Le fiasco du Brexit

Il n'y aura pas de solution sans que le peuple ne parle en son propre nom

Peu importe ce qu'elle fait, la première ministre britannique Theresa May approfondit la crise politique sur la question du Brexit. Mais la crise sous-jacente est beaucoup plus profonde que la politique d'autodestruction, de déni et d'irrationalité absolue de May. En d'autres mots, même si May devait être remplacée en tant que chef du Parti conservateur et première ministre, la crise ne sera pas résolue pour autant, certainement pas au sein du Parti conservateur ni de la Chambre des communes, ni même à l'intérieur des paramètres d'un système de partis cartels au sein duquel le peuple n'a aucun mot à dire sur les décisions touchant à sa vie. Au contraire. Objectivement, pour qu'il y ait solution à la crise, le peuple doit être véritablement investi du pouvoir d'avoir un mot à dire sur ces décisions. Même en ce moment, les gens de toutes les régions du pays et de tous les milieux disent ouvertement ce qu'ils veulent, mais ceux et celles qui parlent en leur nom ne les écoutent pas. C'est à ce niveau qu'il faut provoquer un changement.

Manifestation à Londres le 20 octobre 2018

Peu importe l'option qui est adoptée, partir ou rester, ou même les diverses variétés votées par les députés par vote indicatif, elles ne sont pas des solutions à la crise politique. C'était là, dès le départ, une des composantes incontournables du référendum. La question à laquelle était confronté le corps politique n'en était pas une de partir ou de rester. Le fond de la question était et est toujours que les travailleurs eux-mêmes doivent commencer à traiter de la question de résoudre la crise en leur faveur en ayant leur propre programme indépendant sur la base de leur propre point de vue.

Dans les circonstances de cette crise, peu importe la position adoptée par les députés sur l'Union européenne, il est peu probable que les solutions offertes vont régler les différends et les intérêts conflictuels de chacun sur la question du Brexit. En effet, le fait que l'ensemble des députés, plutôt que le gouvernement ou l'exécutif, « prenne le contrôle » de l'ordre du jour ou de la Chambre des communes indique le contraire.

À mesure que les passions sont attisées et plus particulièrement, que la frustration et la désillusion face à l'impasse du Brexit se font ressentir, comment la classe ouvrière va élaborer la façon dont elle va intervenir dans la situation d'une façon qui lui est favorable continue d'être la question essentielle à l'aboutissement final. Theresa May a désespérément recours à une rhétorique irrationnelle comme lorsqu'elle déclare qu'elle est du côté du peuple en opposition à l'Assemblée législative. S'il est vrai qu'il s'agit là d'un aveu certain que « le peuple » n'est pas à l'Assemblée législative – que celle-ci n'est pas « du peuple » - le but est de faire oublier au peuple que le système de Westminster est anachronique, dysfonctionnel au point qu'il ne peut être corrigé et nécessite un renouvellement fondamental pour que les élus rendent des comptes au peuple plutôt qu'une relique de l'époque médiévale. Les arrangements actuels sont le fruit de la Guerre civile anglaise de 1642-1651 qui a créé un État liant entre eux les privilèges médiévaux, la définition des droits fondés sur la propriété et la souveraineté fondée sur la territorialité. Ces arrangements ne sont plus propices aux conditions d'aujourd'hui qui ont surpassé ces limites. Que représente le parlement britannique dans cette guerre civile actuelle qui fait rage en Grande-Bretagne ? Pourquoi la classe ouvrière anglaise, écossaise et galloise se rangerait-elle d'un côté ou de l'autre des intérêts rivaux plutôt que de parler en son propre nom et d'élaborer ses propres intérêts ?

Workers' Weekly, le quotidien du Parti communiste révolutionnaire de Grande-Bretagne (marxiste-léniniste), parle des options offertes au peuple. On prétend qu'« appuyer le Brexit, c'est faire preuve de xénophobie et de risquer le désastre économique, ou qu'appuyer le Rester c'est d'être indifférent aux intérêts de la classe ouvrière. D'autre part, on prétend qu'un 'Brexit du peuple' empêcherait les monopoles européens de dicter l'économie britannique et d'exploiter les travailleurs migrants bon marché, et que la révocation de l'article 50 protégerait les droits qui sont soi-disant garantis par l'Union européenne et qui permettent aux gens de voyager librement partout en Europe ».

Ce dont les peuples de la Grande-Bretagne ont vraiment besoin, fait valoir Workers' Weekly, c'est d'élaborer leurs propres points de vue dans la situation actuelle, qui leur permettront de s'investir du pouvoir pour établir la direction économique et politique de la société. « C'est la question commune à laquelle est confronté le corps politique dans son ensemble et qui indique dans quelle perspective s'engager pour offrir une solution à la crise du Brexit qui soit favorable au peuple. Cela nécessite de nouvelles formes, des formes qui vont faire en sorte que la voix du peuple deviendra le facteur déterminant », affirme Workers' Weekly.

« La réalité de la Grande-Bretagne, de son élite dominante et de son rôle dans le monde doit être prise en compte. C'est la question cruciale qui doit prévaloir sur d'autres, par exemple à savoir si dans la relation de l'Europe européenne avec la Grande-Bretagne, cette première joue-t-elle le rôle de bienfaitrice ou de dictatrice ? On pourrait en effet soutenir que l'ordre du jour néolibéral dans son ensemble du gouvernement de Westminster est le même que celui des oligarques de l'Union européenne. Ce qu'il faut reconnaître c'est que l'impérialisme britannique est responsable d'innombrables crimes depuis l'avènement de ce stade parasitaire du capitalisme. Avant cette période, les colonialistes britanniques ont bâti leur empire sur lequel 'le soleil ne se couche jamais' et ont réduit à l'esclavage et détruit les peuples de cet empire, arrachant une richesse faramineuse des peuples et des ressources », fait valoir Workers' Weekly.

Clairement, ce qui est en jeu est comment contrôler et augmenter le butin de la « grande » Bretagne. « En particulier, Londres est devenue le centre des marchés financiers du monde entier. Il s'agit du capital financier parasitaire à son paroxysme, un sommet que l'élite dominante tente jalousement de préserver pour elle-même, Brexit ou pas », écrit Workers' Weekly.

« Les luttes intestines acharnées et continues au sein des cercles dominants représentent aussi les différents positionnements dans leurs rangs sur l'avenir de l'OTAN, par exemple, sur la défense et la militarisation de l'économie, qu'on dissimule sous des déclarations sur l'intérêt national ou dans quelle direction l'économie doit aller », dit Workers' Weekly.

Celui-ci rajoute : « La Grande-Bretagne a une responsabilité envers le peuple irlandais de régler les questions conformément aux aspirations et aux luttes du peuple de l'Irlande. La classe dominante de l'Angleterre a dominé l'île de l'Irlande depuis des centaines d'années. En plein coeur de la Première Guerre impérialiste, les Irlandais ont combattu héroïquement pour leur indépendance et ont été sauvagement massacrés par les Britanniques. Mais une étincelle en a jailli et au cours de la lutte du peuple irlandais pour l'indépendance, les Britanniques ont magouillé pour annexer six comtés dans le nord de l'Irlande. La Déclaration de Downing Street affirmait que le peuple de l'île de l'Irlande devait décider de son avenir, et l'Entente du vendredi-saint de 1998 était en soit un développement politique majeur qui était aussi un traité de paix auquel s'étaient engagés les partis britanniques et irlandais. C'est cette entente que le PUD (Parti unioniste démocratique) s'apprête à renier et que Theresa May est prête à jeter à la poubelle dans la poursuite fébrile de son « Deal ».

Des milliers de personnes marchent dans les rues de Londres à la défense du système national de santé le 4 mars 2017.

« Un autre ingrédient indispensable à la solution de la crise politique dans laquelle les diverses factions de l'élite dominante ont embourbé la Grande-Bretagne, et que le référendum sur le Brexit a gravement exacerbée, est celui de bâtir l'unité des peuples d'Écosse, du pays de Galles et de l'Angleterre - une classe ouvrière, un programme. Ceci nécessite des arrangements complètement différents entre les trois pays, sans oublier l'Irlande elle-même, sur la base que l'Écosse et le pays de Galles ont besoin de leur propre projet d'édification nationale, étant donné que le projet d'édification nationale colonialiste en Angleterre a depuis longtemps fait son temps, et que derrière le masque de la Mère de la démocratie parlementaire, il a laissé un legs toxique profondément enraciné dans le colonialisme et l'histoire. »

Workers' Weekly dénonce les tentatives d'inciter les gens à s'entredéchirer sur la base de se ranger d'un côté ou de l'autre du fiasco du Brexit afin de trouver la justice et le progrès. Et il s'agit bel et bien d'un fiasco - « quelque chose qui est un échec total, particulièrement grotesque et humiliant ».

La classe ouvrière de l'Angleterre, d'Écosse et du pays de Galles, où on retrouve des gens de ces nationalités locales et de nationalités issues des quatre coins du monde, constitue une seule classe ouvrière qui parle en effet en son propre nom contre l'offensive antisociale et en appui à un programme prosocial qui soutient la dignité du travail et place les êtres humains au centre de tout développement. « Les deux facettes de cette revendication, en relation avec le collectif de la classe ouvrière et aux droits et au bien-être de toutes les sections du peuple, sont partie intégrante de la solution globale du Brexit. L'unité du peuple doit être défendue autant par les partisans du Brexit que par ceux qui s'y opposent. Le droit de conscience veut que chacun ait le droit de préconiser ses positions sur la base de comment elles servent à résoudre la crise. Naturellement, personne ne devrait avoir le droit d'organiser sur la base de traiter d'autres êtres humains comme s'ils n'étaient pas dignes d'avoir des droits. La résolution de cette impasse est d'affirmer qu'il est bien que chaque côté défende ses positions et que tout le monde ait le droit de parler et d'organiser pour gagner de l'appui, mais tout cela doit se faire sans oublier la politique de responsabilité sociale en opposition à la politisation irresponsable d'intérêts personnels. »

Workers' Weekly dit qu'il ne faut pas hésiter à demander à ceux qui défendent telle ou telle position de tenter de répondre à la question de comment les problèmes auxquels le peuple est confronté peuvent être résolus et comment les positions adoptées face au Brexit vont contribuer à cette cause. Les solutions doivent être justifiables.

Workers' Weekly fait valoir que dans le contexte de cette discussion, on doit reconnaître que les arrangements politiques sont tels que le peuple n'est pas investi du pouvoir pour mettre en oeuvre ou même en arriver à des décisions qui touchent à la société, et que les arrangements économiques sont dictés par des intérêts privés étroits. Les transactions ont donné lieu à un grand nombre de variations proposées, qu'il s'agisse de Quitter ou Rester, d'une union douanière, de l'adhésion complète à l'Union européenne, de l'abandon des règlements de l'Organisation mondiale du commerce, ou d'autres propositions, dont plusieurs sont basées sur des institutions et des arrangements qui sont eux-mêmes embourbés dans la crise et l'irrationalité.

« Les manigances de la Chambre des communes non seulement sont malvenues et ont contribué à abaisser le niveau du discours politique, mais elles ne visent pas à résoudre les problèmes créés par les résultats du référendum de sorte à ouvrir une voie vers l'avant ». L'arrangement d'un parti au pouvoir et d'un parti dans l'opposition est incapable de négocier quoi que ce soit en raison de l'absence d'un objectif prosocial. Le gouvernement de cabinet et ses pouvoirs de prérogative sont dysfonctionnels. Ils sont en lambeaux. Les votes parlementaires ne veulent plus rien dire puisqu'ils sont interprétés comme étant « significatifs » ou « indicatifs » en fonction de propositions que les députés reçoivent sur leur compte Twitter ou autres médias sociaux. Tenter même de donner une explication rationnelle à des façons de faire aussi irrationnelles nous plonge nous-mêmes dans l'irrationalité. Défendre le système de pouvoir de Westminster comme le paradigme de la démocratie et d'un monde civilisé, c'est de refuser de voir que le soleil s'est déjà couché, qu'une nouvelle aube est déjà à l'horizon et qu'il faut s'y préparer.

Workers' Weekly attire notre attention sur le fait qu'aujourd'hui « le budget est consacré à la production de guerre, plutôt qu'aux hôpitaux et aux programmes sociaux, et toutes sortes de justification sont concoctées pour promouvoir l'austérité. Des ententes sont tramées à huis clos. Les grandes entreprises et Londres règnent en maîtres. »

Des délibérations rationnelles sont nécessaires pour traiter de ces questions, fait valoir le journal. Au contraire, les gens « sont privés des conditions leur permettant de tirer des conclusions rationnelles et informées et de s'unir autour d'elles. On peut affirmer avec confiance que la question à laquelle sont confrontés la classe ouvrière et le peuple n'est pas la question de oui ou non au Brexit. La question ne relève pas d'une telle fausse dichotomie. La question à laquelle ils sont confrontés est comment activer la sagesse des peuples du pays de Galles, d'Irlande, d'Écosse et de l'Angleterre. »

« Il importe peu si la Grande-Bretagne reste ou pas membre de l'Union européenne, elle-même en proie aux crises et à l'absence d'unité entre les pays qui en font partie et à des prises de décision pour lesquelles personne ne rend des comptes. Il importe peu non plus à quelle date se fera le départ. Il existe une volonté de renverser la situation d'une façon qui est favorable à la classe ouvrière et au peuple, de sorte à régler les comptes avec tout ce qui s'avère totalement pourri dans l'ancienne façon de faire les choses. De nouveaux arrangements sont nécessaires. Sans ces arrangements, comment pourra-t-on réaliser les objectifs d'échanges commerciaux internationaux fondés sur l'avantage réciproque, de respect de la souveraineté de toutes les nations, du règlement des questions internationales par le biais de moyens pacifiques et de l'application de l'État de droit ? Ce ne sera pas possible. »

« Face à une crise multilatérale, l'alternative qui s'impose est d'investir le peuple du pouvoir pour qu'il ait un mot décisif à dire sur toutes ces questions qui le touchent de près », conclut Workers' Weekly.


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 14 - 13 avril 2019

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