SNC-Lavalin et la Commission Charbonneau

La tourmente actuelle autour de la corruption de SNC-Lavalin nous rappelle que ce sont les travailleurs du Québec et du Canada qui font les frais de la corruption des grandes entreprises et de l'État.

On a encore fraîchement à l'esprit le cas de SNC-Lavalin et de la Commission Charbonneau. Cette commission a été mise sur pied en 2011 par le gouvernement libéral de Jean Charest, après des années de refus de mettre sur la place publique la question de la corruption des grandes entreprises de construction et d'ingénierie en lien avec le financement des partis politiques. Le mandat officiel de la Commission Charbonneau était d'éradiquer la collusion et la corruption dans l'octroi des contrats publics dans la construction, de révéler les liens possibles entre cette corruption et le financement des partis politiques et l'infiltration possible de l'industrie de la construction par le crime organisé.

Les activités de corruption de SNC-Lavalin, la plus grande entreprise d'ingénierie et de gestion de la construction au Canada, ont été au centre de la Commission Charbonneau. Deux aspects en particulier ont été relevés par cette enquête.

Le premier est le financement illégal par SNC-Lavalin de partis politiques municipaux (Union Montréal) et québécois (le Parti libéral surtout, mais aussi le Parti québécois) en échange de contrats de la ville de Montréal et de ministères du gouvernement du Québec. La loi interdit aux entreprises (aux syndicats aussi) de contribuer financièrement aux partis politiques au Québec.

Toutes sortes de tactiques illégales ont été utilisées par la société pour contourner cela, notamment celle des prête-noms en vertu de laquelle des dizaines de ses cadres ont signé des chèques personnels aux partis alors que l'argent provenait en réalité de la société elle-même.

La société remboursait ses cadres en bonis de fin d'année. La Commission a évalué que de 1998 à 2010, c'est plus de 1 million de dollars qui ont été versés illégalement par SNC-Lavalin aux deux principaux partis politiques québécois d'alors. Il a également été révélé lors des audiences que SNC-Lavalin a illégalement fourni 200 000 $ au parti Union Montréal pour l'aider à remporter l'élection municipale de Montréal de 2005. La société l'a fait en payant une fausse facture d'Union Montréal et en versant de l'argent liquide au collecteur de fonds du parti montréalais. Tout cela a été fait sous prétexte que c'était « le prix à payer pour faire des affaires » et que SNC-Lavalin devait demeurer dans le « marché » des contrats publics.


Document compilé par la Commission Charbonneau qui montre l'argent que SNC-Lavalin aurait remis aux partis politiques

Le deuxième cas est le scandale du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). La Commission a révélé le stratagème par lequel SNC-Lavalin a versé 22,5 millions de dollars en pots-de-vin à deux hauts responsables du CUSM afin de rafler le contrat de 1,34 milliard de dollars pour la construction en partenariat public-privé du nouvel hôpital universitaire en 2010. Les montants illégaux ont été versés aux deux hauts responsables du centre de santé par le biais de fausses entreprises mises sur pied par eux. Un des deux hauts responsables était Arthur Porter qui, par une merveilleuse coïncidence, a été nommé président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par le premier ministre Stephen Harper, également en 2010. L'affaire du CUSM a été qualifiée aux audiences de plus grande fraude de corruption de l'histoire du Canada. À noter que toutes les soi-disant règles d'éthique entourant l'octroi en PPP des projets d'infrastructure publique n'ont pas empêché cette fraude.

SNC-Lavalin n'a pas été radiée des sociétés privées qui peuvent faire des soumissions pour des projets d'infrastructure publique et on n'a pas saisi l'occasion pour réévaluer les projets en partenariat public-privé qui se prêtent naturellement à la fraude de corruption entre les grands intérêts privés et leurs représentants politiques. À noter aussi que SNC-Lavalin, qui a obtenu notamment le contrat de construction du nouveau pont Champlain, est reconnue pour ses attaques contre la santé et à la sécurité des travailleurs de la construction et, par extension, du public. Les travailleurs de la construction ont dû mener une lutte de tous les instants contre les violations par la société des normes de sécurité, notamment en ce qui concerne les opérations de levage. Le gouvernement a fermé les yeux face à ces activités. Il s'agissait d'un cas évident de corruption et de collusion entre SNC-Lavalin et l'État, mais la Commission Charbonneau n'a pas considéré que faire enquête sur ces activités faisait partie de son mandat.

Les travailleurs attaqués au nom de la lutte à la corruption


Yves Ouellette, le directeur général de la FTQ-Construction à ce moment-là, a dénoncé les calomnies de la Commission Charbonneau dépeignant les luttes des travailleurs comme de l'intimidation et de la corruption. L'intention de cette accusation était de détourner l'attention des véritables responsables de la corruption et du véritable crime organisé : pas les travailleurs, mais les gouvernements et les grandes entreprises de la construction.

Dans son évaluation des événements sur lesquels elle s'est penchée, la Commission Charbonneau a étendu le concept de corruption et de crime organisé aux collectifs de travailleurs et de leurs organisations alliées qui mènent des actions concertées de défense des droits des travailleurs, lesquelles mènent parfois à la perturbation des activités sur les chantiers. La Commission a même insinué que ces actions étaient semblables à des activités mafieuses. La Commission a fait cette affirmation sans même examiner l'objectif et les raisons pour lesquels les travailleurs organisés ont posé ces gestes, la cause qu'ils défendaient et le résultat qu'ils cherchaient à obtenir par ces actions. Le concept de « corruption » a été assimilé à une entrave au soi-disant libre marché, au droit des entreprises d'opérer les chantiers comme bon leur semble, à la recherche du profit privé, même si la santé et la sécurité des travailleurs et du public sont menacées. Dans son volumineux rapport, il n'y a pas une seule page qui fait état de la collusion entre le gouvernement en tant qu'autorité publique et des entreprises comme SNC-Lavalin en ce qui a trait à la violation des droits des travailleurs et aux atteintes à leur santé et sécurité.

Au contraire, les travailleurs et leurs organisations de défense sont considérés comme une source de corruption et d'activités semblables au crime organisé, que la Commission appelle collusion entre travailleurs et intimidation.

C'est pourquoi, dans ses recommandations, la Commission Charbonneau a recommandé une modification à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction (Loi R-20) afin de soumettre à de fortes amendes quiconque use d'intimidation « susceptible » de provoquer une entrave, un ralentissement ou un arrêt des activités sur un chantier, ou d'imposer une décision à un employeur. L'ancienne formulation de la loi disait « dans le but de provoquer ». Non seulement la Commission Charbonneau recommandait-elle de fortes amendes, mais que tout représentant syndical qui est déclaré coupable d'infraction à ces clauses de la loi se voit interdire de représenter les travailleurs pendant cinq ans. Le gouvernement du Québec n'a été que trop heureux de mettre en oeuvre cette recommandation.

C'est une des façons par lesquelles les travailleurs et leurs organisations font les frais des activités de corruption entre les grandes entreprises et l'État.


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 8 - 2 mars 2019

Lien de l'article:
SNC-Lavalin et la Commission Charbonneau - Pierre Chénier


    

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