Ne ménageons aucun effort pour
humaniser
l'environnement naturel
et social et faire du Canada une zone de paix
Les États-Unis doivent rendre des comptes pour avoir perturbé la rencontre du Conseil de l'Arctique
- Peter Ewart -
Les recherches publiées montrent que les
changements climatiques entraînent la fin de l'Arctique tel que
nous le connaissons, en raison de la hausse des températures, de
la fonte des glaces, de la modification de la couverture neigeuse et de
la disparition du pergélisol. Depuis 1971, 8 000
milliards de tonnes métriques de
glace terrestre ont été perdues dans l'Arctique, ce qui a
entraîné une élévation du niveau des
océans dans le monde et l'ajout d'une masse d'eau suffisante
pour faire incliner l'axe de la Terre. Comme le dit un chercheur,
« le système biophysique arctique tend clairement à
s'éloigner de son état du XXe siècle et à
évoluer vers un état sans
précédent ».
Malgré les inquiétudes de
l'humanité sur le besoin d'humaniser l'environnement naturel et
social et son désir de prendre les choses en main, un jour avant
la 11e réunion ministérielle du Conseil de
l'Arctique qui s'est tenue cette année à Rovaniemi, en
Finlande, le 7 mai, le secrétaire d'État
américain Mike Pompeo a prononcé un
discours démagogique et belliciste de vingt minutes,
conçu
pour faire croire que les changements climatiques n'existent pas et
établir l'hégémonie américaine. Il a
tempêté contre la Chine et la Russie et ce qu'il a
décrit comme leurs visées prédatrices dans
l'Arctique. Il a aussi profité de l'occasion pour
déclarer sans équivoque que la revendication
du Canada sur le passage du Nord-Ouest est «
illégitime ».
Pompeo a déclaré que l'Arctique est devenu
« une arène de lutte de pouvoir et de
concurrence » et « prend rapidement une nouvelle
signification stratégique ». En particulier, il a
expliqué comment la Chine relie la route maritime du nord de la
Russie à sa « Route de la soie ». Selon lui,
Beijing « pourrait utiliser sa présence
en matière de recherche civile [...] pour renforcer sa
présence militaire » et adopter un comportement
« agressif ailleurs ». En outre, il a remis en
question la prétention de la Chine d'être « un
État proche de l'Arctique », affirmant qu'« il
n'existe aucune troisième catégorie et prétendre
le contraire ne donne à la Chine aucun
droit ».
En ce qui concerne la Russie, il a critiqué ses
revendications sur ce qu'il a appelé « les eaux
internationales de la route maritime du Nord » et
l'accroissement de sa présence militaire dans la région,
dit que « les ambitions territoriales de la Russie peuvent
devenir violentes »
Pompeo a parlé avec allégresse des
possibilités que la fonte des glaces offre à la
navigation et l'extraction de ressources, sans se soucier outre mesure
des inconvénients d'un réchauffement rapide de
l'Arctique. Il ne semble pas se préoccuper du fait que de vastes
secteurs de la région autrefois recouverts de glace et de neige
ne réfléchissent
plus les rayons du soleil, mais les absorbent, ce qui cause une
accélération du réchauffement de la
planète. Ou que, lorsque le pergélisol fondra,
d'énormes volumes de méthane, un gaz à effet de
serre, seront libérés dans l'atmosphère. Ou que
les conditions météorologiques seront profondément
affectées dans le reste du monde à cause des
changements dans le courant-jet et les courants océaniques. Les
commentaires de Pompeo ont coïncidé avec la publication
d'un rapport de l'ONU selon lequel un million d'espèces sur la
planète sont en voie de disparition en partie à cause des
changements climatiques.
Les pays participants aux rencontres du Conseil de
l'Arctique s'efforcent d'en faire un organisme collégial. Tous
les deux ans, les représentants des huit pays de
l'Arctique et de six organisations autochtones participantes
délibèrent sur des questions de développement
durable et de protection de l'environnement. L'accent est mis sur la
recherche de moyens de collaborer sur des problèmes communs.[1] Il est considéré comme
étant déplacé de se servir de cette plateforme
pour intimider avant la convocation de la réunion.
Selon les reportages, les délégués
du Conseil de l'Arctique ont été stupéfaits par
les commentaires de Pompeo. La Chine jouit du statut d'observateur au
sein du Conseil de l'Arctique et le chef de la délégation
chinoise, Gao Feng, a déclaré que le discours de Pompeo
« l'avait laissé abasourdi ». Il a
ajouté que « les activités du Conseil de
l'Arctique sont la coopération, la protection de
l'environnement, les consultations amicales ainsi que le partage et
l'échange de points de vue », ce que le discours du
secrétaire d'État américain a complètement
contredit.
« La Chine ne s'ingérera pas dans les
affaires qui appartiennent uniquement aux pays arctiques »,
a déclaré Feng, ajoutant que la Chine avait toujours
adhéré au principe d'ouverture, de coopération et
d'avantages mutuels dans les affaires dans l'Arctique.
« Sur la question de l'Arctique, la Chine a
toujours insisté sur l'importance de la recherche scientifique,
plaidant en faveur de la conservation de l'environnement, de
l'utilisation raisonnable, de la gouvernance basée sur le droit
et la coopération internationale, a-t-il poursuivi. Nous ne
faisons pas de la géopolitique et ne cherchons pas à
créer un
petit cercle exclusif. »
La Chine est disposée à travailler avec
toutes les parties pour contribuer à la paix, à la
tranquillité et au développement durable dans l'Arctique,
a déclaré Gao, ajoutant que les critiques
formulées par le responsable américain «
étaient totalement incorrectes » et «
motivées par des arrière-pensées ».
Lassi Heininen, de l'Université d'Helsinki, en
Finlande, a fait observer que, par le passé, toutes les parties
présentes s'étaient efforcées d'instaurer une
bonne atmosphère en raison de leurs intérêts
communs. Il a demandé pourquoi Pompeo avait agi de
manière si agressive contre la Chine et la Russie, notant que
« le contenu et le moment du
discours n'étaient pas connus lors des réunions
ministérielles du Conseil de l'Arctique, où
traditionnellement, aucun État ou ministre n'essaie de ‘voler la
vedette' ». Heininen a ajouté qu'il espérait
que l'intervention de Pompeo ne mènerait pas à
l'utilisation du Conseil de l'Arctique à d'autres fins.
Michael Byers, un expert de l'Université de la
Colombie-Britannique sur l'Arctique, a qualifié les propos de
Pompeo de « belligérants » et dit qu'ils
contiennent de nombreuses fausses déclarations. Par exemple,
Pompeo s'est plaint des investissements chinois dans les
infrastructures arctiques du Canada, mais ces investissements sont en
réalité inexistants.
L'une des choses les plus alarmantes qui se soient
produites à la réunion du Conseil de l'Arctique est que,
pour la première fois depuis sa création en 1996, le
Conseil n'a pas été en mesure de produire une
déclaration commune, rapporte le journal Helsingin Sanomat.
La
raison
en
est
que la partie américaine a bloqué toute
déclaration contenant les mots « changements
climatiques », malgré l'opposition des participants
à la réunion. Le ministre finlandais des Affaires
étrangères, Timo Soini, a plutôt publié une
déclaration détaillée de son président, le
premier document de ce type dans l'histoire du Conseil de l'Arctique,
rapporte Nunatsiaq News, faute de
consensus sur les changements climatiques. Soini y fait
référence à « une majorité d'entre
nous », autour de la table du Conseil de l'Arctique, qui a
soutenu les causes liées aux changements climatiques, tels que
la nécessité de réduire les émissions de
gaz à effet de serre et de carbone noir et de travailler
à l'adaptation aux changements
climatiques.[2]
Lors de la réunion ministérielle du
Conseil de l'Arctique en 2017, les États-Unis ont bel et
bien signé une déclaration selon laquelle « ils ont
clairement cité les effets des changements climatiques dans
l'Arctique et la nécessité d'agir à tous les
niveaux », lit-on dans un rapport de presse. Le gouvernement
américain n'a pas expliqué pourquoi Pompeo avait
directement contredit cet accord précédent. Toutefois,
lors d'une conférence de presse, l'administration Trump partage
« un profond engagement en faveur de la gestion de
l'environnement », sans toutefois s'engager dans des
objectifs collectifs tels que sur les émissions de carbone noir,
qui, a-t-elle affirmé, accélèrent le
réchauffement de
l'Arctique. À cet égard, le secrétaire
d'État semble même ne plus être en phase avec ses
propres militaires, qui considèrent les changements climatiques
et la hausse des températures comme « une menace pour la
sécurité nationale ». Le fait est que Pompeo
était en extase devant les possibilités offertes par la
fonte des glaces de l'Arctique
pour la navigation et l'extraction de ressources, mais a refusé
de reconnaître la raison de la fonte des glaces ou même de
prononcer les mots « changements climatiques » au
cours des échanges.
Les représentants autochtones ont condamné
les déclarations et les actions des États-Unis, et en
particulier le blocage par les États-Unis de la
déclaration commune finale sur la question des changements
climatiques. Dalee Sambo Dorough, présidente internationale du
Conseil circumpolaire inuit, a qualifié les actions
américaines de « manque de
leadership et d'échec moral » qui portent gravement
atteinte à « l'avenir de ce qui est censé
être un organisme fondé sur le consensus ».
Elle a ajouté que « les Inuits ressentent
chaque jour les effets des changements climatiques. Alors que le
gouvernement américain se préoccupe de sémantique,
notre peuple est témoin des effets néfastes des
changements climatiques. Mais notre réalité à
nous, qu'en faites-vous ? »
Jimmy Stotts, président du Inuit Circumpolar
Council-Alaska, faisant clairement référence aux
États-Unis, a déclaré qu'il était temps
d'arrêter de « se cacher de la
réalité » et de reconnaître que les
changements climatiques sont réels et que l'humanité en
est responsable. « Nous ne comprenons pas ceux qui soutiendraient
le contraire, a-t-il
dit. Nous pensons qu'il est temps d'arrêter de se chamailler si
nous voulons survivre. »
Stotts a également proposé que le Conseil
de l'Arctique se concentre davantage sur d'autres questions clés
pour les peuples autochtones de l'Arctique, telles que la gestion de la
faune, la sécurité alimentaire, les déficits en
infrastructure, les problèmes environnementaux et «
l'horreur du suicide », rapporte Nunatsiaq News. Il
a
exhorté le Conseil de l'Arctique à revenir à son
idée initiale, celle de trouver un équilibre entre
développement et conservation, lit-on dans le rapport de presse.
La ministre des Affaires étrangères du
Canada, Chrystia Freeland, a dû dire pour appuyer sa
prétention que son gouvernement soutenait les peuples
autochtones de l'Arctique, que « le Canada financera un
secrétariat permanent du Groupe de travail sur le
développement durable du Conseil de l'Arctique dans le cadre
d'un investissement plus
vaste supérieur à 28 millions de dollars [...] pour
fournir une assistance continue à des groupes autochtones afin
qu'ils puissent participer au Conseil de l'Arctique et pour aider
UArctic, un réseau d'universités regroupant des membres
du monde circumpolaire ». Elle a évoqué un
récent rapport du gouvernement fédéral sur les
changements climatiques, selon lequel les températures dans
l'Arctique pourraient augmenter de 11 degrés Celsius, comme
« terrifiantes ». Elle n'a rien dit dans le sens de
tenir les États-Unis responsables d'avoir perturbé la
réunion ministérielle ou au sujet de leur position
répétée selon laquelle la revendication du Canada
sur le passage du
Nord-Ouest est « illégitime ».
Le résultat est que les huit pays arctiques ont
fini par signer une déclaration ministérielle d'une page
qui ne contenait aucune mention des changements climatiques, que les
six organisations participantes autochtones ont refusé
d'appuyer. Selon le document, qui se trouve sur le site Web du Conseil
de l'Arctique, les ministres ont réaffirmé leur «
engagement à maintenir la paix, la stabilité et une
coopération constructive dans l'Arctique »,
soulignant « le rôle des États de l'Arctique en
matière de leadership dans la gestion des nouvelles
opportunités et des nouveaux défis dans l'Arctique, en
étroite coopération avec les participants
permanents », reconnaissant « le droit des
peuples autochtones de l'Arctique et le rôle unique des
participants permanents au sein du Conseil de l'Arctique, ainsi que
l'engagement de consulter et de coopérer de bonne foi avec les
peuples autochtones de l'Arctique et de soutenir leur engagement
significatif dans les activités du Conseil de
l'Arctique ». De plus, ils se sont félicités
du «
travail stratégique en cours » et ont chargé
« les hauts fonctionnaires de l'Arctique de poursuivre la
planification stratégique afin d'orienter et d'améliorer
l'efficacité du Conseil de l'Arctique et de faire rapport aux
ministres en 2021 ».
Les peuples qui vivent dans l'Arctique
bénéficient du soutien total des peuples des pays
situés à l'intérieur du cercle polaire arctique.
Il y a un appui partout dans le monde pour la position des peuples de
l'Arctique de faire de l'Arctique une zone de paix et de s'attaquer aux
changements climatiques et aux très graves problèmes
auxquels ils sont confrontés. L'offensive des États-Unis
pour imposer
leur hégémonie dans l'Arctique, leur bellicisme, leurs
attaques contre la Chine et la Russie et leur objection aux
revendications canadiennes sur le passage du Nord-Ouest, tout cela
exige que le Canada prenne position en tant que nation s'il veut
survivre dans le dangereux climat international actuel.[3]
La présidence du Conseil de l'Arctique a
été confiée à l'Islande pour les deux
prochaines années. L'Islande a accueilli le Conseil de
l'Arctique pour la dernière fois de 2002 à 2004.
« Un dialogue actif basé sur la recherche
scientifique et une collaboration dynamique entre nos pays et nos
organisations est la meilleure voie à suivre pour le Conseil de
l'Arctique », a déclaré le ministre islandais
des Affaires étrangères, Guðlaugur þór
þórðarson, avant de recevoir la présidence du
ministre finlandais des Affaires
étrangères, Timo Soini.
Notes
1. Le Conseil arctique a
été établi en 1996 pour promouvoir la
coopération entre les pays de l'Arctique, en particulier dans le
domaine de la protection environnementale. Les États membres
sont le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande,
l'Islande, la Norvège, la Russie et la
Suède.
2. Pour le texte complet de la
déclaration du président du Conseil arctique, le ministre
des Affaires étrangères Timo Soini, cliquer ici.]
3. Voir aussi les articles
suivants :
« Collusion et
rivalité dans l'Arctique : Le gouvernement Trudeau
entreprend de militariser l'Arctique » Peter Ewart, LML, 6
avril 2019
« La dispute
au sujet du passage du Nord-Ouest », LML, 6
avril 2019
« La lutte des
Inuits pour faire de l'Arctique une Zone de paix », LML, 6
avril
2019
« L'Arctique –
un survol », LML, 6 avril 2019
« Le
conseil de l'Arctique et la question militaire », LML, 6
avril 2019
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 18 - 11 mai 2019
Lien de l'article:
Ne ménageons aucun effort pour
humaniser
l'environnement naturel: Les États-Unis doivent rendre des comptes pour avoir perturbé la rencontre du Conseil de l'Arctique - Peter Ewart
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Courriel: redaction@cpcml.ca
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