Le Royaume-Uni rejette un avis de la Cour internationale de justice sur l'archipel des Chagos
- Craig Murray -
Au Parlement [britannique], [le député]
Alan Duncan pour le gouvernement vient de rejeter le résultat
stupéfiant d'hier [25 février] à la Cour
internationale de justice (CIJ), où l'occupation britannique des
îles Chagos a été jugée illégale
à la majorité de 13 voix contre 1. Tous les
juges des pays de l'Union européenne se sont
prononcés contre le Royaume-Uni.
Cela représente une
sérieuse escalade dans le rejet par le Royaume-Uni du
multilatéralisme et du droit international et un pas en avant
vers l'adhésion au modèle américain d'exception,
qui ne relève pas de la règle du droit international.
À ce titre, il s'agit sans doute du développement de
politique étrangère le plus important depuis des
générations. Pendant la guerre en Irak, alors que la
Grande-Bretagne avait déclenché la guerre sans
l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies,
elle avait invoqué un argument peu convaincant en affirmant
qu'elle détenait l'autorité du Conseil de
sécurité issue de résolutions antérieures.
Le Royaume-Uni ne rejetait donc pas carrément le
système international. Dans le cas des Chagos, il nie tout
simplement l'autorité de la Cour internationale de justice et
c'est absolument sans précédent.
Duncan a avancé deux arguments.
Premièrement, l'avis de la CIJ n'était «
que » consultatif à l'Assemblée
générale. Deuxièmement, il a fait valoir que la
CIJ n'était pas compétente, qu'il s'agissait d'un
différend bilatéral avec la République de Maurice
(et qu'elle ne pouvait donc saisir la CIJ qu'avec le consentement du
Royaume-Uni,
qui n'a pas été donné).
Mais ici, contre tous les précédents
britanniques et la politique antérieure, Duncan est en train de
défier une décision de la CIJ. Dans la présente
affaire, le gouvernement britannique a vivement contesté la
compétence de la CIJ, uniquement pour les motifs invoqués
par Duncan. La CIJ a examiné les arguments du Royaume-Uni, ainsi
que ceux
de 32 autres États et de l'Union africaine. La CIJ a
décidé qu'elle était compétente, car il ne
s'agissait pas d'un différend bilatéral, mais d'une
partie
du processus de décolonisation ordonné par l'ONU.
La décision de la Cour internationale de justice
sur ce point est détaillée aux paragraphes 83
à 91 de ses conclusions. Voici ce qui est peut-être la
section clé :
88. La Cour conclut en conséquence que
l'avis est demandé sur la question de la décolonisation,
qui intéresse particulièrement les Nations Unies. Les
interrogations soulevées par la demande s'inscrivent dans le
cadre plus large de la décolonisation, et notamment du
rôle de l'Assemblée générale en la
matière, un cadre dont elles ne peuvent
être dissociées (Sahara occidental, avis consultatif, CIJ
Recueil 1975, p. 26, par. 38 ; Conséquences
juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif, CIJ Recueil 2004 (I),
p. 59, par. 50).
89. En outre, la Cour relève que des
divergences de vues peuvent se faire jour sur les questions juridiques
en jeu dans une procédure consultative (Conséquences
juridiques pour les États de la présence continue de
l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la
résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis
consultatif, CIJ Recueil 1971, p. 24, par. 34). Cela
étant, le fait qu'elle puisse être amenée à
se prononcer sur des questions juridiques au sujet desquelles des vues
divergentes ont été exprimées par Maurice et le
Royaume-Uni ne signifie pas que, en répondant à la
demande, la Cour se prononce sur un différend bilatéral.
90. Dans ces circonstances, la Cour ne
considère pas que le prononcé de l'avis sollicité
aurait pour effet de contourner le principe du consentement de
l'État au règlement judiciaire de son différend
avec un autre État. Elle ne saurait en conséquence, dans
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser pour ce motif
de donner un tel
avis.
91. Compte tenu de ce qui précède, la
Cour conclut qu'il n'existe aucune raison décisive devant la
conduire à refuser de donner l'avis demandé par
l'Assemblée générale.
Comme indiqué au paragraphe 183, que la
Cour est compétente à l'unanimité, même le
juge américain (le seul dissident sur la question principale)
est en accord. Le fait que le gouvernement britannique rejette la
décision unanime de la CIJ sur la compétence, et cite
cela au Parlement comme raison de ne pas suivre l'avis de la CIJ,
constitue une abrogation étonnante du droit international par le
Royaume-Uni. C'est vraiment sans précédent. La
répudiation du groupe de travail de l'ONU sur la
détention arbitraire de Julian Assange a montré la
direction vers laquelle le Royaume-Uni dérive, mais cet organe
n'a pas le prestige de la CIJ.
La CIJ représente le
summum absolu du droit international et en incarne le principe.
Dans 176 décisions, telles que Nigeria c. Cameroun
ou Malaisie c. Indonésie, des conflits potentiellement
désastreux ont été évités
grâce à l'accord des États de se conformer à
la règle de droit. L'attaque actuelle
de la CIJ par le Royaume-Uni est un développement vraiment
désastreux.
J'ai tenu pour acquis que vous savez que la raison pour
laquelle le Royaume-Uni refuse de décoloniser les îles
Chagos est qu'il veut maintenir la base aérienne de
l'armée américaine à Diego Garcia. Si le Brexit se
concrétise, les îles Chagos entraîneront
également un important désaccord de politique
étrangère entre le Royaume-Uni et les
États-Unis d'un côté, et l'UE, de l'autre. L'UE
sera vraiment stupéfaite par la répudiation britannique
de la CIJ.
J'ai étudié en entier le long avis de la
CIJ sur les îles Chagos, ainsi que les documents associés,
et j'écrirai plus en détail prochainement.
Craig Murray est un ancien diplomate britannique.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 11 - 23 mars 2019
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