La guerre des sanctions contre l'Iran (III)

L'escalade du conflit sur la question de l'Iran entrave les efforts du gouvernement allemand pour poursuivre une politique mondiale indépendante, même contraire aux intérêts des États-Unis. Après que le président des États-Unis, Donald Trump, ait annoncé qu'il imposerait des mesures punitives à tous les pays qui envisagent d'acheter du pétrole iranien, Téhéran a répondu en déclarant que l'Iran pourrait recommencer à enrichir l'uranium si les partenaires de l'accord nucléaire continuaient de violer leurs engagements et refusaient de permettre à l'Iran de vendre librement ses produits. C'est effectivement le cas, car les États-Unis menacent d'imposer des mesures punitives. Les efforts de Berlin pour sauver son commerce avec l'Iran au moyen d'un véhicule financier basé sur le troc restent infructueux. Washington prépare de nouvelles menaces contre ce véhicule (INSTEX, acronyme anglais pour « Instrument in Support of Trade Exchanges », Instrument de soutien aux transactions commerciales). Malgré le blocus commercial de fait, qui est en violation de l'accord nucléaire, la ministre allemande des Affaires étrangères, Heiko Maas, exige que Téhéran se conforme « totalement » à l'accord nucléaire. Entre-temps, le président américain, Donald Trump, accroît les pressions en imposant de nouvelles sanctions.

L'embargo sur le pétrole

Au cours des derniers jours, le gouvernement Trump a intensifié son agression contre l'Iran de deux manières. D'une part, depuis le début du mois il insiste pour que tous les pays sans exception respectent les sanctions contre Téhéran et cessent d'acheter le pétrole iranien. Dernièrement, les ventes de pétrole ont représenté près de 40 % des revenus de l'Iran. Avec une perte totale de ses revenus pétroliers, le pays est menacé de ruine économique. C'est précisément l'objectif de Washington, provoquer des émeutes de la faim de la population, le renversement du gouvernement et l'installation de forces pro-américaines. Il n'est pas certain que l'administration Trump puisse réussir à asphyxier l'économie de l'Iran. En particulier, la Chine et la Turquie ont protesté contre les menaces des États-Unis de punir ceux qui achèteraient du pétrole iranien à l'avenir. L'Inde a clairement montré son ressentiment, mais a cependant commencé à réduire ses importations de pétrole en provenance d'Iran. En avril, l'Inde a réduit ses importations de près d'un tiers par rapport au mois de mars et de plus de la moitié par rapport au mois de mars 2018. Tüpras, la société turque de raffinage, a annoncé hier qu'elle réduirait à zéro ses importations en provenance de l'Iran. Les pays de l'UE ont déjà complètement arrêté leurs importations de pétrole. Quelle quantité de pétrole l'Iran sera en mesure de vendre sur le « marché gris » reste incertain.

La lutte contre INSTEX

Il n'est pas clair non plus si l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Union européenne réussiront à maintenir leurs échanges commerciaux avec l'Iran au moyen du véhicule financier INSTEX. Jusqu'à présent, INSTEX était considéré comme inutilisable.[1]

Bruxelles a annoncé une augmentation considérable du volume financier de cet instrument et l'intensification de ses efforts de commerce avec l'Iran. Washington, cependant, prévoit déjà d'appliquer des mesures contre INSTEX. Un haut fonctionnaire du Trésor des États-Unis a souligné que les autorités iraniennes, qui coopèrent avec les pays de l'UE dans le cadre de l'INSTEX, ne respectent pas les règles du Groupe d'action financière (GAFI), un organisme créé en 1989 pour lutter contre le blanchiment d'argent et - depuis 2001 - le financement du terrorisme. Ce dernier point est particulièrement pertinent, car le gouvernement Trump a récemment inscrit le Corps des Gardiens de la révolution islamique, le CGRI, sur la liste des « organisations terroristes ». Comme le CGRI a un énorme empire économique, sa classification comme « organisation terroriste » offre de nouvelles options pour saboter le commerce avec l'Iran. Le haut fonctionnaire du Trésor américain a annoncé que les États-Unis saisiraient toutes les occasions pour mettre fin aux relations commerciales de l'Iran.[2]

La diplomatie de la canonnière

En plus de sa présomption d'un droit d'imposer des mesures punitives à l'échelle mondiale à ceux qui importent du pétrole iranien, Washington fait maintenant des menaces militaires. En plus du groupe d'attaque du porte-avions USS Abraham Lincoln, dont le déploiement au Moyen-Orient était déjà prévu, le gouvernement Trump a envoyé un escadron de bombardiers B-52 dans la région pour répondre à des « indications menaçantes » de l'Iran.[3] Cela aggrave encore plus les risques d'escalade militaire.

Les briseurs d'accord occidentaux

Téhéran a maintenant réagi, non pas tellement parce que Washington exerce une pression militaire accrue, mais surtout parce que l'accord nucléaire est devenu de fait caduc. Les États-Unis l'ont officiellement rompu et les pays européens ont, sous la pression des sanctions américaines, réduit considérablement leurs échanges commerciaux avec l'Iran, promis en échange de la fin du programme nucléaire, et ont complètement arrêté d'acheter du pétrole iranien. Même dans les cas de la Russie et de la Chine, il n'est pas clair si les menaces de sanctions du gouvernement Trump peuvent provoquer également une forte baisse des échanges. Dans cet esprit, le gouvernement iranien a imposé aux signataires de l'accord nucléaire un délai de 60 jours pour respecter leurs engagements commerciaux aux termes de l'accord. Maintenant, le gouvernement s'apprête à cesser la vente de l'uranium enrichi excédentaire et, dans 60 jours, il recommencera à produire de l'uranium enrichi, a annoncé le président de l'Iran, Hassan Rohani. « Nous ne nous sommes pas retirés de l'accord nucléaire. Nous ne faisons qu'exercer notre droit légitime de réagir à un bris de contrat. »[4] Dès que les parties à l'accord respecteront leur engagements, l'Iran respectera les siens, a annoncé Hassan Rohani.

Le dilemme allemand

Berlin a un dilemme. Le gouvernement allemand avait soutenu l'accord sur le nucléaire, notamment parce qu'il faisait entrevoir la réouverture du marché iranien, et également des marchés arabes, à l'industrie allemande. Les marchés iraniens sont considérés comme les plus lucratifs de la région.[5] Récemment, dans le conflit sur la violation de l'accord par le gouvernement Trump, le gouvernement allemand avait adopté une position offensive envers Washington, faisant ainsi de ce conflit une pierre de touche de sa volonté d'élaborer la politique mondiale « sur un pied d'égalité » avec Washington.[6] Mais comme Berlin n'est pas en position de protéger son commerce avec l'Iran, notamment son commerce pétrolier, contre les sanctions américaines - les intérêts commerciaux allemands aux États-Unis sont énormes - cette politique est vouée à l'échec. Hier [8 mai], le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, a déclaré avec éclat : « Nous voulons sauver l'accord. » Cependant, Berlin ne respecte même pas ses propres engagements d'élargir sa coopération économique avec l'Iran. Heiko Maas déclare toute de même que Berlin « s'attend » ... « à ce que l'Iran applique pleinement l'accord - à la lettre ».[7] Il n'a pas expliqué pourquoi Téhéran devrait respecter les termes de l'accord alors que les puissances occidentales ne le font pas.

Les prochaines sanctions

En même temps, la situation s'aggrave. Hier [le 8 mai], le président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé de nouvelles sanctions aux termes desquelles l'Iran n'est pas censée exporter son deuxième produit d'exportation en importance, l'acier et d'autres métaux. Ces sanctions sont censées s'appliquer à tous les pays. Washington cherche à accélérer l'étranglement de l'Iran. Téhéran doit agir face à l'agression économique. L'effondrement complet de l'accord nucléaire se rapproche donc. Si Berlin ne peut l'empêcher, cela signifiera que sa première tentative de s’opposer aux États-Unis sur la scène mondiale et de s’affirmer comme acteur mondial aura été un échec.

Notes

1. Tel que rapporté par German Foreign Policy. Voir « La guerre des sanctions contre l'Iran (II) », German Foreign Policy, 6 mai 2019.

2. « Il est peu probable que le véhicule commercial UE-Iran respecte les normes anti-blanchiment d’argent: États-Unis », Francois Murphy, Reuters, 8 mai 2019.

3. « B-52 bombers are off to rebuff Iran after threats to U.S. troops ; DoD won't say what those were », Kyle Rempfer, militarytimes.com, 8 mai 2019.

4. « Iran setzt Vertragspartnern 60-Tage-Frist », sueddeutsche.de, 8 mai 2019.

5. Tel que rapporté par German Foreign Policy. Voir « Competing for Business with Iran », German Foreign Policy, 29 avril 2019.

6. Voir : « Die Tauschbörse der EU », German Foreign Policy, 26 septembre 2018.

7. « Außenminister Maas zur Wiener Nuklearvereinbarung mit Iran », Pressemitteilung des Auswärtigen Amts, Berlin, 8 mai 2019.

(Traduit de l'anglais par LML)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 20 - 25 mai 2019

Lien de l'article:
La guerre des sanctions contre l'Iran (III) - German Foreign Policy


    

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