Les élections présidentielles de 2019 en Ukraine

Les résultats vont aiguiser les contradictions internes

L'élection présidentielle ukrainienne de 2019 s'est déroulée les 31 mars et 21 avril selon le mode de scrutin à deux tours. Un total surprenant de 39 candidats se sont présentés. Puisque la mise en candidature coûte 90 000 $ non remboursables, les rumeurs ont circulé que certains candidats n'étaient rien de plus que des hommes de paille mis de l'avant par diverses factions de riches, simplement pour drainer les votes de leurs adversaires.

Au premier tour du scrutin présidentiel, aucun candidat n'a obtenu la majorité absolue des voix. L'acteur et comédien Volodomyr Zelenskiy, dont la seule expérience politique est une émission télévisée populaire, a recueilli 30 % des suffrages et le président sortant, Petro Porochenko, 16 %., suivi de près par l'ex-première ministre Ioulia Timochenko.

Un deuxième tour de scrutin a eu lieu le 21 avril entre les deux candidats ayant reçu le plus de votes, Zelenskiy et Porochenko. Zelenskiy s'est présenté sous la bannière du Parti du serviteur du peuple, du nom de l'émission télévisée dont il est la vedette, tandis que Porochenko s'est présenté comme indépendant. Après le deuxième tour de scrutin, la Commission électorale centrale pour l'Ukraine a déclaré Zelenskiy le grand vainqueur avec 13 541 528 voix, soit 73,22 % des voix. Porochenko a recueilli 4 522 320 votes, soit 24,45 % des suffrages exprimés. Le taux de participation dans l'ensemble a été de 62,8 %.

Comparé aux autres pays européens, le président ukrainien, qui est élu directement par le peuple, dispose de beaucoup de pouvoir. Il ou elle peut opposer son veto au Parlement, commander à l'armée, diriger la sécurité nationale, nommer un tiers des juges, représenter l'Ukraine sur le plan international et diriger la politique étrangère. Le président nomme le premier ministre avec l'accord du Rada (parlement). Dans l'exercice de ses fonctions, le président est à l'abri de poursuites.

Le rôle des oligarques

L'élection présidentielle a révélé une fois de plus à quel point le pouvoir réel en Ukraine est détenu non pas par le peuple, mais par une dizaine d'hommes d'affaires ou d'« oligarques » milliardaires. Les oligarques, qui possèdent une richesse combinée qui représente un cinquième du produit intérieur brut du pays, se disputent sans cesse pour accroître leurs profits et leur pouvoir politique, utilisant le peuple ukrainien comme leur chair à canon. Certains d'entre eux ont des liens étroits avec l'Union européenne alors que d'autres sont plus étroitement liés à la Russie.

Les oligarques sont devenus riches après la prétendue chute du communisme en 1991 en pillant grâce aux moyens « légaux » et illégaux les biens précieux du gouvernement qui appartiennent au peuple ukrainien et qu'ils ont transformés en leur propre propriété privée. Porochenko est l'un de ces oligarques qui a émergé de ces batailles pour le butin. Ses principaux intérêts financiers sont concentrés dans la société de confiserie Roshen et dans la chaîne de télévision d'actualités numéro 5. Il détient également des participations dans les secteurs manufacturier, de l'agriculture et des finances.

Zelenskiy n'est pas lui-même un oligarque, mais il est fortement soutenu par le troisième homme le plus riche d'Ukraine, Igor Kolomoisky, à qui appartient la chaîne de télévision qui diffuse la série télévisée Serviteur du peuple, dans laquelle Zelenskiy est la vedette. Kolomoisky détient des participations importantes dans les métaux, l'énergie, l'aviation et les médias, y compris Burisma, la plus grande entreprise gazière privée d'Ukraine. Hunter Biden, fils de l'ancien vice-président américain Joe Biden, qui vient d'annoncer qu'il se présente comme candidat à l'investiture démocrate pour la présidentielle américaine en 2020, siège au conseil d'administration de Burisma.

Le duel entre les oligarques

Porochenko et Kolomoisky ont mené une longue querelle qui a éclaté après que Porochenko est devenu président pour la première fois en 2014 suite au coup d'État soutenu par les États-Unis. À l'élection de 2010, la plupart des oligarques ont soutenu Victor Yanoukovitch qui est devenu le nouveau président.

À la fin du mois de novembre 2013, Ianoukovitch a rejeté un accord commercial en suspens avec l'Union européenne qui aurait permis aux monopoles européens de s'emparer des marchés énergétiques cruciaux de l'Ukraine. Il a plutôt appelé à des liens plus étroits avec la Russie. Ianoukovitch a ensuite signé le 17 décembre plusieurs accords avec le président russe Vladimir Poutine, qui auraient permis de réduire d'un tiers le coût du gaz russe vendu à l'Ukraine. La Russie a également accepté de prêter 15 milliards de dollars à l'Ukraine à des conditions favorables.

Les accords avec la Russie ont mené au coup d'État parlementaire soutenu par les États-Unis qui a éliminé Ianoukovitch le 22 février 2014 et, finalement, à la nomination en juin de Petro Porochenko favorable à l'UE. Entre novembre 2013 et février 2014, Porochenko avait activement et financièrement soutenu les manifestations d'Euromaidan appuyées par les États-Unis, contre le gouvernement de Ianoukovitch.

La querelle entre les oligarques Porochenko et Kolomoisky a débuté par un différend sur le contrôle exercé par Kolomoisky sur deux sociétés énergétiques appartenant à l'État, UkrTransNafta et Ukrnafta, qui n'a été résolu que par les menaces américaines visant à saper les intérêts à l'étranger de Kolomoisky. Puis, en 2016, le gouvernement Porochenko a nationalisé la Privatbank de Kolomoisky, la plus grande banque d'Ukraine. Le gouvernement a également persuadé le Royaume-Uni de geler plus de 2,5 milliards de dollars des avoirs de Kolomoisky à l'étranger. Kolomoisky vit maintenant en exil à Genève et à Tel Aviv.

Les liens entre Zelenskiy et Kolomoisky sont nombreux, bien que Zelenskiy insiste sur le fait qu'il est un « agent libre ». Zelenskiy est l'employé de Kolomoisky et la chaîne de télévision de Kolomoisky a donné à Zelenskiy un temps d'antenne gratuit pour mener sa campagne politique. Des journalistes d'enquête rapportent que Zelenskiy a effectué au moins 13 visites à Kolomoisky en exil avant l'élection présidentielle. Les deux hommes partagent également le même avocat. Enfin, Kolomoisky a déclaré à plusieurs reprises que si Zelenskiy remportait les élections, il reviendrait en Ukraine après son exil.

À quoi faut-il s'attendre ?

L'Ukraine est devenue un des pays les plus pauvres d'Europe, même si des milliards de dollars occidentaux lui ont permis de rester sous le contrôle de l'Occident. Les nombreux problèmes de l'Ukraine comprennent l'instabilité économique, la corruption, les compressions dans les services sociaux, la multiplication par neuf du prix du chauffage au gaz, les guerres intermittentes, les meurtres de civils innocents, les manifestations dans les rues, les intrigues étrangères et l'adoption de lois favorables à un bloc ou l'autre. Depuis 2015, environ 1,3 million d'Ukrainiens ont quitté le pays pour chercher du travail ailleurs.

Pour donner un exemple de corruption, Porochenko a promis lors de son élection de mettre fin à la corruption, mais il a été exposé non comme opposant, mais comme participant à celle-ci. Les Panama Papers publiés en avril 2016 montraient que, contrairement à son engagement lorsqu'il avait pris le pouvoir en 2014 de vendre Roshen, Porochenko avait plutôt créé une société offshore dans les îles Vierges et y avait déménagé son entreprise juste après son élection. Cette décision lui a potentiellement permis d'économiser des millions de dollars en impôts ukrainiens. Une autre révélation des Panama Papers est que, alors qu'il était président, il avait dépensé un demi-million de dollars pour des vacances familiales secrètes aux Maldives en 2017.

Les forces réactionnaires ont donné un certain nombre de fausses raisons pour expliquer les problèmes auxquels l'Ukraine est actuellement confrontée : le passé communiste, le présent russe, les échecs personnels de quiconque se présente comme président, etc. Mais ce sont toutes des diversions. La véritable cause fondamentale des nombreux problèmes en Ukraine reste la prise de contrôle de l'État par les oligarques. Porochenko, Kolomoisky, d'autres oligarques et leurs partisans en Europe, en Russie, aux États-Unis et au Canada jouent tous leurs batailles économiques privées en Ukraine au détriment du peuple ukrainien.

S'ils se font passer pour des patriotes ukrainiens qui n'ont que les intérêts du peuple à coeur, les oligarques n'ont d'autre objectif que de s'enrichir davantage en essayant de mobiliser l'appui populaire envers leurs hommes pour défendre leurs intérêts personnels. Les oligarques ont pillé les avoirs de l'État appartenant au peuple pour s'enrichir dans un premier temps et continuent sur la même voie maintenant qu'ils ont accru leur pouvoir économique et politique. La récente élection de Zelenskiy n'améliorera absolument pas les conditions de vie du peuple, elle ne fera qu'aiguiser la contradiction fondamentale qui continue de déchirer l'Ukraine.


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 16 - 27 avril 2019

Lien de l'article:
Les élections présidentielles de 2019 en Ukraine: Les résultats vont aiguiser les contradictions internes - Dougal MacDonald


    

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