Le Programme des travailleurs étrangers temporaires
- Pierre Chénier -
La catégorie de travailleurs migrants qui
croît le plus rapidement au Canada et dans le monde est le
travailleur sans papiers. Les études et les statistiques sur ces
travailleurs sont rares. Une étude menée en 2011,
financée par les instituts de recherche en santé du
Canada, a évalué qu'entre 200 000 et
500 000 travailleurs sans
papiers vivaient au Canada. Ils sont concentrés en Ontario et
travaillent principalement dans la construction, l'industrie
hôtelière et l'agriculture.
L'étude
démontrait aussi que de nombreux travailleurs sans papiers
avaient commencé à travailler au Canada en tant que
travailleurs « avec papiers », notamment dans le
Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), et
étaient devenus sans-papiers à cause des conditions de
servitude et d'arbitraire qui caractérisent ce
programme. Plusieurs travailleurs temporaires étrangers dont le
contrat de travail avec leur employeur est brisé, soit parce que
l'employeur y met fin ou que le travailleur quitte son emploi tant les
conditions sont intenables, demeurent au Canada comme travailleurs sans
papiers.
Différents gouvernements affirment que les
travailleurs temporaires étrangers sont protégés
par des règles, ce qui n'est pas le cas des travailleurs sans
papiers. Ils disent, par exemple, que les travailleurs du PTET sont
régis par les lois de normes minimales de travail
fédérales et provinciales, qu'ils ont accès
à plusieurs programmes sociaux et
services publics et à une voie vers la résidence
permanente, contrairement aux travailleurs sans papiers qui ne sont pas
régis par ces lois et sont criminalisés en tant que
hors-la-loi dans une situation de vulnérabilité
marquée par l'illégalité.
Les conditions objectives de servitude dans lesquelles
travaillent les sans-papiers sont telles qu'il existe peu de
règles régissant leur emploi et leurs conditions de vie
et que celles-ci sont sous le coup du diktat de l'employeur. Cette
vulnérabilité face à un diktat arbitraire
s'applique aussi aux travailleurs avec papiers dans les confins
étroits du
Programme des travailleurs étrangers temporaires et des
programmes connexes. Leurs droits sont sujets aux attaques, notamment
leur droit fondamental d'être des membres à part
entière du corps politique qui vivent sans la menace constante
d'être déportés.
La situation des travailleurs étrangers est
caractérisée par l'arbitraire des employeurs au Canada et
des agences canadiennes étrangères qui les recrutent dans
leur pays. Les gouvernements maintiennent les travailleurs
étrangers dans une position vulnérable et sujets aux
attaques par leur refus d'abolir leur statut temporaire. Sans que leurs
droits
soient garantis, leur dignité de travailleurs est niée et
leur statut précaire est maintenu.
Le Programme des travailleurs
étrangers temporaires (PTET)
Le PTET fédéral comprend deux
sous-programmes : le Programme des aides familiaux du Canada (PAF)
et le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS). D'autres
travailleurs appartiennent aussi à la catégorie des
travailleurs étrangers
temporaires. Le PTET et le Programme de mobilité internationale
(PMI) formaient un seul programme avant que le gouvernement Harper ne
fasse du PMI un programme séparé en 2014.
Étude d'impact sur le marché du
travail
La division de l'économie, des ressources et des
affaires internationales du gouvernement canadien a
évalué dans
une recherche qu'au 1er décembre 2013, il y avait
386 406 travailleurs temporaires étrangers au Canada. De ce
nombre, 126 816 étaient assujettis à une
Étude
d'impact sur le marché du travail
et 259 590 ne l'étaient pas.
Les employeurs qui veulent
recruter des travailleurs étrangers temporaires doivent en
général soumettre une Étude d'impact sur le
marché
du travail (EIMT) tandis que les employeurs qui font leur recrutement
en vertu du PMI n'ont pas à remplir cette exigence. L'exigence
d'une EIMT repose sur la mascarade voulant que le PTET vise
strictement à combler des postes pour lequel il n'y a pas de
citoyens canadiens ou de résidents permanents disponibles.
C'est vraiment frauduleux parce que cela fait des décennies que
les travailleurs étrangers viennent au Canada pour occuper des
positions en agriculture, en aide familiale résidante, dans
l'industrie hôtelière et dans la
transformation alimentaire. Ces emplois ne sont pas et n'ont jamais
été
temporaires ; seuls les travailleurs qui occupent ces emplois
permanents le sont. Leur statut temporaire est
précisément ce qui les maintient dans un état de
vulnérabilité, dans les emplois les plus mal payés
et aux plus mauvaises
conditions, ce qui nie leurs droits et exerce une pression
générale à la baisse sur les salaires.
Les employeurs qui font leur recrutement par le biais du
PMI n'ont pas besoin d'une ÉIMT parce que ce programme, selon la
propagande officielle, vise à fournir de plus grands avantages
au Canada, notamment au plan économique et culturel. Cela
comprend, entre autres choses, la mobilité du travail sous
l'égide des traités de libre-échange.
Le PMI, contrairement au PTET, comprend un permis de travail ouvert qui
ne lie pas un participant à un employeur unique. Il offre aussi
une voie d'accès plus aisée à la résidence
permanente justement parce qu'il est considéré comme
étant avantageux pour la compétitivité du Canada
de garder ces travailleurs au Canada.
Les travailleurs étrangers temporaires qui sont
assujettis à une ÉIMT sont liés par contrat
à un employeur unique, ce qui rappelle le travail en servitude.
Le contrat rend difficile aux travailleurs de quitter un employeur
abusif ou un emploi dangereux sans que n'intervienne la
déportation immédiate du pays, parce que le statut
légal du travailleur
régi par l'ÉIMT cesse d'être en vigueur lorsque le
contrat est brisé.
Les travailleurs qui sont régis par un contrat
obtenu par une ÉIMT sont vulnérables parce que, s'ils se
plaignent, l'employeur peut mettre fin au contrat et ils doivent
quitter le pays. Il se peut que tout ceci se fasse dans le silence
parce que les travailleurs sont très vulnérables, n'ayant
que peu de recours juridiques. Les travailleurs dont le contrat
est abruptement terminé doivent passer par un nouveau processus
menant à une ÉIMT, ce qui prend des mois et n'est pas
garanti, retourner dans leur pays ou encore devenir des
travailleurs sans papiers. Pour changer d'employeur, le travailleur
doit recevoir une nouvelle offre d'emploi d'un employeur potentiel et
être muni d'une ÉIMT
approuvée. Cela prend de trois à cinq mois, mais le
processus ne s'arrête pas là. Le travailleur doit alors
demander un nouveau permis de travail, ce qui prend de trois à
six mois supplémentaires. Pendant tout ce temps-là, le
travailleur ne peut pas travailler ou toucher de l'assurance-emploi ou
de l'aide sociale et il peut être sans revenus pendant
plusieurs mois. Compte tenu du fait que ces travailleurs
reçoivent en général les plus bas salaires,
plusieurs doivent retourner dans leur pays ou devenir des sans-papiers
à cause d'un manque de revenus.
Sans que leurs droits ne soient garantis,
les
travailleurs sont vulnérables
La règle de droit doit s'appliquer à tous
de manière égale. Il ne doit pas exister de situation
où il y absence de droits pour certains et privilège pour
d'autres. Un droit humain fondamental ne peut être temporaire ou
illégal ou sujet à la déportation ou à
d'autres mesures arbitraires d'un pouvoir de police. Tout le concept de
travailleur temporaire
doit être déclaré ultra vires, hors-la-loi et sans
validité dans un état de droit qui repose sur une
constitution moderne qui s'applique également à tous les
êtres humains, sans préjudice ou privilège.
Il ne manque pas d'exemples
de la contradiction entre les conditions réelles des
travailleurs temporaires, migrants ou réfugiés et la
propagande démocratique libérale qui déclare que
tous les humains sont égaux et protégés par une
règle de droit qui s'applique à tous sans
préjudice ou privilège.
La vente à un employeur de la capacité de
travailler d'un travailleur à statut temporaire transfère
un pouvoir et un privilège arbitraire à un employeur et
un asservissement et une servitude volontaire aux employés. La
législation et les constitutions libérales
démocratiques enchâssent cette inégalité et
ce privilège en accordant des droits supérieurs
à la propriété, à la richesse et au statut
social par rapport aux droits qu'ont les gens en tant qu'êtres
humains.
De nombreux travailleurs temporaires vivent dans des
logis fournis ou contrôlés par l'employeur.
Cet arrangement donne aux employeurs un contrôle énorme
sur la nourriture, l'espace, les conditions de sommeil et les
réseaux sociaux des travailleurs. Les travailleurs peuvent faire
l'objet d'intimidation, ce qui renforce le déséquilibre
total du
rapport de force entre l'employeur et le travailleur. Souvent, la
frontière entre être au travail et ne pas être au
travail disparaît.
Les attaques de la part des agences de recrutement
publiques et privées et des recruteurs individuels sont devenues
chose courante et celles-ci sont devenues un régime mondial de
trafic d'êtres humains. Qu'on pense aux frais exorbitants qui
sont imposés, aux fausses réclamations et aux faux
documents. Les recruteurs et les employeurs
demandent souvent aux travailleurs de leur emprunter de l'argent et ne
cessent d'ajouter des intérêts et d'autres frais de
services ou des pénalités pour avoir enfreint des
règles arbitraires.
Accablés de frais, les travailleurs
reçoivent souvent des documents complets ou faux, ou de faux
noms d'employeurs ou encore des emplois qui n'existent pas. Ces
dernières années, des stratagèmes de «
libération à l'arrivée » sont devenus
fréquents. Il s'agit de situations où les travailleurs
n'ont pas d'employeur bien qu'il y ait un nom
d'employeur sur leur contrat. Les travailleurs sont alors «
libérés » de leur faux contrat à leur
arrivée à l'aéroport ou au bureau du recruteur au
Canada. Parfois on leur offre même un tel stratagème en
leur disant qu'ils vont certainement trouver un vrai employeur une fois
au Canada. Il arrive souvent que les recruteurs gardent ces
travailleurs
« libérés » dans un endroit de travail
qui leur appartient ou qui est arrangé par eux et où ils
travaillent pour le gîte et le couvert en attendant de trouver un
employeur qui les engage.
Les travailleurs temporaires étrangers paient
des impôts et la taxe de vente et cotisent au Régime de
pensions du Canada et de l'Assurance-emploi (AE). Ils ne sont pas
admissibles cependant aux prestations régulières de l'AE
correspondantes à leur période d'emploi une fois que
celui-ci est terminé. Ils sont officiellement admissibles aux
prestations parentales ou de maternité, mais ils ont beaucoup de
difficulté à les toucher une fois que leur contrat de
travail officiel est terminé.
Les travailleurs temporaires étrangers sont
censés être protégés par les normes
minimales d'emploi et les lois de santé et de
sécurité au travail, mais il est difficile de les faire
appliquer.
À cause de leur statut temporaire, ils ont de la
difficulté à insister pour que l'employeur respecte les
lois et c'est risqué pour eux de faire appel au
gouvernement pour qu'il fournisse réparation et souvent la loi
n'est simplement pas appliquée.
En théorie, les travailleurs temporaires
étrangers ont le droit à la résidence permanente,
mais le programme lui-même ne comprend pas de voie d'accès
à ce statut. Ils peuvent être parrainés par leur
employeur, mais rien n'incite l'employeur à le faire. Le
travailleur qui demande la résidence permanente doit
maîtriser une langue officielle, mais
ses conditions de travail, qui impliquent de longues heures sans
pauses bien délimitées, les empêchent souvent de
suivre des cours s'il s'en donne dans leur région ou de
fraterniser sur une base régulière avec des gens qui
parlent anglais ou français dans des événements
sportifs ou sociaux.
Le Programme des aides
familiaux comprend une voie d'accès à la résidence
permanente, mais les aides familiaux, qui sont en majorité des
femmes, sont assujettis à un processus d'immigration en deux
temps qui requiert qu'elles entrent au Canada avec un statut temporaire
et un contrat de travail, mais sans leur famille. Elles doivent
compléter leur contrat avant de demander la résidence
permanente, ce qui pose le problème de quoi faire une fois que
le contrat est terminé. Le programme de résidence
permanente comprend aussi un plafond de demandes, ce qui est une
restriction de plus. Cette année, après un travail
soutenu des aides familiaux résidants et de leurs supporteurs,
le gouvernement fédéral a annoncé la tenue de deux
« projets pilotes » sur cinq ans qui permettront aux
personnes recrutées dans cette catégorie de travailleurs
de venir au Canada avec leur famille. Une fois que l'aide familial a
son permis de travail et deux ans d’expérience, il est dit qu’il
aura alors «accès à une voie directe menant
à la résidence permanente». De plus, une petite
fenêtre est actuellement ouverte cette année pour offrir
rétroactivement un tel « accès » aux aidants
naturels déjà au Canada qui sont venus dans le pays en
espérant qu'ils pourraient demander la résidence
permanente, pour se rendre compte plus tard que cela n'était pas
possible dans le cadre des programmes par lesquels ils ont
été recrutés.
En 2014, alors qu'il y avait une campagne dans les
médias de masse au sujet d'employeurs qui abusaient du PTET, le
gouvernement est intervenu de façon à créer de la
friction entre les travailleurs canadiens et les travailleurs
temporaires étrangers. Le gouvernement s'est vanté de
vouloir donner la priorité aux travailleurs canadiens par
rapport aux travailleurs temporaires étrangers en ce qui
concerne les emplois disponibles. Le gouvernement a encore
resserré les critères d'admissibilité de
l'AE et a limité encore plus
l'admissibilité des travailleurs étrangers aux
prestations de l'AE. Un des objectifs de ces programmes, en plus de
fournir de la main-d'oeuvre bon
marché aux employeurs est de nuire à l'unité de la
classe ouvrière à la défense de ses droits.
Le gouvernement fédéral a progressivement
réduit le pourcentage de travailleurs étrangers
admissibles par rapport à la main-d'oeuvre totale d'une
entreprise à 10 % en 2016. Selon les
organisations de défense des travailleurs, à mesure que
le pourcentage était réduit, des travailleurs temporaires
étrangers qui étaient arrivés
alors que le pourcentage était plus élevé ont
été congédiés et forcés de
travailler dans la clandestinité afin de demeurer au Canada. Des
employeurs qui engageaient régulièrement des travailleurs
temporaires étrangers se sont plaints de la baisse du
pourcentage et ont demandé que celui-ci soit haussé. Le
gouvernement Trudeau a obtempéré en
haussant le niveau à 20 %, un pourcentage qui demeure
arbitraire en ce qui concerne les travailleurs temporaires parce qu'ils
peuvent être renvoyés quand le pourcentage est atteint.
En 2014, le gouvernement Harper a changé les
règles afin que le gouvernement fédéral puisse
refuser les demandes d'embauche de travailleurs temporaires
étrangers dans des emplois à bas salaires dans les
services d'hébergement et de restauration et le commerce au
détail, dans des régions où le taux de
chômage officiel est
de 6 % ou plus. Le gouvernement Trudeau a maintenu ce
changement. Cela dresse une fois de plus les travailleurs les uns
contre les autres alors que les travailleurs étrangers sont
accusés indirectement de causer des privations aux travailleurs
canadiens en tant que concurrents prêts à accepter des
salaires bas et du travail précaire. Cela
perpétue la conscience impérialiste qui masque le conflit
de classe qui existe entre la classe ouvrière et une oligarchie
financière dominante qui est la source de tous les
problèmes auxquels les travailleurs et l'économie
socialisée font face. Cela masque aussi la raison pour laquelle
les travailleurs sont régulièrement privés de
leurs droits et que
l'économie souffre de crises récurrentes et que ses
problèmes fondamentaux demeurent non résolus.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 16 - 27 avril 2019
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Le Programme des travailleurs étrangers temporaires - Pierre Chénier
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