Soumettre la vie des travailleurs au mobile du profit
et aux aléas du marché
- Diane Johnston -
Depuis plusieurs années, les gouvernements du
Canada jouent avec la vie des travailleurs étrangers en
changeant
constamment les programmes et les règlements qui touchent
à leurs démarches pour s'établir de façon
permanente au Canada. Au Québec, divers gouvernements ont
adopté des modifications réglementaires touchant au
système de points alloués dans leurs critères de
sélection et augmentant le seuil de passage pour l'obtention
d'un Certificat de sélection du Québec (CSQ), ce qui
permet de demander la résidence permanente. Ces modifications
entrent en vigueur dès qu'elles sont adoptées et sont
systématiquement appliquées de façon
rétroactive, ce qui a un
impact grave pour des milliers de demandes accumulées, les
personnes désirant s'établir au Québec ayant
consacré du temps, de l'argent et des efforts inouïs
à préparer les formulaires dans la certitude qu'elles
avaient les qualifications requises pour obtenir le statut de
résident.
Le traitement inhumain de ces personnes par les
gouvernements a éclaté au grand jour lorsque,
le 19 février 2018, la Cour supérieure du
Québec a autorisé un recours collectif contre le ministre
de l'Immigration et le gouvernement du Québec, touchant au
programme régulier des travailleurs qualifiés du
Québec. Le recours
collectif soutient que le Ministère de l'Immigration, de la
Diversité et de l'Inclusion (MIDI) et le gouvernement du
Québec se seraient injustement enrichis, auraient commis une
faute et auraient agi de mauvaise foi en omettant d'offrir le
remboursement des frais d'application des participants au recours
collectif dont la demande était vouée à
l'échec en raison des amendements apportés au
Règlement sur la pondération applicable à la
sélection des ressortissants étrangers.[1] Il y a eu règlement à
l'amiable depuis et la demande d'approbation sera soumise à la
Cour le 19 juin.
Précédemment, le 7 février, le
ministre québécois de l'Immigration, Simon
Jolin-Barrette, a présenté le projet de loi 9, une
loi qui prétend vouloir « accroître la
prospérité socio-économique du Québec et
répondre adéquatement aux besoins du marché du
travail par une intégration réussie des personnes
immigrantes ». La
législation autoriserait le ministre à «
déterminer les conditions qui affectent la résidence
permanente d'un ressortissant étranger obtenue en vertu de la Loi
sur
l'immigration
et
la
protection
des réfugiés »,
afin
d'assurer « la satisfaction des besoins régionaux ou
sectoriels de main-d'oeuvre, la création régionale ou
sectorielle
d'entreprises ou le financement de celles-ci, ou l'intégration
linguistique, sociale ou économique du ressortissant
étranger ».
Aussi, comme partie intégrante du
développement par le gouvernement des « programmes
d'accueil, de francisation et d'intégration » pour
immigrants, les travailleurs étrangers devront étudier et
passer le test des soi-disant valeurs démocratiques et
québécoises comme condition au statut de résident
permanent, une violation de la liberté
de conscience. Les demandeurs n'auront d'autre choix que de
reconnaître les valeurs imposées sans quoi ils
échoueront le « test ». En ce moment, les
citoyens québécois, eux, ne sont pas tenus de
prêter allégeance aux valeurs et cette division du corps
politique est inacceptable. Seul le peuple peut exprimer ces valeurs,
qui ne peuvent certainement pas être définies et
imposées par ceux qui, sans le contentement du peuple,
pretendent agir en son nom.
Enfin, par l'article 20 du projet de loi, le
gouvernement Legault tente de supprimer un arriéré
de 18 000 demandes de CSQ soumises avant le 2
août 2018 en vertu du Programme régulier des
travailleurs qualifiés, si le 7 février — la date de
la déposition du projet de loi — le ministre n'a pas encore pris
de
décision de sélection, de refus ou de rejet concernant
ces demandes. Et comme si cela pouvait représenter une forme de
réparation, le projet de loi prévoit que « les
droits exigibles payés par le demandeur ayant
présenté une telle demande lui sont remboursés,
sans intérêts ». On y stipule aussi qu'«
aucuns dommages-intérêts ni aucune
indemnité en lien avec une telle demande ne peuvent être
réclamés au gouvernement, au ministre ou à l'un de
leurs préposés ou mandataires. Le premier alinéa
ne s'applique pas. »[2]
Dans le but de contrer la manoeuvre du gouvernement
Legault pour laisser tomber l'arriéré des demandes de
CSQ, l'Association québécoise des avocats et avocates en
droit de l'immigration (AQAADI), qui regroupe près de 250
avocats de l'immigration, a déposé une demande
d'injonction auprès de la Cour supérieure du
Québec.
L'Association prétend que le ministre québécois de
l'Immigration a agi « illégalement en suspendant le
traitement des applications en attente en vertu du Programme
régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ) »
et des demandes d'un CSQ. L'AQAADI affirme aussi que la décision
a « mis en péril les projets d'immigration de dizaines de
milliers de candidats, dont près de 6 000 habitent
déjà le Québec ». Ils ont entrepris
l'injonction pour « inviter » le ministre à
immédiatement reprendre l'évaluation des demandes. Aussi,
selon L'AQAADI, le ministre n'a aucun pouvoir discrétionnaire ou
une quelconque autorité statutaire lui permettant de refuser de
traiter
l'arriéré de demandes de CSQ. « Au contraire — ce
refus est basé uniquement sur la mise en oeuvre
prématurée d'un projet de loi qui n'a pas encore
été adopté par l'Assemblée nationale et qui
par conséquent n'a pas de pouvoir contraignant. »
Le 25 février, la Cour supérieure du
Québec a
octroyé une injonction interlocutoire
provisoire exigeant du ministre de l'Immigration qu'il continue de
traiter l'arriéré de 18 000 demandes de CSQ. Le
ministre Simon Jolin-Barrette a répondu à l'injonction en
affirmant dans un communiqué que le ministère «
continuera de traiter et de rendre des décisions relativement
aux demandes de Certificats de sélection du Québec
dans le cadre du Programme régulier des travailleurs
qualifiés d'ici l'adoption du projet de loi ».
On s'attend à ce que le projet de loi soit
adopté avant
les vacances d'été à l'Assemblée nationale,
à la mi-juin, ce qui veut dire une fois de plus que les dossiers
de milliers de demandeurs de CSQ pourraient être supprimés
de façon
permanente, sans recours juridique possible. Cette inhumanité
devient de plus en plus intolérable. Aucune
société ne peut permettre de telles mesures par
lesquelles les gouvernements agissent avec impunité au nom de
l'état de droit.
Notes
1. Ministère
de
l'Immigration,
de
la
Diversité
et de l'Inclusion du
Québec
2. Site web de l'Assemblée
nationale, projet de loi 9, Loi visant à
accroître la prospérité socio-économique du
Québec et à répondre adéquatement aux
besoins du marché du travail par une intégration
réussie des personnes immigrantes.
Cet article est paru dans
Volume 49
Numéro 18 - 11 mai 2019
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Soumettre
la vie des travailleurs au mobile du profit et aux aléas du
marché - Diane Johnston
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