Et voilà l'opération Bagration, le jour J sur le front de l'Est


Carte de l'opération Bagration montrant la poussée massive de l'Armée rouge vers l'ouest

L'opération Bagration était le jour J du front de l'Est. En termes de portée, de taille, d'échelle et d'impact, c'était un exploit militaire remarquable, sans équivalent dans la Deuxième Guerre mondiale.[1]

Les opérations Overlord (jour J) et Bagration ont été planifiées et exécutées dans un effort coordonné de la Grande Alliance pour casser les reins de la résistance allemande en Europe, avec une détermination également partagée par les Soviétiques, les Britanniques et les Américains à forcer l'Allemagne hitlérienne à capituler sans condition

Dans son livre Les guerres de Staline, Geoffrey Roberts révèle que « les plans soviétiques pour l'opération Bagration étaient étroitement coordonnés avec les préparatifs anglo-américains pour la mise en place du très attendu deuxième front en France. Les Soviétiques avaient été informés de la date approximative du débarquement début avril, et le 18 avril Staline avait envoyé un télégramme à Roosevelt et Churchill pour annoncer que, 'comme convenu à Téhéran, l'Armée rouge lancerait une nouvelle offensive au même moment pour donner un maximum de soutien à l'opération anglo-américaine'. »

Bien que les deux opérations aient eu une immense importance militaire et stratégique, Bagration a dominé Overlord. L'opération Bagration a été lancée le 22 juin, jour du troisième anniversaire de l'invasion de l'Union soviétique par les nazis en 1941, avec des attaques aériennes sur les positions et les concentrations d'artillerie ennemies, guidées par des unités de partisans qui opéraient derrière les lignes allemandes.

L'offensive principale a débuté le 23 juin sur un front de 800 kilomètres, engageant près de deux millions de soldats.

L'opération Bagration a été conçue comme complément à l'offensive du jour J, pour libérer les territoires soviétiques des nazis et détruire la Wehrmacht en tant que force de combat à l'Est. Elle a atteint ces trois objectifs et plus encore.

Comme le souligne l'historien et auteur britannique David Reynolds : « En cinq semaines, l'Armée rouge a parcouru 450 kilomètres, traversant Minsk jusqu'à la périphérie de Varsovie et déchirant les entrailles du Centre du groupe de l'armée de Hitler. Près de 20 divisions allemandes ont été totalement détruites et 50 autres gravement endommagées — une catastrophe encore plus grande que celle de Stalingrad. [...] Cet étonnant succès soviétique s'est produit alors que l'opération Overlord était toujours coincée dans les haies et les ruelles de Normandie. »

Le célèbre journaliste et auteur soviétique Vassili Grossman, dont Carnets de guerre est un ouvrage classique et obligatoire pour ceux qui s'intéressent à la réalité de la guerre et des conflits, décrit avec force et puissance le bilan humain de l'offensive soviétique :

« Parfois, tu es tellement secoué par ce que tu as vu, écrit-il dans un rapport venant du front, le sang te monte à la tête, et tu sais que le spectacle terrible que tes yeux viennent de capter va te hanter et toute la vie. » Il poursuit : « Des cadavres, des centaines et des milliers, pavent la route, gisent dans des fossés, sous les pins, dans l'orge verte. Dans certains endroits, des véhicules doivent circuler sur les cadavres, si densément qu'ils couvrent le sol. »

Malgré la coordination de l'opération Bagration avec le jour J, et malgré son importance militaire et stratégique ineffable, aucune mention n'en a été faite lors des commémorations entourant le 75e anniversaire du jour J dans le Nord de la France. Une omission aussi flagrante et déraisonnable n'est que l'un des nombreux exemples honteux d'amnésie historique de la part des gouvernements et des idéologues occidentaux de ces dernières années - des gens davantage soucieux de politiser l'histoire.


À gauche : Des chars et d'autres véhicules sont abandonnés par les nazis qui fuient l'Armée rouge lors de l'opération Bagration en Biélorussie, en juillet 1944. À droite : Quelque 57 000 prisonniers de guerre allemands capturés lors d'un encerclement à l'est de Minsk défilent à Moscou le 15 juillet 1944.

La bravoure et le courage des 156 000 soldats qui ont débarqué sur les plages de Normandie le 6 juin 1944 ne sont pas en cause, pas plus que ceux des milliers de marins, d'aviateurs et de troupes aéroportées qui ont également participé au jour J. L'opération Overlord était et restera probablement le plus grand assaut militaire amphibie jamais monté. En termes d'objectifs, de planification et de coordination des forces militaires combinées des multiples nations impliquées, il mérite la place qui lui revient dans l'histoire militaire.

Le dirigeant soviétique Joseph Staline était plus que conscient de l'importance et de la réussite du jour J, qu'il décrivit dans un télégramme de félicitations adressé à Roosevelt et à Churchill à l'époque :

« Comme on le voit, le débarquement, conçu à une échelle grandiose, a complètement réussi. Mes collègues et moi ne pouvons pas ne pas reconnaître que l'histoire des guerres ne connaît aucune entreprise semblable quant aux proportions, à l'ampleur de la conception et à la maîtrise de l'exécution. »

Soixante-quinze ans plus tard, la médiocrité déconcertante de l'homme d'État en Occident, avec la violation flagrante de l'esprit de la Grande Alliance entre l'Est et l'Ouest inscrit dans le télégramme de Staline, n'a jamais été aussi déplorable. Par exemple, le président français Emmanuel Macron a prononcé un discours en commémoration du jour J qui puise profondément dans l'exceptionnalisme occidental. Louant l'OTAN et l'Union européenne pour leurs réalisations durant la guerre, il a confirmé à quel point est profondément enraciné le malaise de l'amnésie historique dans les capitales d'Europe occidentale.

L'idée selon laquelle les hommes qui ont donné leur vie le jour J, puis dans le reste de l'Europe sur le chemin de la fin de la guerre en 1945, l'ont fait pour donner naissance à un continent dépendant de Washington et craignant Moscou, est absurde. De plus, les dévastations subies par la Russie pendant la guerre et l'ampleur des pertes subies par le pays exigent le respect de tous ceux qui souhaitent tirer les leçons de cette lutte épique d'importance historique.

C'est pour cette raison que la décision de ne pas inviter le président russe, Vladimir Poutine, à assister aux célébrations du 75e jour J est à la fois une parodie et une preuve du gouffre qui existe entre ceux pour qui l'histoire est un guide et ceux pour qui c'est une arme.

Une Europe libérée du fascisme, mais divisée par une guerre froide qui a brisé à tout jamais les espoirs d'une paix durable entre égaux - d'une stabilité et d'une coopération globales reflétées dans la Grande Alliance entre l'Est et l'Ouest - ne mérite pas d'être célébrée. Cela nous rappelle que, même si tant de choses ont été sacrifiées et gagnées pendant la guerre, beaucoup ont été jetées et perdues par si peu après.

L'opération Bagration et l'opération Overlord ne doivent jamais être mentionnées séparément. Les deux ont été montées au même stade de la guerre par une Grande Alliance qui contenait les germes d'un avenir qui, s'il s'était réalisé, aurait été à la hauteur du sacrifice nécessaire pour en sortir victorieux.

Le dernier mot revient à Vassili Grossman : « Presque tous croyaient que le bien triompherait sur cette guerre et que les hommes honnêtes, qui n'avaient pas hésité à verser leur sang, pourraient bâtir une vie juste et bonne. »

John Wight a écrit pour divers journaux et sites Web, notamment Independent, Morning Star, Huffington Post, Counterpunch, London Progressive Journal et Foreign Policy Journal.

Note de LML

1. L'opération Bagration a été nommée en l'honneur de Pyotr Bagration (1765-1812), général russe d'origine géorgienne. Il était connu pour sa tactique novatrice et créative, pour trouver l'approche particulière requise dans une situation donnée, ainsi que la grande importance qu'il accordait à la formation, à l'éducation et à la discipline des troupes, tout en assurant leur bien-être.

(RT.com, 7 juin 2019. Traduction : LML. Photos : Armée américaine, RIA Novosti.)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 22 - 8 juin 2019

Lien de l'article:
Et voilà l'opération Bagration, le jour J sur le front de l'Est - John Wight


    

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