de
Churchill et de Harris ni par les circonstances et les actions de
l'ennemi, l'Armée rouge a poursuivi sa marche inexorable vers le
Reichtag fortement défendu de Berlin, le coeur symbolique de la
puissance nazie. Quelques mois plus tôt, en janvier 1945,
l'Armée rouge
et les
armées alliées à l'Ouest étaient encore
à peu près à la même distance
de Berlin, même si la disparité des forces ennemies qui
leur faisaient
face était fortement en faveur des Anglo-Américains. Mais
à la
mi-avril, c'est l'Armée rouge qui est arrivée la
première à Berlin et a
engagé les troupes qui défendaient la ville dans un
combat rapproché.
Rue
par rue, bâtiment par bâtiment, et finalement escalier par
escalier et
cave par cave, les soldats soviétiques ont ouvert leur chemin
dans
la ville, malgré les lourdes pertes subies au cours de combats
acharnés.
Finalement, le 30 avril, le drapeau rouge arborant le marteau et
la
faucille était hissé sur le Reichtag. Trois jours plus
tard, c'était la
chute
de Berlin. Après plus de 1 000 jours
et 1 000 nuits de combats sur un
front de milliers de kilomètres, et derrière des lignes
ennemies dans
les territoires occupés, l'Armée rouge victorieuse
défilait devant la porte de Brandebourg.[35]
Le prix payé par les Russes pour vaincre Hitler
sur le principal
front décisif de la guerre a été énorme.
À chaque minute de la guerre,
les Russes ont perdu neuf vies, 587 vies par heure et 14 000
vies par
jour, et deux personnes tuées sur cinq étaient des
citoyens
soviétiques. Des centaines de villes et de villages russes ont
été
dévastés. Bien au-delà de 20 millions de
Russes, dont la moitié des
civils, sont morts — beaucoup plus que l'ensemble des victimes
militaires de l'Allemagne et des alliés occidentaux
combinés.[36]
Le 30 avril 1945, le drapeau de la victoire soviétique
est hissé sur le
Reichstag à Berlin par les soldats de l'Armée
rouge, après
la capitulation des forces allemandes de la ville et la victoire
décisive
sur les fascistes, le 9 mai 1945.
Notes
1. Les chiffres sont de :
Churchill, op. cit., Vol IV, p. 832 ; John Kennedy, op.
cit., p. 325 ; Paul Kennedy, op. cit.,
pp. 352, 354 ; Liddell Hart, op. cit.,
p. 559 ; Zhukov, Vol II, pp. 307, 344 ; le
journal de l'armée américaine Stars and Stripes,
le 15 mai 1945.
2. John Kennedy, ibid.
3. David Fraser, And We Shall
Shock Them : The British Army in the Second World War,
London : Hodder and Stoughton 1983, p. 348.
4. Le compte-rendu de
l'opération Arnhem est tiré de : Cornelius
Ryan, A Bridge Too Far, London : Hamish
Hamilton, 1974 ; Ralph Bennett, « Ultra and Some
Command Decisions », Journal of Contemporary History,
Vol 16, 1981,
pp. 145-6 ;
Richard
Lamb,
Montgomery in
Europe 1943-45, London : Buchan and Enright 1983,
p. 227.
5. PRO AIR 37/876, Arthur
Coningham, « Operations Carried out by the Second Tactical
Air Force between 6th June 1944 and 9 May 1945 »,
p. 23.
6. Ryan, op. cit.,
p. 454.
7. Bennett, op. cit.,
« Ultra and Some Command Decisions »,
p. 135 ; Liddell Hart, p. 536.
8. Le compte-rendu de la campagne
en Italie est tiré de : Martin Blumenson, Anzio :
Philadelphia :
Lippencott, 1963 :
Peter
Calvocoressi
and
Guy
Wint, Total War : Causes and Courses of the Second World War,
Harmondsworth :
Penguin 1986,
pp. 511-2 ;
Bennett,
Ultra and Mediterranean Strategy,
p. 264 ;
Fraser, op. cit, p. 282.
9. Albrecht Kesselring, Memoirs,
London :
Greenhill 1988,
p. 193.
10. Leslie Groves, Now It Can
Be Told, New York : Harper and Row 1962, p. 184.
11. Elizabeth Barker, op cit,,
p. 236.
12. Lettre de Smuts à
Churchill en date du 31 août1943, cité dans
Churchill, The Second World War, Vol V, p. 112.
13. Les chefs d'état-major
cités dans le livre de Michael Balfour, The
Adversaries : America, Russia and the Open World 1941-1962,
London :
Routledge,
Kegan
Paul 1981,
p. 9.
14. SAO, Vol III, p. 252.
15. SAO, Vol III,
p. 108 ; David Irving, The Destruction of Dresden,
London : Kimber 1963, pp. 88, 106-7, 256.
16. Hastings, op cit,,
pp. 340-4 ; Irving, Destruction of Dresden,
pp. 173-7, 206, 225-32, 236 ; Middlebrook and
Everitt, op cit, pp. 663-4.
17. Richards and Saunders, Vol
III, p. 270 ; Irving, Destruction of Dresden,
pp. 173, 206 ; SAO, Vol III, p. 109.
18. Janusz Piekalkiewicz, The
Air War 1939-1945, Poole : Blandford 1985, p. 402.
19. Voir United States Strategic
Bombing
Survey, « Area Studies Division Report No.1 »,
Washington : Government
Printers 1945, pp. 235-40, Alan S. Milward, War, Economy and
Society,
London : Allen Lane 1982, p. 302.
20. Hastings, op. cit.,
p. 342.
21. Mémorandum de
Churchill au ministre de
l'air Sinclair, 26 janvier 1945 cité dans SAO, Vol
III, p. 103 ; le
sous-ministre de l'air Sir Norman Bottomley à Harris, 27
Janvier 1945
cité dans SAO, Vol III, p. 103.
22. Longmate, op. cit.,
p. 335.
23. SAO, Vol III, pp. 105-6.
24. Hastings, op. cit.,
p. 342 ; Irving, Destruction of Dresden,
pp. 148, 158, 206 ; Piekalkiewicz, op. cit.,
p. 402.
25. Voir PRO AIR 37/876, Air
Chief Marshal
Sir Trafford Leigh-Mallory, « Operations Carried Out by Second
Tactical
Air Force, 6 June 1944 to 9 May 1945 ».
26. Longmate, op. cit.,
p. 342.
27. SAO, Vol III, pp. 113-4.
28. Hansard, Chambre des
communes, 6 mars 1945.
29. Ibid.
30. Richards and Saunders, op.
cit., Vol III, p. 268.
31. Hastings, op. cit.,
p. 337 ; Piekalkiewics, op. cit., pp. 403-5.
32. See Hinsley, op. cit.,
Vol
II,
Appendix 5,
pp. 671-2.
33. SAO, Vol III, pp. 113-4.
34. Randolph S. Churchill and
Martin Gilbert, Winston S Churchill, (8 vols), London :
Heinemann, 1954-1988, Vol VIII, p. 259.
35. La capture de Berlin est
décrite dans Zhukov, op. cit., Vol II,
p. 347 et
al.
36. Voir en général
Alexander Werth, Russia at War 1941-1945, New York :
Avon 1965 ; John Erickson, Stalin's War With Germany,
(2 vols) London : Grafton, 1985, dans lesquels les campagnes
individuelles sont décrites au vol II, p. 1181. Les pertes
totales de
la Wehrmacht ont été 72 % de ses officiers et
hommes. La plupart sont
morts sur le front soviéto-allemand.
Stan Winer est un journaliste international
avec 30 années
d'expérience qui se spécialise dans les affaires
militaro-politiques et
géostratégiques. Ses articles sont reproduits dans une
grande variété
de publications, de journaux et de périodiques
spécialisés partout au
monde. Il a aussi travaillé pour les agences d'information des
différents
organismes des Nations unies.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 22 - 8 juin 2019
Lien de l'article:
La route vers Berlin - Stan Winer
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