La dispute au sujet du passage du Nord-Ouest

Le passage du Nord-Ouest, la voie de navigation qui passe par les nombreuses îles de l'archipel de l'Arctique canadien, est revendiqué depuis longtemps par le Canada en tant qu'eaux intérieures sous sa compétence territoriale. Cependant, cette prise de position est contestée par les États-Unis (et divers pays européens) qui prétendent que le passage est un détroit international qui unit « une région des hautes mers à une autre » - le détroit de Davis à l'est et le détroit de Beaufort à l'ouest.[1] Ainsi, du point de vue de l'administration américaine, il ne relève pas de la compétence juridique du Canada et elle n'a donc pas besoin de l'autorisation du gouvernement canadien pour y naviguer. À mesure que l'Arctique fond et ouvre davantage la voie au transport transocéanique - commercial et militaire - la question risque de s'envenimer.

La position canadienne sur le passage du Nord-Ouest a été présentée en 1985 à la Chambre des communes par le secrétaire d'État aux Affaires extérieures de l'époque, Joe Clark, qui a dit : « La souveraineté du Canada dans l'Arctique est indivisible. Elle s'étend aussi bien à la terre qu'à la mer et à la glace. Cette souveraineté s'étend sans interruption aux côtes des îles arctiques tournées vers l'océan. Ces îles sont rattachées, et non divisées, par l'eau qui se trouve entre elles. Elles sont reliées la plus grande partie de l'année par de la glace. Depuis des temps immémoriaux, les Inuits du Canada utilisent et occupent la glace comme ils utilisent et occupent la terre. La politique du gouvernement consiste à maintenir l'unité naturelle de l'archipel arctique canadien et à préserver intégralement la souveraineté canadienne sur la terre, sur la mer et sur la glace. »[2]

Clark a livré son discours au lendemain du voyage du navire de la Garde côtière américaine Polar Sea par le passage du Nord-Ouest en 1985, sans l'autorisation officielle du gouvernement canadien. Cet acte de provocation du gouvernement américain en avait enragé plus d'un au Canada et avait été perçu comme une violation de la souveraineté canadienne. Il y avait eu des actions de protestation partout au pays, y compris un incident où des étudiants canadiens et des activistes inuits avaient largué, à partir d'un avion, un drapeau canadien et des tracts sur le pont du Polar Sea pour exhorter l'équipage à sortir du passage du Nord-Ouest et à retourner dans les eaux internationales.[3] De son côté, l'Union soviétique avait appuyé la déclaration de souveraineté du Canada sur le passage, comme elle le faisait elle-même sur le passage du Nord-Est qui passe le long de ses côtes de l'autre côté de la calotte glacière polaire (une prise de position que la Russie a maintenue jusqu'à ce jour).

Une controverse de même nature s'est produite en 1969 lorsqu'un pétrolier américain, le SS Manhattan, a passé par le passage du Nord-Ouest sans en demander l'autorisation du gouvernement canadien. Cette fois encore, ce geste avait suscité des actions de protestation. Par exemple, au cours du voyage le long de la voie maritime glacée, « des chasseurs inuits ont arrêté le vaisseau et ont exigé que son maître demande l'autorisation de passer par le territoire canadien, ce qu'il a fait, et les chasseurs lui ont alors accordé leur autorisation ».[4]


Lorsque le SS Manhattan, le premier pétrolier à traverser le passage du Nord-Ouest,
est passé devant le hameau de Pond Inlet en 1969, Joseph Komangapik s'est placé en
face de lui et a commencé à construire un igloo. Ce geste symbolique a fait la une de plusieurs grands médias au Canada.

Même à l'époque tendue de la guerre froide et de la stratégie nucléaire du bord de l'abîme, les États-Unis ont toujours perçu leur droit incontesté de passage comme primordial, non seulement dans l'Arctique, mais mondialement. En effet, ces intérêts maritimes mondiaux « empêchent le gouvernement américain de concéder au Canada le passage du Nord-Ouest ». Comme l'a dit un commentateur, les États-Unis « vont continuer de faire étalage de leur puissance dans les détroits et les canaux et de protéger ces routes commerciales vitales partout dans le monde. »[5]

En 1987, plus d'un an après l'incident du Polar Sea, le premier ministre Brian Mulroney a rencontré le président des États-Unis de l'époque, Ronald Reagan, et a discuté du passage du Nord-Ouest. Essentiellement, plutôt que de poursuivre la question sur le plan juridique ou diplomatique, les deux pays ont accepté de ne pas être d'accord. Ils ont décidé « que les États-Unis demanderaient toujours l'autorisation avant d'expédier des brise-glaces dans le passage du Nord-Ouest. Et, à chaque fois, les Canadiens leur accorderaient cette autorisation ».[6]

À ce moment-là, selon certains analystes, « les Américains ne voulaient pas créer un précédent qui ferait en sorte que le fait d'accepter la souveraineté canadienne sur le passage du Nord-Ouest se répercuterait ailleurs comme dans le détroit de Hormuz (entre le golfe Persique et le golfe d'Oman) ». Mais un autre facteur est venu compliquer la donne. Les Américains ne voulaient pas remporter une contestation juridique contre le Canada devant un tribunal international « puisque le message d'une telle victoire serait que les pays comme la Russie auraient ensuite le droit international incontestable de transiter par le passage du Nord-Ouest » près du continent nord-américain.[7]

La question s'est estompée pendant quelques années. Cependant, dans les derniers jours de son administration en 2009, le président George W. Bush a émis la « directive présidentielle de sécurité nationale —66 ». Selon cette directive : « Les États-Unis ont des intérêts de sécurité nationale vastes et fondamentaux dans la région de l'Arctique et sont disposés à agir soit indépendamment ou en conjonction avec d'autres États pour sauvegarder ces intérêts... »[8]

Cette directive conteste à la fois le Canada et la Russie. On y lit : « La liberté de navigation est une priorité nationale. Le passage du Nord-Ouest, (revendiqué par le Canada) est un détroit qui sert à la navigation internationale, et la route maritime arctique (revendiquée par la Russie) comprend des détroits servant à la navigation internationale. Le régime de passage en transit s'applique au passage par ces détroits. La préservation des droits et responsabilités liés à la navigation et au survol dans la région de l'Arctique appuie notre capacité d'exercer ces droits partout dans le monde, y compris dans des détroits stratégiques. »

Lorsque le gouvernement Harper a adopté un système obligatoire de surveillance de la navigation, l'administration américaine a émis une note diplomatique de protestation le 19 mars 2010 et a réitéré sa position selon laquelle « le passage du Nord-Ouest est un détroit qui sert à la navigation internationale et le Canada n'a pas le droit d'imposer de façon unilatérale de telles obligations ». [9]

Depuis que l'administration Trump est arrivée au pouvoir, selon certains observateurs, il y a des indications que les États-Unis pourraient intensifier leur contestation face au Canada sur le passage du Nord-Ouest. Ceci est conforme à son mépris des lois et des ententes internationales et à son attitude belliqueuse envers amis et ennemis, envers les conséquences imprévues qu'il faut balayer de la main.

Récemment, le secrétaire américain de la Marine, Richard Spencer, a dit que « les États-Unis devront être plus engagés dans la région » en menant des manoeuvres de liberté de navigation « dans le nord-ouest, dans le passage du nord ». [10]. Il n'est pas clair si ce « passage du nord » est le passage du Nord-Ouest du Canada ou le passage du Nord-Est de la Russie ou les deux. L'une ou l'autre de ces manoeuvres serait une véritable provocation et, pour ce qui est de la Russie, dangereuse sur le plan militaire.

Notes

1. Charron, Andrea. « The Northwest Passage in context », Canadian Military Journal, Hiver 2005-2006

2. Killas, Mark. « The legality of Canada's claims to the waters of its Arctic archipelago ». Ontario Law Review, Vol. 19 :1

3. « 1985 Polar Sea controversy », Wikipedia, consulté le 26 mars 2019

4. « SS Manhattan (1962) », Wikipedia, consulté le 26 mars 2019

5. Charron, Andrea. Ibid

6. Beeler, Carolyn. » Who controls the Northwest Passage ? It's up for debate », PRI's The World, 4 septembre 2017

7. Huebert, Rob. « Protecting Canadian Arctic Sovereignty from Donald Trump, » Institut canadien des affaires mondiales, novembre 2018

8. « Directive présidentielle de sécurité nationale -- 66, » Maison-Blanche, Bureau de l'attaché de presse, 9 janvier 2009

9. Huebert, Rob. Ibid

10. Lajeunesse, Adam. « Is the next big fight over the North-West passage coming ? » Policy Options, 14 février 2019


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 13 - 6 avril 2019

Lien de l'article:
La dispute au sujet du passage du Nord-Ouest


    

Site Web:  www.pccml.ca   Courriel:  redaction@cpcml.ca