Les stratagèmes du gouvernement albertain pour payer les riches

Les défis posés aux travailleurs par une économie qu'ils ne contrôlent pas

Les manifestations en Alberta depuis octobre et novembre de l'année dernière et l'important convoi de camions de l'Alberta qui a atteint Ottawa le 19 février et le rassemblement des camionneurs sur la colline du Parlement ont soulevé la question cruciale : existe-t-il une alternative à la direction actuelle de l'économie ?

Le peuple albertain a connu de nombreuses difficultés au cours de la dernière décennie. La crise économique mondiale de 2009 a entraîné une baisse importante de la demande de produits énergétiques. La chute de la demande s'est accompagnée d'une forte augmentation de l'offre des producteurs américains de pétrole brut léger utilisant la technique de la fracturation hydraulique. Il en a résulté une chute abrupte du prix du marché mondial en 2014 de toutes les qualités de pétrole. Évidemment, lorsque le secteur le plus important de l'économie albertaine entre en récession, cela touche tous les secteurs, car les emplois disparaissent et la circulation de la richesse sociale ralentit de plus en plus.

Les travailleurs ont été abasourdis par le caractère soudain, profond et persistant du ralentissement économique. De nombreuses villes et régions fortement dépendantes du secteur de l'énergie ont connu un déclin qui s'est quelque peu modéré, mais s'est essentiellement poursuivi jusqu'à maintenant. À cela s'ajoutent les inondations catastrophiques de 2013 à Calgary et dans la région environnante, et trois ans plus tard, les incendies de forêt qui ont ravagé une grande partie du nord de l'Alberta, entraînant l'évacuation et la destruction importante de la ville de Fort McMurray et endommageant une grande partie de l'infrastructure de la région, dont celle liée aux hydrocarbures.

La crise dans le secteur de l'énergie qui sévit depuis une dizaine d'années n'est pas une première, mais celle-ci est pire encore car il y a encore plus en jeu. Pour répondre aux besoins de main-d'oeuvre liés à la croissance du secteur, la population de l'Alberta a connu une croissance régulière, passant d'un million de personnes en 1953 à 4,3 millions aujourd'hui. D'importants investissements ont été réalisés dans les sables bitumineux où des projets qui existent maintenant font paraître si petits ceux du passé. Pour desservir cette production, une vaste infrastructure de travail a été créée : routes, ponts, voies ferrées, pipelines et lignes de transport d'électricité. Rien ne se passe sans la présence des travailleurs. Les écoles, les hôpitaux, les logements, les commerces de détail et d'autres infrastructures sociales et services publics ont donc été construits dans le souci de soutenir le secteur de l'énergie et d'en tirer la richesse sociale nécessaire à l'échange des biens et des services dans leur ensemble.




Les pancartes et affiches sur les camions prenant part au convoi présentent les revendications au gouvernement pour qu'il garantisse le bien-être des travailleurs et des communautés, en particulier en Alberta, dont le moyen de subsistance dépend de l'industrie pétrolière et gazière.

Cela ne veut pas dire que les Albertains travaillent uniquement dans le secteur de l'énergie, loin de là, mais la position dominante de ce secteur et le nombre de personnes qui y sont directement et indirectement connectées sont si énormes que le ralentissement économique ressenti est particulièrement sévère, durable et sans solution véritable en vue. L'appel par certains d'avoir plus de pipelines alors que d'autres réclament une taxe sur le carbone détournent l'attention, car ce qui est requis est plus substantiel que cela. En fait, l'aspect le plus frustrant est peut-être l'absence de discussion sur une alternative, notamment un plan fondé sur des principes pour mettre en place une économie diversifiée et indépendante, à l'abri des problèmes, pressions et vols issus d'une économie de guerre impérialiste à l'échelle mondiale, une économie qui joue un rôle positif en montrant comment lutter contre le réchauffement climatique de manière à ne pas nuire à l'économie et aux travailleurs. Le cerveau et le travail des êtres humains qui ont donné lieu aux développements actuels sont tout à fait capables de trouver des solutions pour mettre l'Alberta et le Canada sur une voie durable et socialement responsable.

Trouver la voie à suivre avec une alternative viable est la partie difficile lorsque les travailleurs ne contrôlent pas la désinformation des médias ou celle des gouvernements et des partis politiques au pouvoir qui se disputent les élections pour former le prochain gouvernement. Plus important encore, ils ne contrôlent pas l'économie, en particulier le secteur de l'énergie. Trouver et élaborer une alternative signifie prendre en main la politique indépendante de la classe ouvrière et mettre fin au contrôle du secteur par l'oligarchie financière mondiale. Réinvestir dans l'économie la valeur sociale accumulée du secteur de l'énergie dans le but de la diversifier et de l'élargir créerait un rempart sous le contrôle des Albertains qui pourrait plier lorsque les crises internationales éclatent, mais ne romprait pas son engagement à garantir les moyens de subsistance, la sécurité et le bien-être de tous. Le contrôle exercé en Alberta permettrait de consacrer une partie importante de la richesse sociale produite par les travailleurs du secteur de l'énergie au développement d'une économie indépendante à aspects multiples, dans laquelle le secteur de l'énergie jouerait un rôle important sans pour autant passer de la surchauffe à la contraction comme c'est le cas aujourd'hui. Cela signifie également utiliser les ressources et la valeur que les travailleurs produisent comme capital de départ pour trouver des solutions à la dégradation de l'environnement et aux émissions de carbone et les maîtriser de manière scientifique planifiée.

De nombreux Albertains se grattent la tête et se demandent comment une si grande quantité de richesse sociale, produite au fil des ans, a engendré si peu de stabilité et de sécurité. Comment se fait-il qu'une baisse du prix mondial du pétrole et du prix que d'autres sont disposés à payer pour le pétrole albertain puisse avoir un effet si dévastateur sur l'ensemble de l'économie et de la province après toutes ces années de production d'une richesse sociale prodigieuse ? Un problème majeur dont les travailleurs doivent tenir compte est que les intérêts privés qui contrôlent ce que produisent les Albertains n'ont absolument aucune préoccupation ni même aucun lien avec les personnes qui vivent ici et ont dilapidé une grande partie de la richesse produite.

Cela se voit particulièrement dans l'ordre du jour simpliste que l'élite dirigeante propose comme solution à la crise. L'ordre du jour peut se résumer à « toujours la même chose  ». Le « toujours la même chose » peut changer un peu dans sa forme pratique, mais l'essentiel reste le même : plus de production d'énergie sous une forme ou une autre pour la vente à l'extérieur de l'Alberta à des prix et selon la demande contrôlées par l'oligarchie financière mondiale. Dans le contexte actuel, l'ordre du jour est axé sur la question du transport du pétrole, en particulier du bitume, par des pipelines vers l'est, le sud et l'ouest jusqu'à des ports maritimes.

C'est l'élite dirigeante, en particulier les oligarques mondiaux qui contrôlent le secteur de l'énergie et leurs représentants au gouvernement, qui a établi cet ordre du jour du « toujours la même chose », ce que beaucoup qualifient de forme de maladie mentale appelée persévération. Les travailleurs devraient être satisfaits de ce programme de « toujours la même chose » et sont encouragés à prendre position et à miser même leur avenir en le soutenant. Après tout, le pétrole est là ; allons l'extraire le plus rapidement possible, car la seule chose sensée et pragmatique à faire est de mettre de l'argent dans nos poches maintenant sans aucune notion de l'avenir qui nous attend ni des dangers encourus lorsqu'on avance comme un maniaque, sans principes et sans plan scientifique à long terme.


Manifestation de près de 200 personnes au coin des rues Wellington et Metcalfe près du Parlement le 20 février 2019 qui a empêché le convoi et ses orateurs d'utiliser un levier de levage hydraulique pour s'adresser à la foule comme prévu. Les manifestants ont rejeté l'utilisation de préoccupations économiques pour justifier les déclarations racistes et misogynes de certains membres du convoi. Ils ont aussi affirmé le droit des peuples autochtones au consentement éclairé sur les oléoducs qui passent sur leurs territoires, y compris le droit de dire non.

Ceux qui déclarent que l'ordre du jour des oligarques de « toujours la même chose » est simpliste et sans aucun principe directeur et qui veulent quelque chose de plus réfléchi à discuter sont qualifiés de parias et détracteurs qui s'opposent à l'industrie pétrolière et veulent très probablement des taxes sur le carbone et souhaitent secrètement revenir à une économie artisanale de petite échelle. De même, ceux qui se préoccupent de leur moyen de subsistance et qui pensent qu'ils peuvent l'assurer en construisant des oléoducs sont qualifiés de « rednecks », d'anti-immigrants et plus encore. Les oligarques qui contrôlent le secteur de l'énergie ont recours à ces étiquettes et à cette façon d'humilier pour détourner l'attention du fait qu'ils sont responsables de la crise économique et qu'ils ne veulent pas en être tenus responsables. Ce sont eux qui font que l'économie est contrôlée de l'extérieur, laissant les Albertains vulnérables et sans aucun contrôle sur leur propre économie, leur avenir et leur sécurité. Les oligarques mondiaux ne veulent céder aucun de leur contrôle aux Albertains et le moyen le plus efficace de le faire est de déclarer avec autorité et conviction appuyés par le pouvoir de police : « Il n'y a pas d'alternative à la direction actuelle ! »

Pas d'alternative signifie pas de discussion, pas d'enquête, pas de droit de parole, pas de réflexion, pas de rassemblement pour discuter des possibilités qui existent dans une économie indépendante à multiples aspects qui utilise les grandes ressources naturelles existantes pour le bien-être du peuple. Il existe une alternative qui mène à la stabilité et à la prospérité sous le contrôle des Albertains et qui défend les principes de garantir le bien-être de tous et d'humaniser l'environnement naturel et social. Pour y arriver, il est nécessaire de briser la persévération de l'élite dirigeante qui vise à perpétuer son contrôle et ses privilèges de classe. En affirmant clairement qu'il existe une alternative et en unissant le peuple dans l'action pour la trouver, le contrôle de l'élite dirigeante sur l'économie et les affaires de l'État peut être repris en main en faveur du peuple.


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 9 - 9 mars 2019

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