Ne ménageons aucun effort pour humaniser l'environnement naturel
et social et faire du Canada une zone de paix

Les États-Unis doivent rendre des comptes pour avoir perturbé la rencontre du Conseil de l'Arctique

Les recherches publiées montrent que les changements climatiques entraînent la fin de l'Arctique tel que nous le connaissons, en raison de la hausse des températures, de la fonte des glaces, de la modification de la couverture neigeuse et de la disparition du pergélisol. Depuis 1971, 8 000 milliards de tonnes métriques de glace terrestre ont été perdues dans l'Arctique, ce qui a entraîné une élévation du niveau des océans dans le monde et l'ajout d'une masse d'eau suffisante pour faire incliner l'axe de la Terre. Comme le dit un chercheur, « le système biophysique arctique tend clairement à s'éloigner de son état du XXe siècle et à évoluer vers un état sans précédent ».

Malgré les inquiétudes de l'humanité sur le besoin d'humaniser l'environnement naturel et social et son désir de prendre les choses en main, un jour avant la 11e réunion ministérielle du Conseil de l'Arctique qui s'est tenue cette année à Rovaniemi, en Finlande, le 7 mai, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a prononcé un discours démagogique et belliciste de vingt minutes, conçu pour faire croire que les changements climatiques n'existent pas et établir l'hégémonie américaine. Il a tempêté contre la Chine et la Russie et ce qu'il a décrit comme leurs visées prédatrices dans l'Arctique. Il a aussi profité de l'occasion pour déclarer sans équivoque que la revendication du Canada sur le passage du Nord-Ouest est « illégitime ».

Pompeo a déclaré que l'Arctique est devenu « une arène de lutte de pouvoir et de concurrence » et « prend rapidement une nouvelle signification stratégique ». En particulier, il a expliqué comment la Chine relie la route maritime du nord de la Russie à sa « Route de la soie ». Selon lui, Beijing « pourrait utiliser sa présence en matière de recherche civile [...] pour renforcer sa présence militaire » et adopter un comportement « agressif ailleurs ». En outre, il a remis en question la prétention de la Chine d'être « un État proche de l'Arctique », affirmant qu'« il n'existe aucune troisième catégorie et prétendre le contraire ne donne à la Chine aucun droit ».

En ce qui concerne la Russie, il a critiqué ses revendications sur ce qu'il a appelé « les eaux internationales de la route maritime du Nord » et l'accroissement de sa présence militaire dans la région, dit que « les ambitions territoriales de la Russie peuvent devenir violentes »

Pompeo a parlé avec allégresse des possibilités que la fonte des glaces offre à la navigation et l'extraction de ressources, sans se soucier outre mesure des inconvénients d'un réchauffement rapide de l'Arctique. Il ne semble pas se préoccuper du fait que de vastes secteurs de la région autrefois recouverts de glace et de neige ne réfléchissent plus les rayons du soleil, mais les absorbent, ce qui cause une accélération du réchauffement de la planète. Ou que, lorsque le pergélisol fondra, d'énormes volumes de méthane, un gaz à effet de serre, seront libérés dans l'atmosphère. Ou que les conditions météorologiques seront profondément affectées dans le reste du monde à cause des changements dans le courant-jet et les courants océaniques. Les commentaires de Pompeo ont coïncidé avec la publication d'un rapport de l'ONU selon lequel un million d'espèces sur la planète sont en voie de disparition en partie à cause des changements climatiques.

Les pays participants aux rencontres du Conseil de l'Arctique s'efforcent d'en faire un organisme collégial. Tous les deux ans, les représentants des huit pays de l'Arctique et de six organisations autochtones participantes délibèrent sur des questions de développement durable et de protection de l'environnement. L'accent est mis sur la recherche de moyens de collaborer sur des problèmes communs.[1] Il est considéré comme étant déplacé de se servir de cette plateforme pour intimider avant la convocation de la réunion.

Selon les reportages, les délégués du Conseil de l'Arctique ont été stupéfaits par les commentaires de Pompeo. La Chine jouit du statut d'observateur au sein du Conseil de l'Arctique et le chef de la délégation chinoise, Gao Feng, a déclaré que le discours de Pompeo « l'avait laissé abasourdi ». Il a ajouté que « les activités du Conseil de l'Arctique sont la coopération, la protection de l'environnement, les consultations amicales ainsi que le partage et l'échange de points de vue », ce que le discours du secrétaire d'État américain a complètement contredit.

« La Chine ne s'ingérera pas dans les affaires qui appartiennent uniquement aux pays arctiques », a déclaré Feng, ajoutant que la Chine avait toujours adhéré au principe d'ouverture, de coopération et d'avantages mutuels dans les affaires dans l'Arctique.

« Sur la question de l'Arctique, la Chine a toujours insisté sur l'importance de la recherche scientifique, plaidant en faveur de la conservation de l'environnement, de l'utilisation raisonnable, de la gouvernance basée sur le droit et la coopération internationale, a-t-il poursuivi. Nous ne faisons pas de la géopolitique et ne cherchons pas à créer un petit cercle exclusif. »

La Chine est disposée à travailler avec toutes les parties pour contribuer à la paix, à la tranquillité et au développement durable dans l'Arctique, a déclaré Gao, ajoutant que les critiques formulées par le responsable américain « étaient totalement incorrectes » et « motivées par des arrière-pensées ».

Lassi Heininen, de l'Université d'Helsinki, en Finlande, a fait observer que, par le passé, toutes les parties présentes s'étaient efforcées d'instaurer une bonne atmosphère en raison de leurs intérêts communs. Il a demandé pourquoi Pompeo avait agi de manière si agressive contre la Chine et la Russie, notant que « le contenu et le moment du discours n'étaient pas connus lors des réunions ministérielles du Conseil de l'Arctique, où traditionnellement, aucun État ou ministre n'essaie de ‘voler la vedette' ». Heininen a ajouté qu'il espérait que l'intervention de Pompeo ne mènerait pas à l'utilisation du Conseil de l'Arctique à d'autres fins.

Michael Byers, un expert de l'Université de la Colombie-Britannique sur l'Arctique, a qualifié les propos de Pompeo de « belligérants » et dit qu'ils contiennent de nombreuses fausses déclarations. Par exemple, Pompeo s'est plaint des investissements chinois dans les infrastructures arctiques du Canada, mais ces investissements sont en réalité inexistants.

L'une des choses les plus alarmantes qui se soient produites à la réunion du Conseil de l'Arctique est que, pour la première fois depuis sa création en 1996, le Conseil n'a pas été en mesure de produire une déclaration commune, rapporte le journal Helsingin Sanomat. La raison en est que la partie américaine a bloqué toute déclaration contenant les mots « changements climatiques », malgré l'opposition des participants à la réunion. Le ministre finlandais des Affaires étrangères, Timo Soini, a plutôt publié une déclaration détaillée de son président, le premier document de ce type dans l'histoire du Conseil de l'Arctique, rapporte Nunatsiaq News, faute de consensus sur les changements climatiques. Soini y fait référence à « une majorité d'entre nous », autour de la table du Conseil de l'Arctique, qui a soutenu les causes liées aux changements climatiques, tels que la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de carbone noir et de travailler à l'adaptation aux changements climatiques.[2]

Lors de la réunion ministérielle du Conseil de l'Arctique en 2017, les États-Unis ont bel et bien signé une déclaration selon laquelle « ils ont clairement cité les effets des changements climatiques dans l'Arctique et la nécessité d'agir à tous les niveaux », lit-on dans un rapport de presse. Le gouvernement américain n'a pas expliqué pourquoi Pompeo avait directement contredit cet accord précédent. Toutefois, lors d'une conférence de presse, l'administration Trump partage « un profond engagement en faveur de la gestion de l'environnement », sans toutefois s'engager dans des objectifs collectifs tels que sur les émissions de carbone noir, qui, a-t-elle affirmé, accélèrent le réchauffement de l'Arctique. À cet égard, le secrétaire d'État semble même ne plus être en phase avec ses propres militaires, qui considèrent les changements climatiques et la hausse des températures comme « une menace pour la sécurité nationale ». Le fait est que Pompeo était en extase devant les possibilités offertes par la fonte des glaces de l'Arctique pour la navigation et l'extraction de ressources, mais a refusé de reconnaître la raison de la fonte des glaces ou même de prononcer les mots « changements climatiques » au cours des échanges.

Les représentants autochtones ont condamné les déclarations et les actions des États-Unis, et en particulier le blocage par les États-Unis de la déclaration commune finale sur la question des changements climatiques. Dalee Sambo Dorough, présidente internationale du Conseil circumpolaire inuit, a qualifié les actions américaines de « manque de leadership et d'échec moral » qui portent gravement atteinte à « l'avenir de ce qui est censé être un organisme fondé sur le consensus ».

Elle a ajouté que « les Inuits ressentent chaque jour les effets des changements climatiques. Alors que le gouvernement américain se préoccupe de sémantique, notre peuple est témoin des effets néfastes des changements climatiques. Mais notre réalité à nous, qu'en faites-vous ? »

Jimmy Stotts, président du Inuit Circumpolar Council-Alaska, faisant clairement référence aux États-Unis, a déclaré qu'il était temps d'arrêter de « se cacher de la réalité » et de reconnaître que les changements climatiques sont réels et que l'humanité en est responsable. « Nous ne comprenons pas ceux qui soutiendraient le contraire, a-t-il dit. Nous pensons qu'il est temps d'arrêter de se chamailler si nous voulons survivre. »

Stotts a également proposé que le Conseil de l'Arctique se concentre davantage sur d'autres questions clés pour les peuples autochtones de l'Arctique, telles que la gestion de la faune, la sécurité alimentaire, les déficits en infrastructure, les problèmes environnementaux et « l'horreur du suicide », rapporte Nunatsiaq News. Il a exhorté le Conseil de l'Arctique à revenir à son idée initiale, celle de trouver un équilibre entre développement et conservation, lit-on dans le rapport de presse.

La ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, a dû dire pour appuyer sa prétention que son gouvernement soutenait les peuples autochtones de l'Arctique, que « le Canada financera un secrétariat permanent du Groupe de travail sur le développement durable du Conseil de l'Arctique dans le cadre d'un investissement plus vaste supérieur à 28 millions de dollars [...] pour fournir une assistance continue à des groupes autochtones afin qu'ils puissent participer au Conseil de l'Arctique et pour aider UArctic, un réseau d'universités regroupant des membres du monde circumpolaire ». Elle a évoqué un récent rapport du gouvernement fédéral sur les changements climatiques, selon lequel les températures dans l'Arctique pourraient augmenter de 11 degrés Celsius, comme « terrifiantes ». Elle n'a rien dit dans le sens de tenir les États-Unis responsables d'avoir perturbé la réunion ministérielle ou au sujet de leur position répétée selon laquelle la revendication du Canada sur le passage du Nord-Ouest est « illégitime ».

Le résultat est que les huit pays arctiques ont fini par signer une déclaration ministérielle d'une page qui ne contenait aucune mention des changements climatiques, que les six organisations participantes autochtones ont refusé d'appuyer. Selon le document, qui se trouve sur le site Web du Conseil de l'Arctique, les ministres ont réaffirmé leur « engagement à maintenir la paix, la stabilité et une coopération constructive dans l'Arctique », soulignant « le rôle des États de l'Arctique en matière de leadership dans la gestion des nouvelles opportunités et des nouveaux défis dans l'Arctique, en étroite coopération avec les participants permanents », reconnaissant « le droit des peuples autochtones de l'Arctique et le rôle unique des participants permanents au sein du Conseil de l'Arctique, ainsi que l'engagement de consulter et de coopérer de bonne foi avec les peuples autochtones de l'Arctique et de soutenir leur engagement significatif dans les activités du Conseil de l'Arctique ». De plus, ils se sont félicités du « travail stratégique en cours » et ont chargé « les hauts fonctionnaires de l'Arctique de poursuivre la planification stratégique afin d'orienter et d'améliorer l'efficacité du Conseil de l'Arctique et de faire rapport aux ministres en 2021 ».

Les peuples qui vivent dans l'Arctique bénéficient du soutien total des peuples des pays situés à l'intérieur du cercle polaire arctique. Il y a un appui partout dans le monde pour la position des peuples de l'Arctique de faire de l'Arctique une zone de paix et de s'attaquer aux changements climatiques et aux très graves problèmes auxquels ils sont confrontés. L'offensive des États-Unis pour imposer leur hégémonie dans l'Arctique, leur bellicisme, leurs attaques contre la Chine et la Russie et leur objection aux revendications canadiennes sur le passage du Nord-Ouest, tout cela exige que le Canada prenne position en tant que nation s'il veut survivre dans le dangereux climat international actuel.[3]

La présidence du Conseil de l'Arctique a été confiée à l'Islande pour les deux prochaines années. L'Islande a accueilli le Conseil de l'Arctique pour la dernière fois de 2002 à 2004.

« Un dialogue actif basé sur la recherche scientifique et une collaboration dynamique entre nos pays et nos organisations est la meilleure voie à suivre pour le Conseil de l'Arctique », a déclaré le ministre islandais des Affaires étrangères, Guðlaugur þór þórðarson, avant de recevoir la présidence du ministre finlandais des Affaires étrangères, Timo Soini.

Notes

1. Le Conseil arctique a été établi en 1996 pour promouvoir la coopération entre les pays de l'Arctique, en particulier dans le domaine de la protection environnementale. Les États membres sont le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Russie et la Suède.

2. Pour le texte complet de la déclaration du président du Conseil arctique, le ministre des Affaires étrangères Timo Soini, cliquer ici.]

3. Voir aussi les articles suivants :

« Collusion et rivalité dans l'Arctique : Le gouvernement Trudeau entreprend de militariser l'Arctique » Peter Ewart, LML, 6 avril 2019

« La dispute au sujet du passage du Nord-Ouest », LML, 6 avril 2019

« La lutte des Inuits pour faire de l'Arctique une Zone de paix », LML, 6 avril 2019

« L'Arctique – un survol », LML, 6 avril 2019

« Le conseil de l'Arctique et la question militaire », LML, 6 avril 2019

(Sources : Conseil de l'Arctique, Nunatsiaq News, Eye on the Arctic/Radio Canada International, CBC News, The Guardian, Helsingin Sanomat, US Department of State, TASS, Xinhua)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 18 - 11 mai 2019

Lien de l'article:
Ne ménageons aucun effort pour humaniser l'environnement naturel: Les États-Unis doivent rendre des comptes pour avoir perturbé la rencontre du Conseil de l'Arctique - Peter Ewart


    

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