Comment le système juridique traite les infractions criminelles de SNC-Lavalin

Alors que ce sont les travailleurs qui font les frais de la corruption des entreprises et de l'État, notamment les travailleurs de la construction et leurs syndicats, SNC-Lavalin et ses hauts dirigeants s'en tirent à très bon compte devant les tribunaux lorsqu'ils font face à des chefs d'accusation.

Le cas le plus connu est celui de Pierre Duhaime qui était le président de SNC-Lavalin au moment du scandale de corruption du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Dans ce scandale, SNC-Lavalin a versé 22,5 millions $ en pots-de-vin aux deux principaux responsables du CUSM afin de rafler le contrat de 1,34 milliard $ pour la construction en partenariat public-privé du nouvel hôpital universitaire en 2010. Les montants illégaux ont été versés à ces deux dirigeants du CUSM par le biais de fausses entreprises mises sur pied par eux. Lors de la Commission Charbonneau, ce scandale a été qualifié de plus grande fraude de corruption de l'histoire du Canada.

Quinze accusations ont originalement été portées contre l'ancien président de SNC-Lavalin par le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, dont des accusations de fraude et de corruption. Le 1er février, en plein dans l'imbroglio SNC-Lavalin, Duhaime a accepté une entente hors cour par laquelle 14 des accusations ont été abandonnées. Il a plaidé coupable à une accusation d'abus de confiance pour n'être pas intervenu lorsqu'il a vu qu'un acte criminel était commis, à savoir aider l'ex-directeur général adjoint du CUSM à truquer l'appel d'offres afin que ce soit SNC-Lavalin qui remporte le contrat plutôt qu'un consortium concurrent. C'est ce trucage illégal de l'appel d'offres qui a été fait en échange du paiement des pots-de-vin aux deux plus hauts responsables du CUSM.

Pierre Duhaime n'a pas été condamné à la prison, mais a été assigné à résidence dans sa luxueuse maison, avec des conditions d'assignation de plus en plus souples au fil des 20 mois, et à un an de probation. Il devra aussi faire 240 heures de travaux communautaires et verser un don de 200 000 $ au Centre d'aide aux victimes d'actes criminels.

En juillet 2018, toujours relativement au scandale de corruption du CUSM, l'ex-vice-président de la division construction de SNC-Lavalin, Riadh Ben Aissa, a été déclaré coupable d'une accusation réduite d'usage de faux documents alors que quinze autres chefs d'accusation portés contre lui ont aussi été abandonnés. Il a été condamné à une peine de 51 mois de prison. Il n'en a servi qu'une journée, parce que le tribunal a incorporé dans la détention celle qu'il avait déjà passée en Suisse pour un cas de corruption différent, un cas de pot-de-vin versé à des officiels libyens au cours des années 2000.

Toujours en juillet, le contrôleur financier de SNC-Lavalin, Stéphane Roy, a été acquitté de deux chefs d'accusation dans cette affaire, fraude et utilisation de faux documents, après que la poursuite ait simplement annoncé qu'elle ne présenterait pas de preuve contre lui.

En février 2019, un ancien dirigeant de SNC-Lavalin, Sami Abdellah Bebawi, et son avocat, Constantine Kyres, ont obtenu un arrêt des procédures alors qu'ils étaient accusés d'avoir tenté de corrompre un témoin, le même Riadh Ben Aissa, pour qu'il change son témoignage, moyennant rémunération, au sujet des gestes reprochés à SNC-Lavalin en Libye. Les procédures ont été arrêtées en vertu de l'arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada, rendu en 2016, selon lequel la durée des procédures judiciaires ne doit pas excéder deux ans et demi en Cour supérieure, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Les deux hommes avaient été accusés de cet acte de corruption en 2014.

En novembre 2018, un autre ancien vice-président de SNC-Lavalin, Normand Morin, a plaidé coupable à deux chefs d'accusation sur cinq relatifs à un stratagème de contributions illégales organisé par SNC-Lavalin à deux partis politiques fédéraux, le Parti libéral et le Parti conservateur, entre 2004 et 2011. SNC-Lavalin a utilisé un stratagème de « prête-nom » par lequel les employés donnaient de l'argent aux partis, mais étaient remboursés par la compagnie. La manoeuvre frauduleuse a rapporté environ 117 000 $ à ces deux partis. La Couronne a abandonné les trois accusations restantes. Morin a été condamné à une amende de 2 000 $. Comme l'ex-cadre de SNC-Lavalin, qui dit avoir été un bouc émissaire dans cette affaire, a plaidé coupable avant procès et qu'il était le seul accusé dans cette affaire, les autres ayant échappé à toute poursuite au moyen d'un accord conclu avec Élections Canada en 2016, la poursuite s'est arrêtée là et on ne saura jamais quelles circonscriptions, quels candidats ou candidats à la chefferie ont reçu des dons de SNC-Lavalin. Sa reconnaissance de culpabilité conclut l'enquête du commissaire aux élections fédérales sur SNC-Lavalin. La firme d'ingénierie a reconnu avoir trempé dans cette affaire de contributions illégales, mais elle s'en est tirée à bon compte, sans pénalités, dans le cadre de son entente de transaction conclue en 2016 avec Élections Canada. Les montants reçus illégalement ont été remis aux autorités fédérales par les formations politiques concernées.

SNC-Lavalin a toujours prétendu que les actes de corruption sont le fait d'individus isolés qui ne font plus partie de l'organisation. Les faits révèlent au contraire une corruption systémique, impliquant les représentants de l'État et du gouvernement et les tribunaux, qui comprend des poursuites peu rigoureuses, l'abandon d'accusations et des sentences légères.


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 8 - 2 mars 2019

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