Ingérence politique dans
l'affaire
SNC-Lavalin
Audiences du
Comité permanent de la justice
et des droits de la personne: la signification du
témoignage de
Michael Wernick
- Barbara Biley -
Le Comité permanent de la justice et des
droits
de la personne de
la Chambre des communes a entendu des témoins cette
semaine dans
le
cadre de ses audiences publiques sur « l'étude des
accords
de
réparation, la doctrine Shawcross et les discussions entre
le
Bureau du procureur général et des collègues
du
gouvernement
». Le 21 février,
le comité a entendu le procureur général
David
Lametti, la
sous-ministre de la Justice et sous-procureure
générale
du Canada,
Nathalie Drouin, et le greffier du Conseil privé, Michael
Wernick. Le
27 février, le comité a entendu l'ex-procureure
générale du Canada,
Jody Wilson-Raybould. [1]
Entre autres
témoins, le Comité doit entendre l'ancien
conseiller
principal du
premier ministre Justin Trudeau, Gerald Butts, le 6 mars. Butts a
démissionné de son poste le 18 février et a
dit,
dans sa lettre de
démission, qu'il ne voulait pas « faire obstacle au
travail essentiel
qu'effectuent le premier ministre et son bureau au nom de tous
les
Canadiens ».
Les audiences ont comme objectif de traiter des
préoccupations
concernant les accusations de tentatives, de la part du Bureau du
premier ministre, d'influencer les procédures criminelles
contre
SNC-Lavalin. Les accusations ont d'abord été
révélées dans un article
de Robert Fife dans le numéro du 7 février du
Globe
and Mail dans
lequel
l'auteur a prétendu, « sources » à
l'appui,
que des membres du Bureau
du premier ministre ont exercé des « pressions
» sur
la procureure
générale Jody Wilson-Raybould pour qu'elle use de
son
autorité pour
amener la directrice des poursuites pénales à
renverser
sa décision et
accorder un accord de réparation à
SNC-Lavalin.[2]
Un accord de réparation aurait suspendu les accusations
criminelles
auxquelles la compagnie fait face. SNC-Lavalin a fait appel de la
décision.
Ce que révèle le
témoignage de
Michael Wernick
M. Wernick a choisi de faire des remarques
préliminaires
avant de donner son témoignage qui ont scandalisé
le pays
de plusieurs
façons, par la manière entre autres dont il a
utilisé les audiences
comme une tribune pour présenter des opinions personnelles
incendiaires et défensives qui sont contraires à la
perception populaire de l'impartialité qui sied à
un haut
fonctionnaire.[3]
Il semble que les opinions présentées par Wernick
avaient
comme
objectif d'intimider tout individu et toute force politique au
pays qui
ose remettre en question le statu quo et exprime
une opinion contraire à celle de l'élite dirigeante
représentée actuellement par le gouvernement
Trudeau. Il
a
débuté sa
présentation en disant : « Beaucoup de choses ont
été dites et écrites
depuis quelques semaines et je pense qu'il y a un certain nombre
de
choses qui ont besoin de clarification. Je suis
profondément
préoccupé
par mon pays
en ce moment, par sa politique et par l'orientation qu'il prend.
Je
suis préoccupé par l'ingérence
étrangère lors de la prochaine élection
et nous travaillons très fort là-dessus. Je
m'inquiète de la montée des
incitations à la violence, lorsque les gens utilisent
ouvertement des
termes comme 'trahison' et 'traître' dans le discours
public. Ce
sont
des mots
qui mènent à l'assassinat. J'ai peur que quelqu'un
se
fasse abattre
dans ce pays, cette année, pendant la campagne
électorale. »
Wernick a ensuite fait référence
aux
remarques du sénateur
conservateur Michael Tkachuk lors d'une manifestation
pro-oléoducs sur
la colline du Parlement. Selon les journaux, le sénateur a
dit
que « je
sais que vous avez roulé jusqu'ici, et je vous demande de
faire
encore
une chose : je veux que vous renversiez tous les libéraux
qui
restent
dans le pays. Une fois qu'on en sera débarrassé, on
se
sera débarrassé
également de ces lois. » Il faisait
référence à deux projets de loi que
le Parlement étudie en ce moment et il est clair qu'en
demandant
de «
renverser tous les libéraux qui restent dans le pays
», il
demandait
aux électeurs de défaire les libéraux
à
l'élection fédérale en octobre.
Wernick, cependant, a dit ceci : « Je pense que c'est
totalement
inacceptable qu'un membre du Parlement canadien incite les gens
à
lancer leurs camions sur des Canadiens comme cela s'est produit
à
Toronto l'été dernier. C'est totalement
inacceptable et
j'espère que
vous, les parlementaires, allez condamner cela. »
Accuser le sénateur Tkachuk d'appeler
à
une attaque semblable à
l'attaque au camion à Toronto dans laquelle 10 personnes
ont
été tuées
et 16 blessées avilit le discours politique au Canada.
Cela
alimente
aussi le raisonnement que donne le gouvernement Trudeau pour
placer la
police responsable des élections et de décider ce
qui est
un discours
légitime ou non.
Après avoir évoqué le
spectre
d'assassinats et d'autres violences, affirmé que les
réputations de gens honorables «
sont ternies et
traînées sur la place publique », et
parlé du
« vomitoire des médias
sociaux qui pénètre l'arène des
médias
ouverts », il a dit : « Surtout,
je crains que les gens perdent confiance dans les institutions de
gouvernance
de ce pays, et c'est pourquoi ces procédures sont si
importantes. » Il
a ensuite cherché à rassurer les Canadiens sur le
fait
qu'ils n'avaient
rien à craindre de l'État de droit dans notre pays,
car
tout ce qui a
été fait était légal.
Faut-il comprendre que, puisqu'il s'agit d'un
fonctionnaire
expérimenté dont l'une des principales
qualifications est
de ne pas
s'engager dans la politique partisane, le comité qui
conduit les
audiences devrait tirer la même conclusion, que tout est
légal et
irréprochable ? Wernick a affirmé avec force que
tout
fonctionne bien,
« le procureur est
indépendant », « la Loi sur le lobbying
a
fonctionné comme
prévu », « le commissaire à
l'éthique
a lancé son propre processus », «
les protections ont tenu le coup », la preuve que le
gouvernement
n'est
pas « mou face au crime d'entreprise » est que
«
l'entreprise n'a pas
obtenu ce qu'elle voulait - manifestement, car elle demande un
examen judiciaire ».
Quel objectif visait cette
présentation
?
Wernick a fait de son mieux pour
présenter ses actions
comme étant légales, de même que celles des
autres
personnes
qu'il est chargé
de protéger de l'examen public. En fait, il faut
considérer son
témoignage comme une préparation de ce qui est
à
venir. Non sans
raison, il a ouvertement confondu ce qui est légal avec ce
qui
est
présenté
comme étant « légitime » pour des
raisons de
sécurité nationale, de
création d'emplois ou de considération humanitaire,
etc.
Les violations
les plus flagrantes des principes fondamentaux qui
régissent la
règle
de droit aux niveaux national et international sont
acceptées au
nom
d'une cause qui est censée rendre les actions «
légitimes ».
Ses
préoccupations
personnelles pour son pays ont servi à sonner
l'alarme et à créer un climat de peur et de
suspicion
face à des
acteurs étrangers et entre les Canadiens, notamment dans
le
contexte
des élections fédérales, pour justifier
l'augmentation des pouvoirs de
police. C'est le modus operandi par lequel on prépare le
terrain
pour
justifier
la criminalisation de la dissidence et réduire au silence
tous
ceux qui
sapent la « confiance du peuple dans les institutions de
gouvernement
de ce pays ». C'est précisément ce que la
police
politique soulève
lorsqu'elle instruit les partis politiques sur ce qui est «
une
opinion
légitime » et ce qui ne l'est pas. Toute opinion
contraire
à la
position
officielle de l'État est considérée comme
«
illégitime ». Cela va dans
le sens des mesures prises pour élargir le rôle des
agences de
renseignement de l'État lors des élections et des
tentatives qui visent
à imposer les opinions politiques qui sont officiellement
sanctionnées.
En fin de compte, il semble que Michael Wernick a
accompli l'ultime
geste chevaleresque médiéval de se frapper de sa
propre
épée parce
qu'il se considère comme le fonctionnaire accompli qui
doit
défendre la
personne d'État en ces temps troubles. À un moment
où la corruption
sans indécente et les manigances pour payer les riches par
les
gouvernements successifs ont brisé la « confiance
dans les
institutions
de gouvernance », le greffier du Conseil privé est
venu dire à
la nation est tout cela est « légal » et,
chose
plus importante
encore, « légitime » en raison de
l'idéal
élevé de la sauvegarde des
emplois, et il n'y a rien que vous puissiez
faire. À
un
moment où le corps politique remet en cause les «
institutions de
gouvernance » précisément parce qu'elles sont
un
instrument au service
des riches, les serviteurs de l'État canadien se
mobilisent pour
défendre cette pratique. Dans les corridors du pouvoir,
des lois
peuvent être introduites qui rendent légal tout ce
que les
riches
demandent pendant
que la coterie gouvernementale, les plus hauts fonctionnaires,
les
anciens juges de la Cour suprême et les médias
discutent
de leur mérite
en se faisant eux-mêmes les décideurs de ce
qui est «
légitime » et « ce qui ne l'est pas
».
Notes
1. L'ex-procureure générale Jody Wilson-Raybould a
pu
témoigner grâce à un décret
ministériel qui se lit comme suit :
« Sur recommandation du premier ministre,
Son
Excellence
le gouverneur général en conseil, pour les
audiences
devant le Comité
permanent de la justice et des droits de la personne et l'examen
par le
commissaire aux conflits d'intérêts et à
l'éthique :
« a) autorise l'honorable Jody
Wilson-Raybould,
l'ancien procureur
général, et toute personne ayant participé
directement aux discussions
avec elle concernant l'exercice des pouvoirs qui lui sont
conférés par
la Loi sur le directeur des poursuites pénales
relativement
à
la
poursuite
contre
SNC-Lavalin,
à
divulguer au Comité
permanent de
la justice et des droits de la personne et au commissaire aux
conflits
d'intérêts et à l'éthique tout
renseignement
confidentiel du Conseil
privé de la Reine pour le Canada contenu dans les
informations
ou
communications qui ont fait l'objet de discussions directes avec
elle
relativement à l'exercice de ces pouvoirs alors qu'elle
occupait
ce
poste ;
« b) s'agissant de la divulgation au
Comité
permanent de la justice
et des droits de la personne et au commissaire aux conflits
d'intérêts
et à l'éthique par l'ancien procureur
général, et par toute personne
ayant participé directement aux discussions avec elle,
renonce,
dans la
mesure où ils s'appliquent, au privilège des
communications entre
client et avocat et à tout autre devoir de
confidentialité pertinent
envers le gouvernement du Canada à l'égard des
informations ou
communications concernant l'exercice des pouvoirs
conférés au procureur
général par la Loi sur le directeur des
poursuites
pénales qui ont fait l'objet de discussions directes
avec
l'ancien procureur général
relativement à la poursuite contre SNC-Lavalin, alors
qu'elle
occupait ce poste.
« Toutefois, pour préserver
l'intégrité de toute procédure civile ou
pénale, cette autorisation et cette renonciation ne
s'appliquent
pas
aux informations et communications concernant SNC-Lavalin qui ont
été
échangées entre l'ancien procureur
général
et le directeur des
poursuites pénales. »
La transcription officielle du témoignage
de Jody
Wilson-Raybould
n'est pas encore disponible en français, mais on peut la
voir
par
vidéo
avec traduction simultanée ici. Pour la version anglaise
voir TMLW 2 mars 2019.
2. On lit dans un document d'information
intitulé « Accords et arrêtés de
réparation pour remédier au crime
d'entreprise » que les accords de réparation peuvent
être utilisés par
les poursuivants qui « pourraient utiliser cet outil
à
leur discrétion
pour traiter des crimes économiques précis s'ils
considèrent que son
utilisation est dans l'intérêt public et qu'il est
approprié dans les
circonstances ». Le document poursuit : « Un accord
de
réparation
constituerait un accord volontaire entre un poursuivant et une
organisation accusée d'avoir commis une infraction. Les
accords
fixeraient une date de clôture et devraient être
présentés à un juge
pour son approbation.
[...] Tant qu'un accord serait en vigueur, toute poursuite
criminelle
pour une infraction visée par l'accord serait suspendue.
Si
l'organisation accusée se conformait aux conditions
énoncées dans
l'accord, le poursuivant demanderait à un juge de rendre
une
ordonnance
de réussite à l'expiration de l'accord. S'il est
convaincu que
l'organisation a
respecté les conditions de l'accord, le juge pourrait
alors
suspendre
les accusations et aucune condamnation criminelle n'en
résulterait. Si
l'organisation ne les a pas respectées, le juge pourrait
approuver la
résiliation de l'accord, les accusations pourraient
être
rétablies et
les organisations accusées pourraient alors être
poursuivies et
éventuellement
condamnées. »
En considérant l'admissibilité d'une
entreprise à un accord de
réparation, « dans le cas où l'infraction
imputée à l'organisation est
une infraction visée aux articles 3 ou 4 de la Loi sur
la
corruption d'agents publics étrangers,
le poursuivant ne doit pas prendre en compte les
considérations
d'intérêt économique national, les effets
possibles
sur les relations avec un État autre que le Canada ou
l'identité des
organisations ou individus en cause. » Autrement dit, parmi
les
raisons
qui peuvent être données pour offrir un accord de
réparation, l'avenir
de la compagnie n'est pas une option juridique possible.
3. Le site Web du Conseil privé du
gouvernement
du Canada
indique que le rôle du greffier « consiste à
conseiller le premier
ministre et les représentants élus du gouvernement
pour
assurer la
gouvernance du pays. À cet égard, il s'acquitte de
ses
responsabilités
de façon objective et non partisane, et en tenant compte
des
politiques
publiques. Il assure également la gestion efficace de la
fonction
publique fédérale du Canada et que celle-ci
respecte un
code de valeurs
et d'éthique dans l'élaboration de services et de
programmes de haute
qualité destinés aux Canadiens et à leurs
familles. »
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 8 - 2 mars 2019
Lien de l'article:
Ingérence politique dans
l'affaire
SNC-Lavalin: Audiences du
Comité permanent de la justice
et des droits de la personne: la signification du
témoignage de
Michael Wernick - Barbara Biley
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