71e anniversaire du soulèvement de l'île de Jeju en Corée

Le massacre de Jeju rappelle la longue histoire d'agression américaine contre la Corée

Des activistes protestent à la base navale américaine sur l'Île Jeju, en Corée du sud,
le 20 juin 2017, contre l'arrivée de navires de guerre des États-Unis, du Canada et de Corée du sud pour des exercices militaires.

Le 3 avril 1948, sur l’île de Jeju, le gouvernement militaire américain en Corée a été à l’origine du massacre de Jeju. Cela a commencé plus de deux ans avant que les États-Unis déclenchent la guerre de Corée sous le couvert du drapeau des Nations unies. Ce n’est qu’en 2008, soixante ans plus tard, que la véritable ampleur des crimes commis à Jeju a commencé à se faire jour, lorsque des fosses communes ont été découvertes à l’aéroport de Jeju. Les événements ne sont toujours pas bien connus. Aujourd'hui, les insulaires de Jeju perpétuent la tradition du défi militaire en rejetant la base navale américaine en eau profonde construite sur l'île.

Avec les troisièmes sommets intercoréens et les sommets entre la RPDC et les États-Unis, il est important d'examiner les événements qui se déroulent dans leur véritable contexte historiquel, et non dans la perspective de la guerre froide imposée par les États-Unis pour justifier la division de la Corée et tous les crimes qui y sont associés. Ce faisant, il est possible de tirer les conclusions qui s'imposent quant aux raisons pour lesquelles la Corée était divisée, aux sources de tension sur la péninsule coréenne et à la nécessité de réunir la Corée et de défendre la cause de la paix internationale.

LML publie ci-dessous un extrait d'un article écrit par un ancien combattant et activiste pour la paix américain, S. Brian Wilson, sous le titre : « L'assaut des États-Unis et de la Corée du sud contre une île idyllique : pas la première fois », publié sur son blogue le 21 juin 2012.

L'assaut des États-Unis et de la Corée du sud contre une île idyllique : pas la première fois (extraits)
- S. Brian Wilson -

[...] Un des chapitres les plus sombres et finalement inconnus de l'intervention des États-Unis a eu lieu dans les régions sud de la Corée avant la Guerre de Corée. En 1945, dans une étude conjointe de renseignement de l'armée et de la marine américaines, il était dit que la vaste majorité des Coréens nourrissaient un profond désir d'indépendance et d'autodétermination, et qu'ils s'opposaient catégoriquement à tout contrôle par des successeurs des Japonais honnis qui les avaient gouvernés depuis 1910. Une autre étude américaine a aussi fait valoir que 80 % des Coréens désiraient un système socialiste plutôt que capitaliste.

Malgré les conclusions de ces documents internes, le président des États-Unis, Harry Truman, suite à la capitulation des Japonais en août 1945, a imposé une partition qui ne devait être que temporaire au 38e parallèle de la Corée, divisant ainsi une culture homogène vieille de 5 000 ans. Il a ensuite commandé au général américain Douglas MacArthur de « gouverner » le peuple vivant au sud du 38e parallèle. En octobre 1945, en quête d'un Coréen digne de confiance qui « partagerait le point de vue américain » pour qu'il soit l'homme fort des États-Unis, MacArthur a transporté des États-Unis à Séoul, à même son aéronef personnel, Syngman Rhee, un homme de 71 ans d'origine coréenne. Rhee, un méthodiste qui avait vécu aux États-Unis pendant 40 ans, devait être le gouverneur intermédiaire de la Corée, elle-même bouddhiste et confucianiste.


À gauche: Un acte illégitime n'attend pas l'autre après que les États-Unis eurent divisé la Corée, le général américain Douglas MacArthur (à gauche) impose dans la partie sud de la Corée Syngman Rhee en tant que « président ».  À son tour Rhee tient en mai 1948 des élections frauduleuses pour codifier la division.

De façon unilatérale, Rhee a décidé d'organiser des élections séparées en 1948 dans le but de créer le fondement « juridique » d'une Corée divisée de façon artificielle, en dépit d'une vaste opposition populaire partout dans la péninsule, au nord autant qu'au sud du 38e parallèle, y compris les résidents de l'île de Cheju (nommé maintenant Jeju et dont l'appellation sera dorénavant utilisée). Ce qu'on appelle le soulèvement du 3 avril 1948 à Jeju comme riposte à ces élections a en fait duré jusqu'en 1950. Il s'agit d'un des plus grands massacres de l'histoire moderne de la Corée. Le soulèvement de Jeju en 1948 n'est rien de moins qu'un microcosme de la Guerre de Corée à venir.

Selon une évaluation du renseignement national de la CIA, Rhee était si peu populaire qu'il était peu probable que la nouvelle République de Corée (RDC) puisse survivre sans « l'infusion massive d'aide des États-Unis ».

L'ambassade américaine a décrit la répression de l'opposition de Jeju à Rhee de campagne de « terre brûlée » et d'« extermination ». En vertu de protocoles secrets, les forces constabulaires et policières de la RDC ainsi que les unités paramilitaires étaient soumises au contrôle du Gouvernement militaire de l'armée américaine en Corée (USAMGIK).


Détention en masse en 1948 de personnes soupçonnés d'être communistes sur l'île de Jeju afin d'écraser le refus du peuple de se soumettre au diktat étranger

Aussi, selon des documents de la CIA, la politique sous l'égide du USAMGIK et le régime Rhee était dominée par une petite élite de riches Coréens qui répondait à la dissidence de la vaste majorité par la répression et avait recours à des politiques « d'une brutalité impitoyable » semblables à celles qui avaient servi à la structure japonaise précédente tellement haïe par la plupart des Coréens.


Représentation du début du massacre du 3 avril 1948 par l'artiste Kang Yo Bae sur la base de déclarations de témoignages - cliquer pour agrandir

Le gouverneur militaire américain de la Corée, John Reed Hodge, a informé les représentants du Congrès américain que « Jeju était une véritable région communale qui est contrôlée de façon pacifique par le Comité du peuple ». Malgré tout, il a commandé à trois officiers militaires américains (entre autres) — le colonel Harley E. Fuller, le capitaine John P. Reed, et le capitaine James Hausman — de conseiller et de coordonner la campagne d' « extermination » et de « terre brûlée ». Ces Coréens qui avaient collaboré avec les occupants japonais honnis s'étaient maintenant mis au service des forces constabulaires et policières coréennes entraînées par les Américains. Des unités paramilitaires de droite devinrent un élément sanguinaire de l'appareil de sécurité de Rhee. Des conseillers américains accompagnaient toutes les forces constabulaires et policières coréennes (ainsi que d'autres unités de la RDC après 1948) dans leurs campagnes au sol. Des pilotes américains pilotaient des C-47 pour le transport de troupes, d'armes et d'équipement de guerre, tout en dirigeant à l'occasion des frappes. Des officiers de renseignement américains fournissaient des renseignements sur une base quotidienne. De surcroît, des bâtiments de guerre de la marine américaine comme le USS Craig ont bloqué et procédé au bombardement de l'île, pour entraver l'arrivée des forces d'opposition additionnelles et des approvisionnements dans l'île, tout en empêchant les insulaires en proie au désespoir de fuir par bateau.

Le successeur de Hodge, le général William Roberts, avait déclaré qu'il était « de la plus haute importance » que les dissidents « soient détruits le plus tôt possible ». L'organisation de répression japonaise, la « ligue nationale d'orientation » (Bo Do Yun Maeng), a été consolidée par le régime Rhee. Elle avait servi à identifier de façon systématique tout Coréen qui s'était opposé à l'occupation du régime japonais et maintenant elle servait à identifier tous ceux qui s'opposaient de facto au règne sanguinaire des États-Unis et de Rhee. Des milliers de personnes ont été tuées, emprisonnées et torturées, et plusieurs d'entre elles ont été jetées à la mer. 


Quelques uns des légions d'enfants devenus orphelins suite au massacre de Jeju, qu'on voit ici en train de fuir vers un lieu sûr

Le gouverneur de Jeju à l'époque avait reconnu que la répression des 300 000 résidents de l'île avait eu comme conséquence que près de 60 000 insulaires avaient été tués tandis que 40 000 d'entre eux s'étaient enfuis par bateau au Japon. C'est ainsi qu'un tiers de ses résidents ont été soit tués ou se sont enfuis pendant la campagne d'« extermination ». Près de 40 000 maisons ont été détruites et 270 des 400 villages ont été rasés. Un des acolytes de Roberts, le colonel Rothwell Brown, soutenait que les insulaires n'étaient que « des fermiers et pêcheurs ignorants, sans éducation », un piètre prétexte pour justifier la répression de ceux qui, selon Brown, avaient refusé de reconnaître la « supériorité » de l'« American Way ».

Le secrétaire d'État américain, Dean Acheson, et le responsable de la Planification politique du département d'État, George Kennan, ont avoué en 1949 que la suppression de la menace interne en Corée du sud (c'est-à-dire l'attachement passionné des Coréens à l'autodétermination), en collaboration avec la CIA nouvellement créée, avait été déterminante à la préservation du pouvoir de Rhee et au succès assuré de la politique mondiale d'endiguement des États-Unis. La révolution chinoise de 1949 était un autre élément qui rendait nécessaire la répression des Coréens et de leur grand attachement à l'autodétermination indispensable au succès de la Guerre froide émergente. Ces efforts étaient accompagnés d'efforts semblables des États-Unis en Europe où les opérations clandestines de la CIA avaient réussi à écraser les mouvements socialistes au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.


La résistance des insulaires de Jeju a inspiré des soulèvements similaires sur la péninsule, qui ont été réprimés de manière aussi brutale par les forces appuyées par les États-Unis, au nom de contenir le communisme. Ici sont représentés des scènes de répression à Jeju en 1948.

L'étude de 1949-1950 du Conseil de sécurité nationale, le NSC-68, a élaboré les visées des États-Unis d'un système politique mondial « favorable à un environnement mondial où peut survivre et s'épanouir le système américain ».

La Guerre de Corée qui a duré de juin 1950 à juillet 1953 était une expression à une autre échelle de la lutte de 1948-1950 des insulaires de Jeju pour préserver leur autodétermination du règne tyrannique de Rhee appuyé par les États-Unis et de son groupe restreint de riches concitoyens. Fait peu connu, la division de la Corée de 1945 imposée par les États-Unis contre la volonté de la vaste majorité des Coréens a été la cause première de la Guerre de Corée qui a éclaté cinq ans plus tard. La guerre a détruit par bombardement la plupart des villes et villages au nord du 38e parallèle et plusieurs villes et villages au sud, et par conséquent quatre millions de Coréens ont été tués - trois millions (un tiers) de résidents vivant au nord et un million vivant au sud, en plus du meurtre d'un million de Chinois. Il s'agit d'un crime international de proportions effarantes qui est toujours non reconnu même s'il a fait cinq millions de victimes et séparé de façon permanente dix millions de familles coréennes.


Récupération de restes humains découverts dans une fosse commune près de l'aéroport
de l'île de Jeju, en 2008

Suite à la Guerre de Corée, Dean Acheson en est arrivé à la conclusion que « la Corée nous a sauvés », puisqu'elle avait permis aux États-Unis de mettre en oeuvre la stratégie impérialiste apocalyptique décrite dans le NSC-68. En Corée, la réalité est que les États-Unis ont imposé un gouvernement dictatorial après l'autre pendant 50 ans, longtemps après le départ forcé de Rhee en 1960, à l'âge de 85 ans. Depuis 1953, les États-Unis et la Corée du sud vivent en vertu d'un Traité de défense mutuelle, une entente sur le statut des forces et un commandement de forces combinées dirigé par un général américain à quatre étoiles. En réalité, en dépit des prétentions contraires, la Corée n'a jamais assumé sa souveraineté depuis la division imposée de la péninsule par les États-Unis en 1945. Les États-Unis ont eu jusqu'à 100 bases militaires et près de 50 000 soldats sur le territoire coréen, et encore aujourd'hui, ils ont une douzaine de bases et 28 000 soldats stationnés en Corée. Pendant des décennies, les États-Unis ont entretenu leur principal champ de bombardement asiatique dans le sud de Séoul. [...]

(Traduit de l'anglais par LML. Photos: US National Archives, Yang Jo Hoon, D.H. Song, kayakeurs contre la guerre)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 15 - 20 avril 2019

Lien de l'article:
71e anniversaire du soulèvement de l'île de Jeju en Corée: Le massacre de Jeju rappelle la longue histoire d'agression américaine contre la Corée


    

Site Web:  www.pccml.ca   Courriel:  redaction@cpcml.ca